L'édito de Philippe Bailly

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Cinéma, fiction… le flux aussi peut-il gagner des millions ?

La société française n’est pas régie par des principes aristocratiques. En théorie au moins. Mais de même qu’appartenir – ou pas – aux « grands corps » n’est pas sans influence sur le déroulement d’une carrière, certains genres de programmes sont, selon la formule d’Orwell, plus égaux que d’autres. Le cinéma est brahmane, le documentaire Kshatriya, la fiction Vaishya… le flux est Intouchable. Son ancrage dans le divertissement est suspect ; la référence aux « voleurs de patates“ des Guignols vaut tâche originelle ; on ne lui pardonne pas d’être une pleine représentation du concept d’industrie culturelle.

Ces derniers jours, le CNC n’a pas manqué de souligner la bonne santé des genres qu’il soutient : la production cinématographique est plus que jamais florissante (283 films produits et près d’1,4 Md€ investis en 2016 soit une hausse de 13,4% sur 2015) et le soutien à la production dite « patrimoniale » (fiction, animation, documentaire mais aussi vidéoclip) atteint des sommets, à 275 M€.

Difficile de se faire une idée en revanche sur les performances de la production de jeux, magazines ou divertissements. Pas d’information disponible, à ce stade au moins, de la part du ministère de la Culture, du CNC, du CSA ou même des fédérations professionnelles.

Trois raisons, au moins, justifieraient pourtant d’y prêter davantage d’attention et, peut-être, de leur accorder davantage de soutien.

  • Alors que la plupart restent déficitaires, le lancement de fictions françaises originales de qualité demeure largement hors d’atteinte des chaînes de la TNT (leur contribution à la production audiovisuelle aidée n’était que de 5,1% l’an dernier, soit 34,1 M€). Dès lors, les programmes de flux représentent aujourd’hui le principal levier d’affirmation de leur identité et de création de « préférence de marque ». Il n’est que de voir l’impact de TPMP pour C8 ou de Quotidien pour TMC afin de s’en persuader. Et le flux apparaît tout aussi stratégique pour les chaînes historiques (cf le bruit médiatique qui a entouré les derniers mois du Grand Journal, les difficultés qu’ont causé à France 2 les faibles performances d’Actuality ou l’attention qui s’est portée sur le lancement de The Wall par TF1).
  • Sa non-reconnaissance par les autorités en charge du secteur audiovisuel apparaît d’autant plus paradoxal que sa contribution à l’économie de ce dernier est, elle, inversement proportionnelle : mi 2014, une étude consacrée aux 100 principaux formats de flux publiée par Madigan Cluff, évaluait à plus de 28 000 le nombre d’heures de diffusion qu’il représentait dans un ensemble 84 chaînes issues de 16 pays européens, et à près de 3 Mds$ la valeur qui y correspondait. Deux formats Banijay étaient les seuls représentants français dans ce classement. Conséquence : d’après les statistiques de TVFI, « la créativité française représentait en 2014 un volume d’exportation de vingt-deux millions d’euros, dans un marché international du format estimé à trois milliards d’euros », pointait de son coté Le Monde.
  • Au gisement de valeur que représente donc le développement de formats nationaux, s’ajoute l’impact sur l’emploi. A défaut, de statistiques distinguant les affectations par nature de production, impossible de savoir précisément la façon dont les quelques 80 000 salariés des sociétés de production audiovisuelle se répartissent entre stock et flux. Mais compte tenu de leur coté récurent et leur poids dans les grilles, on peut sans peine soutenir que jeux, divertissements et magazines pèsent d’un poids plus que significatif.

Difficile à négliger à l’aube d’un nouveau quinquennat pendant lequel l’évolution des régimes de protection sociale – donc notamment du statut des intermittents – promet d’être à nouveau débattu.