L'édito de Philippe Bailly

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CJUE : donner un accès direct à des œuvres disponibles illégalement sur internet est une communication au public

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La Cour de Justice de l’Union européenne a rendu le 26 avril dernier un arrêt sur la vente d’un lecteur multimédia qui permettait notamment à ses utilisateurs d’accéder facilement à des œuvres mises à disposition sur internet sans l’accord des ayants-droit. La Cour a déterminé que la vente de ce lecteur constituait une communication au public et que la reproduction de l’œuvre sur le lecteur ne pouvait bénéficier de l’exception de reproduction temporaire.

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L’affaire dont la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) était saisie concernait un litige entre la fondation néerlandaise de défense des intérêts des titulaires du droit d’auteur Stichting Brein et M. Wullems, vendeur sur internet du lecteur multimédia « filmspeler ». Ce lecteur servait de périphérique permettant de relier une source d’image et/ou de sons à un écran de télévision. Sa particularité résidait dans un logiciel et plusieurs modules complémentaires intégrés au lecteur qui permettaient, au travers d’une interface facile à utiliser, d’afficher des œuvres disponibles illégalement sur internet directement sur le téléviseur relié au lecteur. Saisi d’un recours de la fondation Stichting Brein contre M. Wullems, le tribunal de Midden-Nederland aux Pays-Bas a transmis à la CJUE une question préjudicielle pour déterminer, d’une part, si la vente de ce lecteur constituait une communication au public et, d’autre part, si la reproduction des œuvres effectuée sur le lecteur pouvait bénéficier de l’exception de reproduction temporaire prévue à l’article 5 § 1 de la directive 2001/29. Les questions visaient ainsi des atteintes tant au droit de reproduction qu’au droit de communication au public.

La reproduction d’un film sur un lecteur multimédia n’est pas une reproduction temporaire

La Cour rappelle que l’exception de reproduction temporaire ne peut être invoquée que si la reproduction, cumulativement, i) est provisoire, ii) est transitoire ou accessoire, iii) fait partie intégrante d’un procédé technique, iv) a pour finalité unique la transmission dans un réseau entre tiers par un intermédiaire ou une utilisation licite et v) n’a pas de signification économique indépendante. En l’espèce, les juges relèvent que la finalité de la reproduction des œuvres n’est pas celle d’une transmission dans un réseau entre tiers et, n’étant pas autorisée par les titulaires de droit des œuvres reproduites, n’est pas une utilisation licite de ces œuvres. Par conséquent, cette reproduction temporaire ne peut bénéficier de l’exception prévue à l’article 5 § 1 de la directive 2001/29 et constitue donc une infraction au monopole des ayants-droit sur l’exploitation de leurs œuvres.

Faciliter l’accès à une œuvre mise en ligne illégalement par un lien direct est un acte de communication et non une simple fourniture d’installations

Pour établir l’existence d’un acte de communication au public, la Cour suit un raisonnement en deux temps ; il s’agit de définir d’abord si l’on est en présence d’un acte de communication, puis d’établir que cette communication vise un public au sens de la directive 2001/29.

La Cour rappelle d’abord que l’acte de communication ne vise pas seulement la mise à disposition d’une œuvre sans l’accord de l’ayant-droit, mais aussi le fait d’en rendre l’accès plus facile. Elle énonce ainsi qu’un utilisateur réalise un acte de communication « lorsqu’il intervient, en pleine connaissance des conséquences de son comportement, pour donner à ses clients accès à une œuvre protégée, et ce notamment lorsque, en l’absence de cette intervention, ces clients ne pourraient, en principe, jouir de l’œuvre diffusée ». Or, elle fait également référence notamment à son arrêt Svensson du 13 février 2014 pour rappeler que fournir des liens cliquables vers des œuvres protégées offre aux utilisateurs un accès direct auxdites œuvres, et doit donc être qualifié de « mise à disposition » et, par conséquent, d’« acte de communication » (points 18 et 20).

La Cour estime dans le présent arrêt que le lecteur multimédia donne bien un accès direct aux œuvres. Seulement, l’outil en cause (le lecteur multimédia) étant un appareil physique, un nouveau critère, posé au considérant 27 de la directive 2001/29 entre en compte. Ce considérant dispose que la simple fourniture d’installations physiques ne constitue pas un acte de communication au public. Il s’agit donc de déterminer que la vente du lecteur multimédia en question n’est pas une simple fourniture installation mais bien un acte de communication.

La Cour cite à cet effet l’arrêt SGAE du 7 décembre 2006, qui avait conclu que la diffusion de chaînes de télévision dans un hôtel n’était pas une simple fourniture d’installation, car cette installation « [pouvait] rendre techniquement possible l’accès du public aux œuvres radiodiffusées ». Dans le présent arrêt, la Cour justifie en plus de détail le fait d’écarter ce critère. Les juges expliquent que la fourniture d’installations n’est pas « simple » car le vendeur a, en pleine connaissance de cause, permis spécifiquement à ses clients d’accéder à des œuvres rendues disponibles sans l’autorisation des ayants droit, au moyen d’une « liaison directe » entre les sites diffusant les œuvres contrefaites et le lecteur, sans lequel l’accès à ces sites aurait été nettement plus malaisé.

Les critères pertinents pour retenir que la vente d’un support physique n’est pas une « simple » fourniture d’installations sont donc i) la conscience délibérée de donner accès à des œuvres disponibles illégalement, ii) l’accès direct fourni à ces œuvres et iii) la difficulté d’accéder à ces œuvres sans ce support. Faciliter délibérément l’accès à des œuvres rendues disponibles sans l’accord de l’ayant-droit est donc un acte de communication.

La Cour relève au passage que le but lucratif de l’acte n’est pas indifférent pour apprécier la présence d’un acte de communication, et souligne que, dans le cas d’une vente, ce but lucratif est indéniablement établi.

L’ensemble des acquéreurs potentiels du lecteur qui disposent d’internet constitue un public nouveau

Concernant la présence d’un public destinataire de la communication, la Cour estime qu’un tel public n’est pas établi si la pluralité de personnes rassemblée est « trop petite, voire insignifiante ». Or, elle note que, non seulement le lecteur multimédia en question a été acheté par un nombre conséquent de personnes, mais que la communication en cause vise l’ensemble des acquéreurs potentiels du lecteur qui disposent d’une connexion internet. Elle conclut que la communication vise un nombre indéterminé de destinataires potentiels et un grand nombre de personnes, ce qui constitue un public au sens de la directive 20001/29.

Elle applique ensuite les critères dégagés dans l’arrêt GS Media du 8 septembre 2016 pour déterminer si la communication vise un public nouveau. Elle rappelle ainsi qu’une communication à un public faite sans restriction d’accès touche nécessairement un public nouveau si l’acte de communication vise une œuvre mise à disposition sans l’autorisation des ayants-droit. Il s’agit donc ici d’une communication à un public nouveau.

On notera que cet arrêt accentue plus encore la tendance prise par la Cour à considérer que, outre le fait de rendre disponible une œuvre sans l’accord de l’ayant-droit, le fait de faciliter l’accès à une telle œuvre est également un acte de communication. Cette orientation de la jurisprudence de la Cour coïncide avec la nouvelle direction que suit de plus en plus la lutte contre la contrefaçon d’œuvres en ligne : au lieu de tenter de supprimer les œuvres partagées illégalement ou de censurer les sites qui les partagent, les efforts visent plutôt à les rendre moins visibles et plus difficiles à maintenir. On pense par exemple aux engagements des moteurs de recherche à sous-référencer les sites de contrefaçon d’œuvres[1] ou à ceux des annonceurs à retirer leurs publicités de tels sites[2].

[1] Voir notamment l’accord anti-contrefaçon signé entre le Bureau de propriété intellectuelle britannique, Google et Bing

[2] Voir notamment la Charte de bonnes pratiques dans la publicité pour le respect du droit d’auteur et des droits voisins

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