L'édito de Philippe Bailly

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Le Conseil d’Etat transmet une QPC sur la constitutionnalité de l’application de la licence légale aux webradios

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Le Conseil d’Etat a été saisi par la SCPP et la SPPF d’un recours contestant la constitutionnalité de l’extension du régime de licence légale aux radios sur internet. Cette mesure, prise dans le cadre de la loi pour la liberté de création du 7 juillet 2016, avait été introduite par le Gouvernement lors des débats sur le projet de loi à l’Assemblée nationale, fondée sur l’application du principe de neutralité technologique et afin de favoriser le développement des services de webradio. Le Conseil d’Etat a transmis la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil Constitutionnel.

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Le mécanisme de la licence légale est posé aux articles L214-1 et suivants du Code de la propriété intellectuelle. Ce principe déroge à la liberté pour les ayants-droit d’autoriser ou d’interdire l’utilisation de phonogrammes publiés à des fins de commerce, en leur imposant d’accepter la communication au public desdits phonogrammes par un service de radio. Cette communication au public ouvre droit à rémunération pour les artistes interprètes et producteurs, dans des conditions qui sont fixées soit par accords collectifs entre représentants des ayants-droit et des services de radiodiffusion, soit par une commission mixte composée de représentants de ces deux groupes. La rémunération est perçue par la Société pour la Perception de la Rémunération Equitable (SPRE), cogérée par la SCPP, la SPPF, l’ADAMI et la SPEDIDAM, qui reverse les droits aux sociétés de gestion collective compétentes pour les redistribuer, à parts égales, aux artistes-interprètes et aux producteurs.

Ce mécanisme a été étendu aux webradios avec la loi du 7 juillet 2016 relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine (loi création). Cette extension poursuivait les recommandations du rapport Lescure, qui faisait valoir que le taux de rémunération demandé aux webradios, de 12,5%, était nettement supérieur à celui de la rémunération équitable, lequel varie entre 4 et 7%. Le Conseil d’Etat, saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité contestant cette extension, a transmis la question au Conseil Constitutionnel.

L’extension de la licence légale aux webradios par la loi création

L’extension du mécanisme de licence légale aux webradios a divisé les parlementaires à l’occasion de l’examen du projet de loi relative à la liberté de création, à l’architecture et au patrimoine.

Si la mesure a été présentée par les Ministres Fleur Pellerin puis Audrey Azoulay comme une simple application du principe de neutralité technologique, il a pourtant l’opposition de plusieurs parlementaires du groupe LR. Jean-Pierre Leleux notamment, rapporteur de la commission culture sur le texte, faisait valoir que le principe de neutralité technologique n’était pas valable en l’espèce. En effet, si le nombre de radios hertziennes est limité par le nombre de fréquences exploitables, les webradios ne le sont pas. De plus, la technique et le matériel nécessaires pour la création et le bon fonctionnement d’une webradio sont bien moindres que pour une radio hertzienne, ce qui permet de créer à moindre coût « une, deux, dix, quinze, cent, mille, deux mille, un million de webradios ! » s’exclamait-il. L’ouverture du dispositif de licence légale à ces services pourrait, selon lui, avoir des conséquences néfastes sur la rémunération des ayants-droit, et opérer un nivellement vers le bas de la rémunération des artistes-interprètes et des producteurs. Leur retirer le droit de négocier la rémunération de la diffusion de leurs œuvres diminuerait ainsi leur rémunération, qui serait « quatre à vingt fois » inférieure à l’actuelle, faisait valoir la députée Annie Genevard.

Pour David Assouline, l’application du dispositif de licence légale devrait permettre de régler la question du partage de la rémunération entre auteurs et producteurs pour les revenus issus du webcasting. Il soutenait par ailleurs que cette mesure aiderait les « petits » artistes-interprètes, qui ont plus de difficulté que les « plus puissants » à percevoir des rémunérations.

Pour Audrey Azoulay, la mise en place du système de licence légale devrait faciliter l’accès des webradios aux catalogues des producteurs de phonogrammes, ce qui permettra le développement du marché et profiterait à tous les acteurs impliqués.

Le compromis trouvé au Sénat en deuxième lecture limite le nombre de services concernés par l’extension du mécanisme de licence légale. L’article adopté exclut ainsi du dispositif les « services de radio dont le programme principal est dédié majoritairement à un artiste-interprète, à un même auteur, à un même compositeur ou est issu d’un même phonogramme ». Le texte écarte ainsi le risque du développement de radios consacrées à un seul artiste, ce qui « [aurait mis] en péril tout une chaîne économique, du streaming jusqu’à la vente de CD », selon Jean-Pierre Leleux. De même, l’article exclut les services interactifs, qui permettent à l’utilisateur d’influencer le contenu des programmes.

Dans un arrêté du 13 février 2017, le Ministère de la culture a nommé les membres qui devraient composer la formation spécialisée des services de radio sur internet de la commission de perception des droits visée à l’article L214-4 du Code de la propriété intellectuelle. Cette commission devait ainsi être composée de 8 membres, à raison d’un membre chacun pour les sociétés représentant pour une moitié les ayants-droit et pour l’autre les utilisateurs de phonogrammes.

La commission comprend ainsi un représentant chacun pour, d’un côté, la Société civile pour l’administration des droits des artistes et musiciens interprètes (ADAMI), la Société civile des producteurs phonographiques (SCPP), la Société civile des producteurs de phonogrammes en France (SPPF), la Société de perception et de distribution des droits des artistes-interprètes (SPEDIDAM) et, d’un autre côté, le Groupement des éditeurs de services en ligne (Geste), le Syndicat interprofessionnel des radios et télévisions indépendantes (SIRTI), le Syndicat national des radios libres (SNRL) et le Syndicat des réseaux radiographiques nationaux (SRN). Célia Vérot, Conseillère d’Etat, a par ailleurs été nommée présidente de la commission, en tant que représentant de l’Etat.

La constitutionnalité de l’extension contestée devant le Conseil d’Etat

Si l’adoption de l’extension de l’article L214-1 aux webradios a été saluée par le Geste, qui s’est félicité de cette « reconnaissance très importante des webradios, qui participent aujourd’hui au renouveau et à la diversité de l’expression radiophonique, dans un paysage FM saturé par manque de fréquences disponibles », elle a été moins appréciée par les producteurs. En effet, la SCPP a déclaré qu’elle contestait la légalité de cette « expropriation », à laquelle elle reprochait de n’être pas justifiée par un motif d’intérêt général et de n’avoir pas fait l’objet d’une indemnisation préalable.

La SCPP et la SPPF ont demandé l’annulation de l’arrêté du 13 février 2017 et, dans le cadre de ce litige, ont soulevé l’anti-constitutionnalité de l’extension de l’article L214-1 aux web radios par la loi création. Les sociétés faisaient valoir que cette extension enfreignait le droit de propriété des producteurs de phonogrammes, en violation de l’article 2 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, en les privant du bénéfice du régime du droit exclusif, c’est-à-dire de la faculté de s’opposer à la diffusion de leurs phonogrammes et de tirer de leur diffusion une rémunération définie par voie contractuelle.

Le Conseil d’Etat a transmis la question prioritaire de constitutionnalité au Conseil constitutionnel, après avoir retenu que cet article n’avait pas été examiné par le Conseil constitutionnel lors de l’examen du texte a priori et qu’il présentait un caractère sérieux.

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