L'édito de Philippe Bailly

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ACE : une alliance mondiale pour lutter contre le piratage

Alors que la Cour de justice de l’Union Européenne vient de confirmer que la plateforme de partage The Pirate Bay portait bel et bien atteinte au droit d’auteur[1], une trentaine de géants des médias ont annoncé la création d’une coalition mondiale pour lutter contre le piratage en ligne. L’Alliance for Creativity and Entertainment (ACE) doit permettre de regrouper leurs ressources pour mener des actions en justice mais aussi sensibiliser davantage les parties prenantes de l’écosystème internet.

30 géants du divertissement audiovisuel au service d’une cause commune

L’Alliance for Creativity and Entertainment réunit une trentaine de membres[2] issus de l’industrie du divertissement. Parfois concurrents, studios hollywoodiens (Disney, Fox, Universal…), chaînes de télévision (HBO, Sky, BBC, Canal+…) et plateformes de streaming (Amazon, Hulu, Netflix…) ont trouvé un point d’accord autour de la lutte contre le piratage. En dépit des mesures mises en place par les industriels du secteur ces dernières années, l’ACE déplore la menace toujours existante incarnée par les sites de téléchargement (DDL, P2P) et de streaming illégaux.

Sur la seule année 2016, l’ACE estime à 5,4 milliards le nombre de longs-métrages et de séries TV téléchargées via un partage en peer-to-peer, à 21,4 milliards le nombre de visites sur des sites illégaux de streaming dans le monde. L’initiative de l’ACE, inédite en son genre de par son caractère international, vise à réduire un phénomène tout aussi mondial. Pour cela, la coalition pourra s’appuyer sur les ressources de la Motion Picture Association of America (MPAA), l’association qui regroupe les principaux studios hollywoodiens, et sur l’expertise de ses services juridiques qui seront mis à la disposition des membres de l’ACE pour monter des actions communes visant les créateurs et diffuseurs de contenus illégaux (et non les utilisateurs).

L’Alliance compte travailler en étroite collaboration avec les autorités et les organisations nationales en charge de la protection des contenus pour mener des investigations et des poursuites à l’encontre des entreprises impliquées dans le piratage. Elle espère également poursuivre les accords volontaires avec les parties prenantes de l’écosystème internet comme les moteurs de recherche et les fournisseurs d’accès à internet. Ces mesures seront renforcées par les efforts individuels des membres de l’Alliance.

Une lutte anti-piratage qui passe aussi par le développement de l’offre légale

L’initiative de l’ACE intervient à un moment où l’offre légale de services de vidéo à la demande n’a jamais été aussi pléthorique. Dans son communiqué, la coalition mondiale rappelle que les efforts consentis par les acteurs de la production et de la distribution de contenus ces dernières années ont permis de faire émerger plus de 480 services en ligne légaux à travers le monde. Alors qu’elle juge l’offre légale dorénavant satisfaisante, l’ACE souhaite désormais redoubler d’efforts pour s’attaquer au problème du piratage massif, qui selon elle ne se justifie plus.

Une pratique qui ne ferait plus sens dans la mesure où l’industrie a appris de ses erreurs passées et que de nouvelles plateformes de distribution en ligne ont vu le jour, en s’appuyant sur des technologies de téléchargement et de streaming aussi performantes que celles des sites illégaux, et en y ajoutant un confort de visionnage (qualité de l’image, fonctionnalités multiples, sécurité de l’offre légale…) et une personnalisation (recommandations de contenus, espace personnel avec préférences de l’utilisateur…) de nature à délivrer une expérience de consommation supérieure à celles des services pirates. En parallèle, l’offre illégale s’est dégradée avec un niveau de sécurité nettement inférieur à celui de ses débuts. D’après le rapport de la Digital Citizens Alliance, un tiers des sites illégaux distribueraient des logiciels malveillants, entrainant ainsi une menace pour leurs utilisateurs (vol d’identifiants, de coordonnées bancaires…) au-delà du seul risque légal.

Face à ces inconforts, les plateformes de vidéo à la demande par abonnement parviennent à tirer leur épingle du jeu. Proposées à des tarifs attractifs (9,99€ en moyenne) ou financées par la publicité, elles offrent un accès en illimitée à un très large choix de contenus, en toute sécurité, sur l’ensemble des supports de visionnage. La formule semble séduire : côté musique, des services comme Spotify, Deezer ou Apple Music représentaient en France un tiers de la création de valeur du marché de la musique enregistrée et comptaient 13 millions d’utilisateurs mensuels en 2016[3] (4 millions d’abonnés).

Côté vidéo, la SVoD aurait séduit 15% des internautes français l’année passée[4]. Ces nouvelles plateformes tirent la croissance du marché vidéo numérique avec un chiffre d’affaires de 109 millions d’euros, en hausse de 36% en 2016 (32% des revenus numériques). De l’autre côté de l’Atlantique, sur un marché plus mature, la SVoD ne cesse d’asseoir sa domination dans la structure des ventes vidéo : fin 2016, la vidéo à la demande par abonnement comptait pour 34% des revenus vidéo et pour 60% des recettes numériques.

Reste que si ces nouveaux modes de distribution séduisent un public de plus en plus large, leur impact sur la réduction du piratage reste difficilement quantifiable et donc vérifiable. Une étude publiée en début d’année 2017 par EY[5] rappelait que la consommation illégale de contenus audiovisuels restait une pratique répandue en France avec 13 millions d’individus pirates[6] et un manque à gagner de 1,35 milliard d’euros. Plus récemment, Mediavision révélait que la pratique du piratage restait très populaire dans les pays scandinaves, pourtant propices au développement d’offres légales (HBO Nordic, Netflix, Viaplay, Dplay…). 16% des scandinaves âgés de 15 à 74 ans admettent ainsi avoir eu recours à un site pirate au cours du mois passé, une proportion qui s’élève à 24% en Suède, pays nordique où la pratique est la plus répandue.

Le maintien du piratage à un niveau élevé peut s’expliquer par l’absence d’offre universelle sur le marché audiovisuel. Contrairement au marché de la musique enregistrée où les catalogues proposés par les plateformes de streaming sont peu ou prou identiques, à l’exception de quelques rares exclusivités, les services de vidéo à la demande par abonnement se livrent bataille sur l’acquisition et la production de contenus exclusifs pour se démarquer et recruter de nouveaux abonnés. Une concurrence qui continue de profiter aux inconditionnels du piratage qui ont tout loisir d’accéder à l’exhaustivité des contenus sur la toile.

[1] Le Monde : Pour la justice européenne, les gérants de The Pirate Bay portent bien atteinte au droit d’auteur

[2] Amazon, AMC Networks, BBC Worldwide, Bell Canada et Bell Media, Canal+ Group, CBS Corporation, Constantin Film, Foxtel, Grupo Globo, HBO, Hulu, Lionsgate, Metro-Goldwyn-Mayer, Millennium Media, NBCUniversal, Netflix, Paramount Pictures, SF Studios, Sky, Sony Pictures Entertainment, Star India, Studio Babelsberg, STX Entertainment, Telemundo, Televisa, Twentieth Century Fox, Univision Communications Inc., Village Roadshow, The Walt Disney Company, Warner Bros. Entertainment Inc.

[3] SNEP : Bilan 2016 du marché de la musique enregistrée

[4] Médiamétrie : Baromètre SVOD

[5] EY : Piratage en France – Estimation du manque à gagner lié à la consommation illégale de contenus audiovisuels

[6] Individus ayant consommé au moins un contenu audiovisuel de façon illégale au cours de l’année 2016

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