L'édito de Philippe Bailly

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Cour de cassation : les FAI doivent prendre en charge les frais de blocage de sites contrefaisants

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Le jeudi 6 juillet dernier, la première chambre civile de la Cour de cassation a rejeté le pourvoi des principaux fournisseurs d’accès à internet (FAI) français, qui demandaient la cassation d’une décision rendue en appel qui mettait à leur charge les frais associés au blocage de sites internet donnant accès illégalement à des œuvres protégées par le droit d’auteur. La Cour a retenu que, nonobstant le régime de responsabilité limitée mis en place par la directive e-commerce, les FAI sont tenus de contribuer à la lutte contre le piratage dès lors qu’ils sont « les mieux à même de mettre fin à une atteinte » au droit d’auteur ou aux droits voisins des titulaires de droits.

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A la demande de l’Association des producteurs de cinéma (APC) et de l’Union des producteurs de films (UPF), la cour d’appel avait mis à la charge des FAI les frais occasionnés par le blocage de l’accès aux sites www.allostreaming.com, www.alloshowtv.com, www.alloshare.com et www.allomovies.com, qui donnaient accès à des contenus contrefaisants. Elle a affirmé à cette occasion qu’il ressort des principes généraux du droit qu’« une partie [ici, les sociétés d’auteurs] qui doit faire valoir ses droits en justice n’a pas à supporter les frais liés à son rétablissement dans ses droits ». Elle a également relevé que les FAI sont à l’origine de l’activité de mise à disposition de contenus protégés en ligne et qu’ils tirent économiquement profit de cette activité, alors que l’équilibre économique des syndicats professionnels, menacé par les atteintes aux droits de ses membres, ne pourrait qu’être aggravé s’ils devaient subir les coûts des blocages en question.

Les sociétés SFR, NC Numericable, Free, Orange, Bouygues Télécom et Darty Télécom se sont pourvus en cassation, arguant d’une part que la cour d’appel n’avait pas assuré de juste équilibre entre la protection des droits de propriété intellectuelle et la liberté d’entreprendre, et d’autre part que, n’étant responsables d’aucun manquement, ils n’avaient pas à supporter le rétablissement des demandeurs dans leurs droits.

L’équilibre entre protection des droits de propriété intellectuelle et liberté d’entreprendre

Pour les FAI, la cour d’appel n’avait pas prouvé que leur obligation de supporter les frais de blocage de sites était « strictement nécessaire et proportionnée » à la défense du droit d’auteur. Selon eux, conclure qu’ils doivent supporter le coût des mesures de lutte contre des contrefaçons pour la simple raison que cela ne leur imposerait pas des « sacrifices insupportables » n’est pas la marque d’un équilibre proportionné entre les intérêts en cause. Ils rappellent qu’ils ne sont tenus que de prendre des « mesures raisonnables », et proposent que le coût des mesures soit pris en charge ponctuellement par chaque demandeur.

La Cour de cassation rejette ces arguments aux motifs que le blocage de ces sites est effectivement strictement nécessaire à la protection des droits de propriété intellectuelle violés par ces sites. Concernant l’équilibre avec la liberté d’entreprendre, elle s’appuie sur la décision Telekabel Wien (C-314/12) du 27 mars 2014 de la Cour de Justice de l’Union européenne pour affirmer que mettre exclusivement à la charge d’intermédiaires techniques de telles mesures ne porte pas atteinte à leur liberté d’entreprendre dès lors qu’il leur est laissé le soin de déterminer les mesures concrètes à prendre pour aboutir au résultat visé.

Responsabilité vs capacité à faire cesser une atteinte

Par ailleurs, les opérateurs télécom affirmaient que les intermédiaires ne sont pas responsables des contenus mis en ligne par des tiers, quand bien même cela ne serait possible que grâce à leur activité. Ils nient en outre tirer profit de la mise à disposition d’œuvres contrefaisantes, faute de preuve certifiant qu’ils plaçaient des publicités sur ces sites. Et selon eux, le fait qu’ils tirent profit de leur activité, sans lien direct avec le piratage, ne justifie pas qu’ils soient tenus de financer seuls la mise en œuvre de mesures de blocage.

Ils contestent l’application du principe général de droit dégagé par la cour d’appel en l’espèce, en soulignant que, n’ayant enfreint aucune obligation légale ou conventionnelle, ils ne sont aucunement responsables, et n’ont donc pas à subir les frais de rétablissement dans leurs droits d’une quelconque entité lésée par des tiers.

Ces raisonnements sont une fois encore rejetés par la Cour de cassation. Sans se fonder sur la question de la responsabilité, elle observe simplement que, nonobstant leur irresponsabilité de principe, fondée sur la directive e-commerce (2000/31/CE), les FAI et autres intermédiaires sont tenus de lutter contre les atteintes au droit d’auteur dans la mesure où ils sont les mieux à même de mettre fin à ces atteintes.

La lutte des FAI contre la contrefaçon : intérêt public ou intérêts privés ?

Incidemment, les demandeurs au pourvoi argumentaient que, le but de la mesure en cause est de lutter contre les atteintes portées aux droits de propriété intellectuelle, et ce but étant d’intérêt général, les dépenses afférentes, de nature publique, ne sauraient être exclusivement supportées par les FAI. La Cour de cassation répond que les intérêts défendus en l’espèce sont des intérêts privés, et qu’en conséquence les FAI ne peuvent se prévaloir du principe d’égalité devant les charges publiques ni des principes qui en découlent.

Ce moyen évoque la question de la place globale des FAI dans la lutte contre la contrefaçon en ligne. Outre le fait que le juge puisse, conformément à l’article L 336-2 de la propriété intellectuelle, ordonner à un FAI de bloquer un site internet pour sauvegarder un intérêt privé, les FAI sont également tenus de participer à la lutte contre la contrefaçon au nom de l’intérêt public, qui revêt en France la forme de la riposte graduée.

L’article L34-1 du Code des postes et des communications électroniques prévoit que les fournisseurs d’accès à internet conservent certaines données de navigation ou de communication sur internet de leurs abonnés, afin notamment de pouvoir répondre aux demandes de la Hadopi. Les articles R331-37 et suivants du même code prévoient spécifiquement les modalités de transmission par les FAI de données permettant l’identification d’abonnés dont l’accès à internet a été utilisé à des fins de reproduction, représentation, de mise à disposition ou de communication au public d’œuvres protégées sans l’autorisation des titulaires de droits pour cette œuvre.

Cette obligation des FAI est fondée sur l’intérêt public attaché à la protection des droits d’auteur en ligne, auxquelles fournisseurs d’accès sont tenus de contribuer. Elle permet ainsi aux FAI de se prévaloir du principe d’égalité devant les charges publiques qui rend les fournisseurs éligibles à une compensation, contrairement à l’hypothèse d’une injonction judiciaire de sauvegarde d’intérêts privés.

Cette compensation, prévue dans le code des postes et des communications électroniques, a été mise en place par décret le 9 mars dernier, concernant les surcoûts identifiables et spécifiques des prestations assurées par les opérateurs de communications électroniques à la demande de la Hadopi. Les surcoûts concernés sont ceux liés « à la conception, au déploiement, au fonctionnement et à la maintenance des systèmes d’information ou, le cas échéant, à leur adaptation, nécessaires au traitement des demandes d’identification des abonnés ».

Pour mémoire, devant le défaut de publication de ce décret, le Conseil d’Etat avait condamné l’Etat à verser à Bouygues Télécom en avril 2016 900 000 euros d’indemnités au titre des 2,4 millions d’adresses IP que l’opérateur avait identifiées.

L’arrêt de la Cour de cassation du 6 juillet permet ainsi de conclure que si la lutte contre la contrefaçon au titre de l’intérêt général n’a pas à être supportée par les seuls FAI, contribuer à faire cesser les contrefaçons portant atteinte à des intérêts privés, en revanche, doit l’être.

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