L'édito de Philippe Bailly

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La BBC, mise en cause pour sa politique salariale présente sa nouvelle feuille de route

Dans cinq ans, la vénérable BBC fêtera son centième anniversaire. Pour l’heure, elle présente une nouvelle feuille de route dans son dernier rapport annuel 2016-2017 tout en devant faire face à une énième tourmente. Le service de l’audiovisuel public britannique doit en effet affronter deux critiques concomitantes de la part du gouvernement qui lui reproche un traitement partial de la santé économique du Royaume-Uni depuis les résultats du référendum sur le Brexit ainsi qu’une mauvaise utilisation des deniers publics en raison de salaires jugés beaucoup trop généreux pour les principales figures de l’antenne.

• La BBC au centre d’une énième polémique sur la bonne utilisation des deniers publics

C’est donc dans un contexte politiquement sensible que la Beeb vient de boucler son premier exercice depuis l’adoption de sa nouvelle Charte Royale qui s’appliquera pour les onze prochaines années, et qui représente pour la BBC une véritable base constitutionnelle puisqu’elle définit les objectifs publics qui lui sont assignés, ses obligations, et garantit son indépendance. De fait, depuis la publication, l’ensemble des commentaires sont focalisés sur la seule question de la disparité salariale entre hommes et femmes au sein de la BBC ou plus exactement au sein du groupe des 96 journalistes, présentateurs et commentateurs les mieux payés. La BBC a en effet été contrainte cette année, et pour la première fois, de publier les salaires de ses « talents ». Avec comme principal résultat un véritable scandale au Royaume-Uni en raison de déséquilibres très importants entre les hommes et les femmes. Quarante des présentatrices parmi les plus connues de la BBC ont envoyé une lettre collective à Tony Hall, Directeur Général, l’exhortant à « agir maintenant » et non d’ici 2020 comme promis, pour corriger cette disparité.

Le sujet, loin d’être anecdotique doit être mis en perspective avec l’histoire récente de la BBC et la cure d’austérité sans précédent mise en place en 2011 suite au gel par le gouvernement de la redevance télé, fixée à 145,50 livres (166 euros) pour les six prochaines années. Le montant des salaires – 194 million de livres pour les 96 talents de la BBC – représente en 2016-2017 11,5% des dépenses de la BBC dans les contenus. Et ce, alors que le service public a dû supprimer 2 000 emplois en six ans dans le cadre d’un plan d’économies de 20% de son budget. La décision avait été prise après neuf mois d’études qui avaient permis d’identifier 670 millions de livres d’économies (767 millions d’euros). Les contribuables britanniques avaient été choqués d’apprendre à cette occasion que les présentateurs étaient payés des millions de livres et que les membres de la direction bénéficiaient de notes de frais pour le moins généreuses. Six ans après, les obligations de transparence imposées à la BBC conduisent à raviver la polémique, et même à l’amplifier en raison des déséquilibres hommes – femmes au sein de ce groupe des 96 talents les mieux payés.

La seconde critique vise la stratégie globale de la BBC, accusée par ses contempteurs de multiplier les mauvais choix dans cette période de restriction budgétaire. Le service BBC Store, un service de vidéo à la demande proposant l’achat et le téléchargement définitif de certains programmes issus du catalogue de la BBC va ainsi fermer ses portes le 1er novembre prochain, après seulement 18 mois d’exploitation et ce alors que le projet était porté depuis de nombreuses années (2012) sous le nom de code « Barcelona ». Le développement aura coûté 30 millions de livres à la Beeb. Un échec qui là encore ravive les mauvais souvenirs des contribuables britanniques qui ont encore en tête le scandale du programme Digital Media Initiative, responsable de l’évaporation de 100M£ après son abandon en mai 2013 (1).

• Une nouvelle feuille de route stratégique pour les trois prochaines années

C’est donc dans un contexte pour le moins compliqué que la BBC profite de son premier bilan depuis l’adoption de la nouvelle Charte Royale pour présenter sa stratégie et une nouvelle feuille de route. Celle-ci s’articule autour de cinq objectifs principaux qui guideront son action pour les trois prochaines années :

– S’assurer que la BBC s’adresse à tous les publics et que chacun puisse y trouver de la valeur,
– Proposer des contenus et des services de classe mondiale,
– Développer l’empreinte mondiale de la BBC,
– Faire de la BBC une entreprise où il fait bon travailler,
– Gérer la BBC de manière à assurer la stabilité financière.

Chacun de ces objectifs est décliné en priorités stratégiques dont la plupart sont accompagnées d’indicateurs chiffrés qui doivent permettre d’évaluer concrètement les résultats.

Si on laisse de côté les deux derniers objectifs qui relèvent de la politique managériale et la bonne gouvernance, les trois premiers s’inscrivent dans une vision pour le moins ambitieuse puisqu’il s’agit de « redéfinir le service public audiovisuel pour la prochaine génération » en s’adaptant aux nouveaux usages de consommation. On retrouve donc ici un des leitmotivs de la BBC depuis plusieurs années et qui consiste à réussir à mettre en place les stratégies adéquates pour atteindre son public quel que soit l’endroit où il se trouve. C’est d’autant plus une nécessité aujourd’hui que le nouvel environnement numérique se traduit à l’échelle du groupe (radio et télévision confondues) par des pertes d’audience évaluées par la BBC entre 20 et 30% auprès des 16-34 ans. Si la tendance se poursuit, la BBC s’attend à ce que d’ici 2020 une minorité importante des contribuables assujettis à la redevance ne participent plus à « la conversation nationale » qu’elle tente d’animer et trouvent donc illégitime de continuer à payer pour un audiovisuel public.

La mise en place de nouvelles stratégies de distribution est donc centrale pour atteindre cet objectif. Force est pourtant de constater que peu de choses nouvelles sont annoncées pour les trois prochaines années. Il s’agit au contraire essentiellement de la poursuite de chantiers déjà lancés, parfois depuis plusieurs années maintenant. On retiendra deux axes principaux. D’abord la réinvention du service historique de télévision de rattrapage de la BBC, le iPlayer qui, selon le groupe public incarne la principale révolution intervenue durant la période de la précédente Charte Royale, soit la dernière décennie. Pour la Beeb le temps est venu désormais de transformer le service de rattrapage en un véritable service de destination. Un chantier qui a déjà été annoncé et mis sur les rails mais qui va devoir s’accélérer. L’enjeu est que le iPlayer devienne le premier service de télévision en ligne en doublant son taux de pénétration d’ici 2020 (il est aujourd’hui utilisé par 6 millions d’adultes en moyenne chaque semaine) et en multipliant par quatre le temps passé sur le service par chaque utilisateur. Ensuite, multiplier les innovations dans le numérique. Mais là encore peu d’annonces concrètes mais plutôt un simple rappel de l’existant : le succès des applications dédiées aux enfants, téléchargées 12 millions de fois ; le succès de la déclinaison de Radio 1 sur YouTube, « the biggest radio station in the world » sur la plateforme de partage vidéo ; et bien sûr l’abandon de la diffusion traditionnelle pour la chaîne BBC Three, devenue l’année dernière un service uniquement numérique dont les formats innovants sont accessibles sur l’ensemble des plateformes et des réseaux sociaux. On retiendra également un élément transverse aux différentes innovations numériques, l’importance accordée par la BBC à la personnalisation des expériences. Tous les services, futurs ou existants seront logués afin de récolter et d’analyser les données liées aux utilisateurs et à leurs usages afin de proposer des nouvelles formes plus individualisées d’accès aux contenus. « Une priorité pour les mois et les années qui viennent ».

Outre la poursuite de l’innovation dans la manière de distribuer ses programmes, l’autre pilier pour atteindre ses objectifs réside pour la BBC dans le développement de son bras armé commercial, BBC Worldwide, en charge de vendre ceux-ci dans le monde entier. Celui-ci présente des résultats financiers positifs à l’issu de l’exercice 2016-2017 avec une augmentation tant des recettes que des profits. La division a ainsi pu reverser 210 millions £ à la BBC grâce à des ventes internationales qui ont dépassé le milliard de livres (1,060 Mrd£), soit une augmentation de 3% par rapport à l’année précédente. Le groupe public mentionne également les bonnes performances des services SVoD (BritBox aux Etats-Unis) ou des chaînes gérées directement par BBC Worldwide comme UKTV (détenu à parité avec Scripps Networks Interactive), BBC First (Australie), BBC Earth (en Inde et dans les Balkans avec Sony Pictures Network) ou BBC AMERICA (dont 49,9% appartient désormais à AMC Networks). La principale piste de développement clairement énoncée réside dans des synergies beaucoup plus importantes qu’aujourd’hui avec une autre division, BBC Studios, en charge de la production des contenus originaux permettant à la BBC d’augmenter la partie de son catalogue sur laquelle il dispose de l’ensemble des droits. Pour réussir ensuite à mieux exporter ces programmes, BBC Studios et BBC Worldwide sont donc appelés à l’avenir à travailler en étroite collaboration.

(1) Le programme DMI visait à créer un nouveau système informatique interne à la BBC pour le stockage et l’exploitation de ses archives audiovisuelles. Siemens avait été retenu à l’origine avant que la BBC ne décide d’internaliser le projet. L’échec a été total au point de susciter une enquête puis un rapport extrêmement sévère par le Comité des Comptes Public du Parlement britannique.

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