L'édito de Philippe Bailly

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La commission culture du Sénat envisage une intervention législative sur la chronologie des médias

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La commission de la culture, de l’éducation et de la communication du Sénat a rendu fin août son rapport sur la chronologie des médias. La commission a auditionné les représentants des créateurs, producteurs, diffuseurs et exploitants, les représentants du secteur de la télévision gratuite et ceux du secteur de la télévision payante pour trouver des solutions au blocage des négociations sur une révision de la chronologie des médias. Le rapport retient que les objectifs partagés par les acteurs auditionnés sont notamment l’amélioration de la disponibilité des films pour répondre aux attentes du public, l’incitation des nouveaux acteurs à entrer dans le système de financement de la création, la lutte contre le piratage et le fait de récompenser les acteurs vertueux. Elle évoque également la possibilité pour le législateur d’intervenir pour faire avancer l’évolution de la chronologie.

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Le contexte

Le rapport de Catherine Morin-Desailly sur la chronologie des médias intervient suite à l’échec des négociations entre les acteurs compétents pour une révision de l’accord professionnel du 6 juillet 2009. La commission culture du Sénat a procédé à des auditions de tous les représentants des professions concernées, à l’exception de Netflix et Amazon, qui ont décliné l’invitation à y participer.

La chronologie actuelle est déterminée pour partie par la loi, qui a fixé à 4 mois la période d’exploitation des œuvres cinématographiques en salle, et à 4 à 10 mois après la sortie en salle la fenêtre de vidéo à la demande à l’acte (VàD) et de vente ou location physique de vidéogrammes. Les autres fenêtres sont fixées par l’accord professionnel de 2009.

Les sénateurs font le constat, partagé par tous les professionnels du secteur, de l’obsolescence de la chronologie des médias, dont le cadre n’est adapté ni aux nouveaux usages ni à la conjecture économique du secteur. Le fonctionnement classique du domaine est en effet confronté à l’apparition sur le marché des grands acteurs internationaux comme Netflix ou Amazon, qui ne sont pas soumis au respect de la chronologie des médias et qui ne participent pas au financement de la création cinématographique française.

Tous les acteurs auditionnés ont manifesté leur attachement au renforcement des dispositifs de lutte contre le piratage, considéré par beaucoup comme un prérequis à toute discussion sur les règles applicables au secteur cinématographique national.

Producteurs, créateurs, exploitants et distributeurs pour des fenêtres glissantes

La première session d’auditions a rassemblé de nombreuses sociétés d’auteurs, syndicats et fédérations représentant les créateurs, producteurs, exploitants et distributeurs. Les positions de ces acteurs se rejoignaient globalement sur la question du dégel de la fenêtre de VàD et sur la mise en place de fenêtres glissantes (qui permettent, si une fenêtre réservée n’est pas utilisée par aucun acteur concerné, de passer directement à la fenêtre suivante), deux options mises en avant pour améliorer l’offre légale en France. Le dégel de la VàD est présenté par ailleurs comme permettant une exploitation suivie de l’œuvre, à laquelle les sociétés de gestion collective sont particulièrement attachées, tandis que la proposition sur les fenêtres glissantes favoriserait la fluidité de la diffusion sans empiéter sur les exclusivités. Sur ce dernier point, certains acteurs comme le SPI et la SRF insistent lourdement sur son encadrement strict, afin d’éviter tout abus.

Tous ces opérateurs ou presque sont également unis dans leur opposition à l’autorisation de la publicité sur le cinéma, jugée néfaste pour la diversité culturelle. L’introduction d’une troisième coupure publicitaire pour les films d’une durée supérieure à 1 heure et 45 minutes suscite également de nombreuses oppositions.

L’idée de faire dépendre la chronologie de l’investissement initial divise. Si la SRF envisage de subordonner la place de chaque opérateur dans la chronologie au montant de ses investissements, dans le but d’encourager ces opérateurs à investir dans la création, le SPI et la FNDF en revanche se montrent attachés au maintien de règles communes pour tous, qui protègent les acteurs les plus faibles de la loi du marché.

Les services de télévision gratuite contre un assouplissement pour la VàDA

Les acteurs auditionnés (France Télévisions, TF1, M6 et Arte) sont d’accord dans la majorité de leurs revendications : l’introduction d’une troisième coupure publicitaire pour les films d’une durée supérieure à 1h45, la levée des « jours interdits » de diffusion de films et la levée de l’interdiction de la publicité pour les films. La mise en place de fenêtres glissantes est également globalement approuvée.

Le fait que Canal + puisse exploiter son service de rattrapage sur 30 jours au cours de sa fenêtre d’exploitation à 12 mois est fortement critiqué ; France Télévisions pointe ici un « détournement de l’esprit de la loi » et demande une limitation du « replay » à 7 jours maximum, tandis que TF1 se plaint d’une fenêtre de VàDA ouverte à 12 mois. En outre, les acteurs internationaux qui ne participent pas au financement de la création française doivent, selon les opérateurs de télévision en clair, être exclus du système de chronologie des médias. Pour Jean-Michel Counillon, secrétaire général de TF1, aucune avancée de la fenêtre de VàDA n’est envisageable : « La fenêtre à 36 mois nous protège contre ces acteurs, que j’appelle des pirates ».

Altice fait cavalier seul pour une fenêtre VàDA à 12 mois

Lors de leur audition, Canal + et Orange ont fait des propositions relativement similaires. Tous deux sont pour une distinction entre les acteurs dits « vertueux », qui participent au financement du cinéma, et les autres ; Canal + propose à cet effet de faire passer la première fenêtre de diffusion payante à 6 mois au lieu de 12 (ou 10), ce qui impliquerait une avancée de 4 mois pour les fenêtres de tous les acteurs vertueux, tandis que les autres acteurs se verraient imposer le modèle actuel. En contrepartie de cela, la chaîne cryptée se dit prête à accepter le dégel de la VàD sur la fenêtre Canal +, et à étendre ses engagements jusqu’à 2022 ou 2023. En revanche, elle est opposée à la mise en place de fenêtres glissantes, car ce serait une incitation pour les autres acteurs à préacheter des films dans le but exclusif d’en priver Canal +.

Orange est également prêt à accepter le dégel de la VàD, et incite à la prudence vis-à-vis des fenêtres glissantes, dont la mise en œuvre est susceptible de complexifier les règles.

Altice de son côté se déclare favorable à l’alignement des fenêtres sur le degré de financement de la production, et demande l’alignement de la fenêtre VàDA sur la première fenêtre de télévision payante.

La question de l’intervention du législateur

Bien que la directive « Services de médias audiovisuels » impose que les délais de diffusion soient déterminés par accord professionnel des représentants du secteur, Catherine Morin-Desailly évoque à plusieurs reprises une intervention du législateur en la matière, afin de couper court aux hésitations et à l’échec des négociations.

Elle envisage ainsi d’intégrer dans une initiative législative certains grands principes liés à la chronologie des médias, en réservant aux corps professionnels constitués le soin d’en déterminer les applications pratiques. Elle se dit favorable à l’introduction dans la loi du principe de chronologie précoce pour les acteurs vertueux. Elle évoque également au titre des options envisageables la mise en place de fenêtres glissantes et le dégel de la VàD, qui favorisent l’offre légale, ou encore la réduction à trois mois de la fenêtre d’exploitation en salle pour les films « qui ne trouvent pas leur public en salle ». Jean-Pierre Leleux conclut : « nos propositions, nos conclusions sont des pistes, non pour inscrire des périodes dans la loi mais pour inciter les opérateurs à trouver un accord ».

Pour autant, Mme Morin-Desailly signale que le rapport fait office de synthèse, dans l’optique de pousser les professionnels à trouver un accord avant la fin 2017. A défaut, le législateur réfléchira à une intervention à partir de 2018.

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