L'édito de Philippe Bailly

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Disney organise une alliance tardive mais d’envergure des studios dans la VoD transactionnelle

 

Après quatre années d’efforts, Disney a finalement réussi à convaincre l’industrie d’Hollywood de rejoindre son projet de casier numérique commun. Disney Movies Anywhere n’est plus et s’est transformé le 12 octobre en Movies Anywhere accueillant de ce fait les catalogues de la 20th Century Fox, Sony Pictures, Universal et Warner. Bros. La plateforme permet aux utilisateurs d’héberger et de gérer leur vidéothèque personnelle à partir des copies numériques des films achetées sur les principaux services de vidéo à la demande. Après plusieurs années de guerre des standards entre UltraViolet et le KeyChest de Disney, il s’agit incontestablement d’une avancée majeure. Mais elle arrive trop tardivement sauf à préfigurer une alliance plus ambitieuse encore des studios sur la vidéo à la demande par abonnement.

  • Les particularités du nouveau Movies Anywhere.

Movies Anywhere est calqué sur le fonctionnement de Disney Movies Anywhere (DMA) qui avait été lancé en 2014 aux Etats-Unis. La plateforme reste pour l’instant limitée au territoire des Etats-Unis. Elle ne permet pas d’acheter directement des copies numériques mais simplement d’héberger, d’agréger et de visionner celles qui ont déjà été achetées sur les quatre principaux sites de vidéo à la demande américains qui proposent de l’EST : iTunes, Google Play, Amazon Video et VUDU. Comcast, autre acteur important pour le téléchargement définitif, est absent de la liste malgré un accord signé en 2016 avec Disney pour rendre son propre store compatible avec DMA. Autres absences notables, celles de Microsoft Movies & TV et de la boutique de Verizon.

Concrètement, après création d’un compte Movies Anywhere, tous les films achetés sur ces services se retrouveront automatiquement dans la bibliothèque commune. En revanche, si un utilisateur souhaite acheter un nouveau film, il peut vérifier sa disponibilité puisque le catalogue complet des films compatibles est proposé sur Movies Anywhere mais la plateforme redirigera pour l’acte d’achat vers une des boutiques partenaires : iTunes par défaut pour les utilisateurs de terminaux Apple et Google ou Amazon pour les utilisateurs d’Android. Le choix est libre au sein de l’univers PC.

Movies Anywhere propose également d’importer dans sa bibliothèque la copie numérique des films achetés sur supports physiques, DVD ou Blu-ray. Disney propose le système Digital Copy depuis 2008 puis Digital Copy + depuis juin 2013 sur une sélection de titres Walt Disney Pictures, Pixar, Marvel, Touchstone, ABC, Disney Channel et DreamWorks Pictures. La situation est beaucoup moins claire concernant les codes d’activation inclus avec les supports physiques des autres studios, notamment ceux de Sony Pictures qui sont des codes UltraViolet, le format jusqu’ici concurrent.

Concernant les contenus justement, seuls les studios MGM/UA, Paramount (Viacom) et Lionsgate manquent à l’appel – ce dernier a néanmoins annoncé qu’il supportait l’initiative. Les catalogues des cinq autres studios sont bien compatibles Movies Anywhere : ceux de Disney bien sûr mais également ceux de 20th Century Fox, Sony Pictures, Universal et Warner. Bros. Ainsi, 7 300 titres sont éligibles aujourd’hui alors que, pour comparaison,  Disney Movies Anywhere ne proposait il y a quatre ans au moment de son lancement que 420 titres.

Enfin, Movies Anywhere est un service entièrement gratuit et très largement distribué, sous forme de site web et d’applications disponibles sur iOS, Android, Apple TV, Android TV, Chromecast et sur les appareils Amazon Fire. Concernant l’expérience utilisateur, Movies Anywhere semble un peu en deça de son prédécesseur. S’il est possible de créer cinq profils différents, avec une notion de contrôle parental pour les enfants, le visionnage simultané d’un même film est limité à deux appareils. Et ce ne sont que quatre appareils qui peuvent être reliés à un compte, alors que DMA en proposait jusqu’à huit. Movies Anywhere propose un streaming adaptatif mais limité au format HD. La 4K UHD n’est pas disponible.

  • Les principaux enseignements

Les efforts de Disney ont fini par payer et on assiste enfin à l’émergence d’un standard et d’un espace commun à l’ensemble de l’industrie pour promouvoir l’achat définitif des copies numériques des œuvres cinématographiques. Movies Anywhere semble donc en passe de réussir à remplacer le standard UltraViolet porté à bout de bras par le consortium DECE depuis 2011, et qui fut mis en place par les Studios américains  avant de regrouper une centaine d’entreprises des secteurs de la distribution, de la technologie ou de la création audiovisuelle. Mais l’absence de Disney dans le consortium de même que celle d’acteurs du numérique et de la vidéo dématérialisée aussi incontournables qu’Apple, Google ou Amazon avait dès le début remis en cause la promesse d’universalité portée par le DECE. De plus, la complexité apparente du système, inhérente au fonctionnement du consortium et au principe de concurrence entre ses membres, posait question. Malgré plus de 21 millions de comptes créés dans les 13 pays où UltraViolet est disponible, le standard n’a donc jamais vraiment réussi à s’imposer. Il y a fort à parier que les comptes UltraViolet deviennent rapidement compatibles avec Movies Anywhere. VUDU présent dans les deux solutions peut jouer un rôle important. D’ailleurs, dès à présent, les américains qui possèdent une collection UltraViolet peuvent utiliser leur compte VUDU comme une passerelle pour la retrouver automatiquement dans Movies Anywhere. De plus, Sony qui fut l’acteur le plus important au sein du DECE devrait également jouer un rôle de facilitateur maintenant qu’il a décidé – et la décision a certainement été difficile – de s’investir dans la nouvelle plateforme commune.

Outre son poids intrinsèque lié à l’importance de sa marque et à son rôle sur le segment de l’achat définitif grâce à ses franchises irremplaçables, Disney a réussi à imposer sa solution en construisant progressivement un écosystème très complet autour de KeyChest. C’est en effet grâce au rapprochement avec Apple puis Google et désormais Amazon que Disney s’est placé en position de force pour imposer son standard au détriment d’UltraViolet. En décidant de se lancer exclusivement avec Apple dans un premier temps, Disney avait fait un choix risqué et restrictif, allant à l’encontre des principes mêmes de sa promesse initiale. Mais le géant du divertissement américain a réussi ensuite à élargir ce partenariat à d’autres acteurs clés de la distribution numérique. Ce fut chose faite dès novembre 2014 en ouvrant le service Disney Movies Anywhere à Google et à son OS Android. Ce nouvel accord de distribution avait considérablement élargi le parc de terminaux compatibles créant ainsi une base d’utilisateurs potentiels sans équivalent pour le téléchargement définitif. Finalement, la victoire de Disney, entérinée aujourd’hui par les studios concurrents devenus partenaires, a été de replacer l’industrie des contenus au centre de l’équation, au-dessus des écosystèmes en silo des plateformes qui dominent l’univers numérique. Movies Anywhere permet aux studios de s’affranchir des frontières entre les OS et autres magasins d’applications pour proposer une expérience consommateur multiplateformes. La promesse est celle d’un accès universel aux contenus à l’heure où les appareils de lecture, les systèmes d’exploitation et les services de vidéo en ligne se multiplient et ne communiquent pas entre eux.

Le second mérite de Disney réside dans son rôle fédérateur. Alors que son cavalier seul aurait pu conduire les autres studios à tenter eux aussi une aventure solitaire en partenariat avec les distributeurs, débouchant ainsi sur l’éclatement d’UltraViolet et sur une véritable balkanisation du marché du téléchargement définitif, les studios sont finalement réunis pour écrire ensemble une nouvelle page de l’industrie.

Malheureusement, ce nouveau partenariat intervient bien tard et ne concerne que l’achat définitif alors que les usages ont évolué rapidement pendant les sept d’années d’atermoiements. La vidéo à la demande par abonnement s’est imposée comme le modèle économique le plus important pour l’industrie de la vidéo même si le succès de l’EST est une réalité. Aux Etats-Unis les ventes de films numériques avaient progressé de 50% en 2013, mais la croissance avait ralenti à 30% en 2014, puis à 18% en 2015 et 5% seulement en 2016, un rythme qui n’est pas suffisamment rapide pour compenser la baisse des ventes physiques.

 

L’initiative commune des studios derrière Disney et Movies Anywhere semble bien tardive par rapport aux évolutions rapides du marché de la vidéo à la demande. Elle représente néanmoins un mouvement essentiel et structurant pour l’industrie des contenus ainsi qu’une avancée réelle pour les utilisateurs. Il est également difficile de ne pas mettre cette annonce en perspective avec le projet du groupe Disney de lancer d’ici 2019 sa propre plateforme de SVoD. Et l’on se prend à imaginer que le mouvement actuel autour de l’achat définitif pourrait préfigurer un accord du même type autour de la prochaine plateforme de streaming. Si l’idée n’est pas nouvelle, l’expérience de Movies Anywhere lui offre une seconde jeunesse. Reste un problème de taille, celui des relations encore très différentes que les studios entretiennent avec Netflix et consorts. Si Disney ou la Fox se retirent progressivement de Netflix pour reprendre en main la gestion numérique de leurs contenus, en sera-t-il de même d’ici deux ans pour tous les studios ?

 

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