Alors que les acteurs de la grande distribution alimentaire sont investis et performants sur Facebook,…
Alors qu’Amazon ne cesse d’étendre son empreinte sur la distribution de contenus culturels numériques, les initiatives des grandes enseignes françaises en la matière peinent à s’imposer sur le marché. NPA Conseil propose un panorama des projets les plus marquants de ces dernières années.
Alors que les grandes surfaces alimentaires et spécialisées comptent parmi les premiers diffuseurs de produits culturels physiques dans l’Hexagone, aucune d’entre elles n’est parvenue à s’imposer sur l’univers de la distribution numérique de contenus. Si les initiatives n’ont pas manqué depuis plus d’une décennie, toutes ou presque sont restées confidentielles ou se sont soldées par des échecs. Malgré la puissance financière et logistique des différents groupes qui les propulsent (Casino, Carrefour, E. Leclerc, Fnac Darty…), aucun de ces services n’a réussi à séduire le grand public. Cette absence de succès s’explique par un ensemble de facteurs. Parmi les plus récurrents figurent l’arrivée tardive sur des marchés encombrés et/ou préemptés par des acteurs mondiaux, l’absence de stratégie numérique volontariste et de moyens alloués conséquents (humains, financiers, marketing) ou encore la non maîtrise ou la maîtrise incomplète des aspects technologiques indispensables au bon développement de ces offres.
Si la Fnac, avec son statut particulier d’agitateur culturel, a pris conscience très tôt de l’importance de basculer dans l’ère numérique pour y trouver des relais de croissance, certaines enseignes de la grande distribution ont tergiversé avant de se lancer (Casino, E. Leclerc) ou ont simplement choisi de ne pas investir l’univers de la culture dématérialisée (Auchan). Dans les deux cas, ces choix peuvent apparaître risqués à l’échelle d’internet, territoire chaque jour un peu plus concurrentiel, car dans le même temps un pure player comme Amazon n’a pas hésité à se positionner progressivement sur l’ensemble des pans de la distribution culturelle – jusqu’à en devenir un acteur majeur aux États-Unis (première librairie de livres numériques, deuxième plateforme de SVOD derrière Netflix…) – et nourrit aujourd’hui de grandes ambitions à l’international. En tant qu’acteurs historiques de la distribution de produits culturels physiques, ces grandes enseignes auraient toute la légitimité pour occuper une place qui, si elle n’est pas prépondérante face aux leaders mondiaux du secteur (Apple, Google, Netflix, Amazon, Spotify…), pourrait être complémentaire à l’image des offres proposées outre-Atlantique (notamment celle du leader Walmart, Vudu).
En sa qualité de première enseigne culturelle de France, la Fnac multiplie les initiatives dans le domaine de la distribution numérique de contenus. Face à la contraction des ventes de supports physiques (CD, DVD) dont elle est le leader historique en France, l’enseigne décide de capitaliser sur sa marque et sur la qualité reconnue de ses experts pour commercialiser dès 2004 une première offre de téléchargement musical baptisée fnacmusic.com (>300 000 titres à son lancement). Deux ans plus tard, l’enseigne investit le champ des logiciels et jeux vidéo ainsi que celui de la vidéo à la demande à l’acte (location et achat définitif). Pour ce faire, la Fnac choisit de s’associer à Glowria, spécialiste de la location de DVD en ligne et opérateur de services de VOD, pour proposer un catalogue composé d’un millier de films, séries TV et documentaires à son lancement. Fin 2008, l’enseigne lance un enregistreur-décodeur TNT, en association avec l’équipementier Netgem et une nouvelle fois Glowria pour le catalogue VOD. En novembre 2010, la Fnac se positionne sur le marché du livre numérique et inaugure FnacBook, sa liseuse électronique développée par le concepteur Mobiwire.
Chacune de ces initiatives se solde néanmoins par un échec. Les ventes du FnacBook, estimées à 14 000 exemplaires sur ses six premiers mois de commercialisation, sont jugées anecdotiques par le groupe. Un an après son lancement, le FnacBook est retiré des ventes au profit d’une nouvel appareil, le Kobo by Fnac[1], pour contrer Amazon et le déploiement de son Kindle en France. Avec 100 000 exemplaires écoulés en un an, le Kobo by Fnac est considéré comme un succès. Début 2013, la Fnac abandonne le marché du téléchargement musical sur lequel elle n’est jamais parvenue à s’imposer (PdM inférieure à 4% en 2012 face monopole d’iTunes et ses 70% de PdM) et choisit de rediriger ses acheteurs vers le service d’Apple (via un accord d’affiliation). Le service de vidéo à la demande subit le même sort et ferme ses portes au début de la décennie. Dans chacun des cas la Fnac explique ses échecs par son incapacité à développer ou à s’approprier les technologies requises pour s’imposer sur ces marchés. Les marchés du téléchargement musical comme celui de la vidéo à la demande sont préemptés par des acteurs issus du monde de la technologie (Apple, Amazon, Google…) alors que la Fnac est avant tout un distributeur de contenus dont la principale force est l’éditorialisation. La politique de DRM, les moteurs de recherche perfectibles ou encore les processus de paiement ralentis par une avalanche de clics pour finaliser une transaction sont autant de facteurs qui ont pénalisé l’expérience client. La concurrence d’acteurs mondiaux et l’émergence de nouveaux modes de consommation, sous la forme d’abonnements streaming notamment, ont quant à elles fini de précipiter la fermeture des services de la Fnac.
L’histoire se répète en 2014 avec une tentative sur le marché encombré du streaming audio. Nommé Jukebox, le service se distingue de ses concurrents en ne proposant pas de formule gratuite (financée par la publicité) mais seulement un mode d’abonnement payant avec une première option à 2 € par mois pour une écoute illimitée de 200 titres choisis par le client et une seconde à 4,99€ pour un accès au service de manière illimitée (+ une option à 5€ par mois pour écouter ses titres sur smartphones et hors connexion). Les mêmes causes semblent avoir entrainé les mêmes effets puisque la Fnac décide de stopper l’aventure Jukebox à l’été 2017 alors que le service se limite à quelques dizaines de milliers d’abonnés seulement. Face à la concurrence des leaders internationaux (Spotify, Deezer, Apple Music…), eux aussi en quête de rentabilité, l’offre de la Fnac n’est jamais parvenue à séduire le grand public. Malgré un positionnement prix plus agressif que celui de ses rivaux, Jukebox a souffert de son arrivée tardive sur le marché et de moyens financiers et technologiques insuffisants pour espérer gagner sa place face à des acteurs mondiaux. Un constat qui a conduit l’enseigne à revoir sa stratégie dans le domaine de la musique dématérialisée. En septembre 2017, la Fnac choisit de s’allier avec Deezer pour une série de partenariats exclusifs permanents : les clients de la Fnac et de Darty (magasins et sites web) peuvent profiter de 3 mois d’abonnement à Deezer Premium+ pour tout achat d’un produit audio (casques, enceintes…). Pour les acheteurs de CD/vinyles, le service de streaming est proposé à 1€ par mois pendant 3 mois au lieu de 9,99€. Cette alliance permet en outre de pré-écouter 30 secondes des CD/vinyles de son choix sur fnac.com (des bornes d’écoute seront également installées dans le réseau de magasins Fnac avec une application spécifique Deezer).
L’enseigne est par ailleurs de nouveau présente sur l’univers de la vidéo à la demande depuis l’été 2015 avec un service de VOD locative et d’achat définitif intitulé FnacPlay. La Fnac a cette fois-ci choisi de s’associer à VOD Factory, un opérateur spécialisé dans l’édition de services VOD en marque blanche (Club Vidéo SFR, Cstream…). Cette nouvelle offre repose sur les piliers de la Fnac que sont l’expertise de ses salariés, sa grande capacité d’éditorialisation et l’articulation avec le réseau de magasins de l’enseigne (promotions permanentes pour les adhérents Fnac, mise en avant de FnacPlay en boutique, cartes cadeaux FnacPlay, copies numériques offertes pour l’achat de certains coffrets DVD ou produits techniques…).
Les acteurs de la grande distribution alimentaire, dont certains comptaient encore il y a peu parmi les premiers diffuseurs de biens culturels en France, se sont eux aussi essayés à la distribution de contenus dématérialisés, sans grande réussite à ce jour. Alors que les linéaires dédiés à la vente de produits culturels se réduisent drastiquement en magasin, la recherche de relais de croissance numériques ne semble pas élevée au rang de priorité, principalement en raison d’un niveau de marge peu attractif pour ces grandes enseignes. La plupart de ces offres ont en commun un positionnement familial avec des tarifs agressifs. Elles se rejoignent également dans le fait d’apparaître sur le marché sans réelle promotion et sans que de véritables synergies magasins/sites en ligne ne soient mises en place. Comme leur arrivée sur le marché, leur disparition se fait le plus souvent dans l’anonymat. Retour sur les initiatives les plus marquantes de ces dernières années
Groupe Carrefour
E. Leclerc
Groupe Casino
[1] Liseuse fabriquée en partenariat avec la société canadienne Kobo, propriété depuis 2012 du groupe japonais Rakuten.