L'édito de Philippe Bailly

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La portée du règlement « câble/sat 2 » réduite au Parlement et au Conseil

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La commission des affaires juridiques du Parlement européen, saisie au fond sur la proposition de règlement sur les services en ligne des organismes de radiodiffusion, et la présidence estonienne du Conseil de l’Union européenne ont chacun adopté leur position sur le texte. La portée du principe de pays d’origine, qui dans la proposition initiale de la Commission européenne devait s’appliquer aux services accessoires des organismes de radiodiffusion, est réduite dans chacun de ces textes. Le rapport de la commission JURI préconise de limiter l’application de ce principe aux services en ligne relatifs aux programmes d’information et d’actualité. De son côté, les ministres estoniens recommandent d’écarter l’application de ce principe aux œuvres protégées intégrées dans les programmes qui sont diffusés en ligne dans le cadre des services accessoires des organismes de radiodiffusion. Les contenus sportifs sont également exclus.

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La proposition de règlement « câble/sat 2 » vise à favoriser la circulation sur internet des programmes de télévision dans l’Union. Pour ce faire, deux mesures principales sont mises en avant par la Commission. Tout d’abord, elle souhaite appliquer le principe de pays d’origine aux services accessoires proposés en ligne par les organismes de radiodiffusion (simulcasting, rattrapage et contenus additionnels). Cette mesure impliquerait que les actes de communication au public effectués par un organisme de radiodiffusion seraient présumés n’avoir lieu que dans le pays d’établissement de l’organisme, quand bien même ils seraient disponibles dans plusieurs pays dans l’Union. Ainsi, l’acquisition des droits pour ces services dans le seul pays de l’établissement suffirait pour rendre accessible ces services à l’Union entière.

La deuxième mesure visait à faciliter l’acquisition des droits sur les programmes de télévision pour les retransmissions sur des réseaux fermés (dont le nombre d’abonnés est précisément défini), en posant que seules les sociétés de gestion collectives sont habilitées à concéder les droits pertinents pour cette utilisation. La proposition faisait bénéficier aux sociétés de gestion collective qui gèrent les droits de cette catégorie d’une présomption de gestion de ces droits au nom des titulaires de droit.

Le cantonnement à l’extrême du principe de pays d’origine au Parlement européen

Dans le rapport de la commission JURI sur la proposition de règlement « câble/sat 2 », l’objectif de favoriser la circulation des programmes à l’intérieur de l’Union semble avoir reculé au profit de la préservation du principe de territorialité. Le texte limite en effet l’application du principe de pays d’origine aux services accessoires rendant accessible des programmes d’information et d’actualité. En outre, il précise expressément que l’application de ce principe ne limite en rien la territorialité des droits et la liberté des parties de déterminer les critères ou la méthode de calcul des redevances dues pour les droits soumis au principe de pays d’origine. Les parties demeurent donc libres de convenir de limites à l’exploitation territoriale des programmes visés par les services accessoires soumis au principe de pays d’origine.

De plus, le rapport précise que l’exploitation d’un programme par le moyen de l’injection directe (c’est-à-dire la diffusion simultanée au public sur réseaux fermés des programmes transmis par un organisme de radiodiffusion) par des distributeurs tiers au radiodiffuseur implique la responsabilité conjointe du radiodiffuseur et du distributeur au regard de l’acte de communication au public qui intervient via l’injection directe. Ils devront donc obtenir les droits pertinents auprès des ayants-droit.

Pour procéder à la retransmission de programmes, les députés maintiennent l’obligation de recourir aux sociétés de gestion collective, mais le rapport rappelle qu’une retransmission n’est licite que dans la mesure où l’organisme de retransmission a conclu un accord avec les ayants-droit pertinents, c’est-à-dire la société de gestion collective.

Le rapport de la commission des affaires juridiques manifeste donc clairement l’attachement des députés aux principes inhérents à la propriété intellectuelle, et notamment ceux de l’optention préalable des droits avant l’exploitation d’une œuvre (qui par ailleurs n’était pas remis en question par le texte) et la territorialité. Les votes sur ce rapport montrent une opposition entre les conservateurs (PPE, CRE et ENF notamment) qui, avec les députés français (et notamment Jean-Marie Cavada, centriste), ont voté pour l’adoption du rapport, et la gauche (S&D et Verts), qui a voté contre.

Etant donné que la commission JURI ne semble pas avoir adopté dans la foulée le mandat de négociations avec le Conseil, le vote sur ce mandat devrait avoir lieu prochainement en plénière. En cas d’échec, les députés pourront déposer de nouveaux amendements. Le rapporteur de la commission JURI sur ce texte, Tiemo Wölken (S&D) a exprimé avec véhémence son opposition au rapport adopté et a annoncé son intention de contester le texte en plénière.

La présidence du Conseil prudente sur la territorialité

La présidence estonienne du Conseil de l’Union européenne a également adopté sa proposition de compromis consolidée sur la proposition de règlement, qui vient elle aussi réduire la portée du principe de pays d’origine. Les ministres estoniens proposent en effet d’en limiter l’application aux contenus :

  • produits par l’organisme de radiodiffusion
  • commandés par l’organisme de radiodiffusion, s’il dispose des droits d’exploitation sur ces contenus
  • coproduits par l’organisme de radiodiffusion avec des tiers, ou dont les droits lui ont été cédés par un tiers, à l’exception des films, séries tv ou contenus protégés inclus dans la transmission d’événements sportifs.

De plus, les extraits de séries télévisées et de films incorporés dans des programmes de radio ou de télévision sont expressément exclus de l’application du principe de pays d’origine.

La position prudente de l’estonie par rapport à la proposition de la Commission laisse deviner d’importantes divergences dans les positions des ministres. De son côté, Françoise Nyssen a plusieurs fois réaffirmé son attachement au principe de territorialité des droits, « clé de voûte du financement de la production audiovisuelle en Europe »[1].

La Commission européenne impatiente face au ralentissement du marché unique numérique des contenus

La position française au Conseil semble d’autant plus protectrice du principe de territorialité qu’Andrus Ansip, vice-président de la Commission pour le marché unique numérique et grand partisan de l’ouverture du cadre réglementaire pour une plus grande circulation des contenus protégés, s’en est plaint auprès d’Emmanuel Macron. Dans un tweet du 23 novembre, Andrus Ansip a dénoncé une incohérence entre, d’une part, l’objectif de campagne du Président de créer les conditions de l’émergence d’un « Netflix européen », et la position soutenue au Conseil par Françoise Nyssen. Pour le commissaire européen, la proposition « câble/sat 2 » propose des solutions pour faciliter l’acquisition de droits, condition qu’il estime nécessaire à la création d’une plateforme audiovisuelle européenne compétitive.

L’agacement d’Andrus Ansip peut s’expliquer par un ralentissement notable dans l’avancée des propositions législatives du marché unique numérique qui touchent aux contenus protégés par le droit d’auteur. On peut noter à cet égard le report systématique du vote du rapport parlementaire sur la directive sur le droit d’auteur, prévu pour le 25 janvier 2018, ou la confirmation que le prochain trilogue sur la directive SMA aura lieu sous la présidence bulgare du Conseil. De plus, l’accord trouvé en trilogue sur le règlement visant à contrer le blocage géographique injustifié a retiré du champ d’application du texte les contenus protégés. L’ouverture numérique des frontières continue de s’opposer au principe de territoralité des droits ; si les dernières avancées sur le règlement câble/sat marquent sa persistance, sa survie au long terme n’est pas garantie.

[1] Voir notamment l’audition de la Ministre de la culture devant les commissions de la culture et des affaires européennes de l’Assemblée du 15 novembre dernier

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