L'édito de Philippe Bailly

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Françoise Nyssen : les dits et les non-dits de la réforme audiovisuelle

Mieux affirmer la spécificité du service public, reconquérir les Milléniaux grâce à d’importants investissements sur le numérique, systématiser la recherche de synergies entre les entreprises de l’audiovisuel public… Dans sa présentation des axes de sa réforme, la ministre Françoise Nyssen a revendiqué ce lundi 4 juin une priorité donnée au projet éditorial et au positionnement de l’audiovisuel public, par rapport aux sujets de financement, de gouvernance et de régulation. Il reviendra à la mission composée de Marc Tessier, Isabelle Giordano, Frédéric Lenica, Claire Leproust et Catherine Smadja de s’en saisir au cours des prochaines semaines, en même temps que de conduire la concertation avec les professionnels. Ses conclusions sont attendues pour la mi-juillet.

Les annonces factuelles sont également restées limitées : retrait de France 4 de la TNT et réflexion sur celui de France Ô, triplement du volume quotidien de programmes régionaux diffusés par France 3 (de 2 à 6 heures), lancement de plateformes numériques communes sur la culture, contre les fake news ou encore vers le jeune public, investissement supplémentaire de 150 M€ sur le numérique d’ici à 2022… On retiendra aussi la volonté de « faire évoluer les relations entre l’audiovisuel public et ses producteurs comme le fait la BBC. Les entreprises doivent avoir à leur actif un riche catalogue d’œuvres qu’elles pourront valoriser, en particulier dans l’univers numérique ». Les dirigeants des chaînes, privées comme publiques, ne manqueront pas d’interpeller le gouvernement sur la mise en œuvre de cette intention. Partage des droits et des mandats devraient donc à nouveau se trouver au centre des débats de ces prochains mois.

Mais, de même qu’en psychanalyse, le non-dit est parfois aussi porteur de sens que ce qui est exprimé.

A la triple priorité annoncée à la proximité, à l’information et à l’éducation répondent d’abord, comme pour accentuer l’impression de recentrage vers les strictes missions de service public, l’absence dans le discours de la ministre de toute référence à une approche plus « ludique » de la programmation : divertissement, jeu, sport, fiction… aucun de ces mots n’aura été prononcé.

Si le terme de « synergies » a lui été employé deux fois (et devrait se traduire par le lancement de plateformes numériques thématiques communes ou encore par le rapprochement de France 3 et de France Bleu), il paraît difficile de penser que celles-ci suffiront à boucler l’équation financière de la réforme : en plus des dépenses nouvelles sur le numérique, l’augmentation de la programmation régionale de France 3 ne sera pas neutre. Le budget des antennes régionales est aujourd’hui d’environ 350 M€ par an. A défaut d’une augmentation proportionnelle à celle du volume horaire diffusé, on imagine mal que la régionalisation puisse se faire sans y consacrer au moins 250 à 300 M€. La ministre a par ailleurs assuré que le soutien à la création (évalué à 560 M€) serait sanctuarisé, et elle a concédé ce mardi 5 juin, sur CNews, que l’effort d’économie demandé à l’audiovisuel public pourrait approcher les 300 M€. Une forte réduction de la voilure sur les genres ne relevant pas strictement des trois axes prioritaires qu’elle a énoncé constituera-t-elle le gage permettant de financer ces dernières ? Le non-dit sur ces sujets ne pourra qu’être provisoire.

Difficile aussi de ne pas relever l’absence totale de référence aux projets de plateformes vidéo de France Télévisions, qu’il s’agisse de son service de SVoD – théoriquement toujours « en pause » – ou de celui qui pourrait être mis en œuvre en collaboration avec TF1 et/ou M6.

Les acteurs privés, précisément, et plus généralement la situation économique d’ensemble du secteur audiovisuel, ont été les derniers grands absents du discours de la ministre. Alors même qu’elle concède que « l’environnement a radicalement changé, avec la multiplication des chaînes et des antennes sur les canaux hertziens et avec de nouveaux acteurs mondiaux du numérique qui consacrent des investissements massifs aux contenus », Netflix a été le seul éditeur n’appartenant pas au service public à trouver place dans son propos. L’étude conduite par NPA Conseil sur l’économie de la TNT n’est pourtant pas sans inquiéter : au global, les 11 chaînes privées de la TNT étudiées par le cabinet perdaient en 2016 près de 125 M€, soit 30% de plus qu’en 2015, et deux fois plus qu’en 2012, double conséquence de la fragmentation des audiences et de la difficulté du marché publicitaire à générer de la croissance ;  la perte des droits de la Ligue 1 par Canal+ et la montée en puissance des services OTT (Amazon et Netflix en tête) n’est pas plus rassurante s’agissant du marché de la télévision payante.

Parce qu’il assurera une meilleure complémentarité public / privé, repositionner les chaînes publiques sur leur cœur de mission peut sans doute contribuer à résoudre la difficile équation économique de l’audiovisuel français. Cela ne suffira pas pour autant. Une approche globale est plus nécessaire que jamais.