L'édito de Philippe Bailly

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Réalisation du marché unique numérique, extension de la régulation, fiscalité numérique : quel bilan pour la Commission Juncker ?

Pierre MOSCOVICI – Commissaire européen

A quelques jours des élections européennes et de la fin du mandat de la Commission Juncker, Pierre Moscovici est revenu sur les initiatives portées dans les secteurs du numérique et des médias et sur les chantiers à mener durant le prochain mandat pour voir émerger un marché unique du numérique. Il a rappelé qu’il y a cinq ans, à son entrée en fonction, la Commission Juncker s’est fixé un objectif clair « celui de répondre aux défis soulevés par la digitalisation croissante de nos économies et de renforcer l’intégration européenne en la matière ». Car selon lui, si la révolution numérique est une chance pour l’Europe et un atout incontestable pour le développement et la compétitivité de nos entreprises, elle ne peut se faire au détriment des droits et libertés des citoyens européens, des entreprises traditionnelles ou des sociétés qui reposent sur des principes simples de contribution au bien public et à la redistribution. C’est pourquoi la Commission Juncker s’est engagée pour adapter le marché unique de l’Union européenne à l’ère du numérique, notamment au regard de la répartition de la valeur entre les différents acteurs du secteur numérique.

Directive droit d’auteur

Pierre Moscovici est tout d’abord revenu sur la réforme relative au droit d’auteur récemment adoptée par le Parlement européen. Il a rappelé que le principe défendu par la Commission depuis le début est simple « une presse libre, une presse de qualité, c’est une presse justement rémunérée », et que les débats n’ont pas été faciles et la pression des lobbies très forte. « Pour convaincre, il a fallu dépasser certains clivages culturels car tous les pays européens ne partagent pas notre sensibilité sur ces sujets. J’ai pris part à cet effort de conviction et je me réjouis de ce dénouement heureux » a-t-il indiqué. Ainsi, pour tous les médias créateurs de contenus en ligne, cette directive est une grande victoire pour la liberté d’informer en ce qu’elle donnera notamment le droit aux médias de réclamer le paiement de royalties, lorsque des plateformes numériques diffuseront ou agrègeront des extraits d’articles accompagnés d’un lien. Pour lui, il s’agit dans le même temps d’une excellente nouvelle pour la santé de la démocratie européenne car elle soutient un journalisme libre et de qualité, qui fait malheureusement face à d’importantes difficultés aujourd’hui. Plus généralement, Pierre Moscovici considère qu’elle constitue une avancée considérable dans la répartition de la valeur à l’ère du numérique en ce qu’elle assure une rémunération plus juste de la presse à l’ère du numérique, et notamment des plus petits acteurs vis-à-vis des grandes plateformes de diffusion telles que Facebook, YouTube ou Twitter, tout en lui donnant les moyens de continuer à produire des contenus de qualité.

Directive SMA

Le premier axe de la stratégie de la Commission en matière de numérique a visé à mettre en place un environnement règlementaire plus équitable dans l’ensemble du secteur audiovisuel et à promouvoir les productions européennes, a rappelé Pierre Moscovici « car si elle est assez riche, la visibilité des œuvres européennes en ligne – sur les grandes plateformes de diffusion telles que Netflix ou Amazon – demeure, elle, assez faible ». Pour assurer une meilleure visibilité des œuvres européennes, la Commission européenne a donc procédé à une révision de la directive SMA, prévoyant des nouvelles règles pour garantir la promotion des films européens en imposant aux diffuseurs une part d’au moins 30 % d’œuvres européennes sur leurs plateformes. « C’est un véritable progrès pour tous les acteurs du numérique : les règles révisées encouragent l’innovation dans le secteur audiovisuel européen et permettent l’entrée de nouveaux acteurs sur le marché », a-t-il conclu sur ce sujet.

Lutte contre le piratage et protection des productions européennes

Pierre Moscovici est ensuite revenu sur le second axe de la stratégie européenne pour le numérique qui a consisté à assurer la protection des œuvres et des productions européennes et donc lutter contre  le recours à la piraterie audiovisuelle. Parce que cette situation est injuste pour les créateurs de contenus qui ne sont pas rémunérés à leur juste valeur, la Commission européenne a pris ce problème à bras-le-corps par deux séries de mesures. Tout d’abord, en précisant l’interprétation de la directive de 2004 relative au respect des droits de la propriété intellectuelle (IPRED) afin que les autorités compétentes tiennent compte des enjeux liés au nouvel environnement numérique. Ensuite, en cherchant à développer des accords volontaires entre tous les acteurs de la chaîne d’approvisionnement en ligne. Un protocole d’accord a notamment été conclu en juin 2018 par les acteurs du secteur de la publicité en vue de réduire le nombre de publicités mises en ligne sur les sites internet portant atteinte à la propriété intellectuelle et de les priver de leur source majeure de revenus. « J’ai conscience que beaucoup reste encore à faire pour enrayer définitivement la piraterie audiovisuelle. Je peux vous assurer que les autorités européennes sont très attentives aux pistes mises sur la table par les autorités nationales et les experts du secteur car c’est un combat que nous gagnerons ensemble ou que nous ne gagnerons pas » a déclaré le Commissaire européen.

Imposition des géants du numérique

Pierre Moscovici a rappelé les propositions qu’il a portées pour adapter les règles fiscales européennes à l’ère du numérique. En effet, les critères traditionnels sur lesquels a été bâtie la fiscalité (Etat d’établissement, localisation des salariés…) peinent à s’appliquer avec les nouveaux acteurs numériques, ce qui justifie la mise en place d’une fiscalité spécifique. Il a ainsi formulé deux propositions, une taxe numérique sur le chiffre d’affaires et l’identification d’une empreinte numérique, pour que les grandes entreprises du numérique soient justement taxées dans l’Union car aujourd’hui « elles sont à peine, voire pas du tout, taxées alors même qu’elles engendrent des bénéfices pharamineux souvent en diffusant des contenus numériques qu’elles n’ont la plupart du temps pas produits. J’ai ainsi voulu mettre un terme à cette injustice fiscale ». Il a bien insisté sur le fait qu’il ne s’agit néanmoins pas d’une bataille contre les entreprises numériques ou d’une croisade de la Commission contre ces acteurs, mais qu’il « s’agit simplement de vivre avec son temps car on ne peut pas vivre avec une fiscalité qui a cent ans. L’économie numérique représente une chance immense pour l’Europe mais pour en tirer pleinement bénéfice, il faut faire un effort d’adaptation, notamment en matière fiscale ». Il a fait part de ses regrets sur l’échec des négociations entre les Etats membres sur lesdites propositions, tout en reconnaissant qu’il ne s’agissait pourtant pas d’une surprise car il était clair que les pays les plus opposés à ces initiatives ne changeraient pas leur position. Au contraire, il s’est dit satisfait du chemin parcouru et du fait que ces initiatives aient fait de la question de la taxation du numérique une priorité politique à deux échelles. D’une part, à l’échelle européenne où le débat s’est renforcé car sur la mise en place d’une taxe numérique « nous sommes passés de 8 à 24 Etats favorables », et où de nombreux Etats membres comme l’Espagne, le Royaume-Uni, l’Italie et la France commencent à mettre en place leur propre taxe sur le modèle de la taxe proposée par la Commission. D’autre part, à l’échelle internationale car les lignes des Etats tiers ont commencé à bouger sous l’impulsion européenne, et que ce mouvement pourra se poursuivre lors du G20 à Osaka. A cette occasion, il sera important selon lui que l’Union défende une position commune et forte pour que les Etats tiers participent à la formulation d’une solution commune « qui reste la meilleure des options possibles ». A cet effet, Pierre Moscovici espère qu’une solution globale sera trouvée d’ici 2020.

Modernisation des règles de TVA

Pour finir, Pierre Moscovici a dit quelques mots sur les progrès accomplis pour moderniser les règles de TVA. Il a par exemple tenu à ce que la réforme du système de TVA au sein de l’Union tienne compte des spécificités du e-Commerce. Grâce aux propositions européennes qui entreront en vigueur en janvier 2021, les entreprises en ligne pourront tirer pleinement parti du marché unique de l’Union tandis que celles qui ne respectent pas les règles ou se livrent à la fraude, ne pourront plus pratiquer des prix inférieurs. « Une nouvelle fois, tout est une question d’équité ». Ensuite, il a expliqué s’être battu pour donner la possibilité aux Etats membres d’aligner le taux de TVA des publications numériques sur celui des publications traditionnelles papier car « un livre est un livre, un journal est un journal, quel que soit le support ». Pour lui, il était temps de moderniser le cadre législatif européen pour refléter cette évidence. Un accord a été obtenu en novembre dernier, accord très attendu par le monde de l’édition confronté à l’évolution des pratiques de lectures. « Cela démontre que la Commission applique le principe de justice et d’équité dans les deux sens. Nous ne voulons pas entraver l’activité des entreprises du numérique, les seuls et uniques objectifs que nous poursuivons sont ceux de l’équité et de l’intégrité de notre marché unique ».

En conclusion, le Commissaire européen a déclaré qu’il est indispensable que le chantier pour la création d’un marché unique du numérique se poursuive sous la prochaine Commission. « Je vous invite à maintenir un dialogue régulier avec les futurs leaders européens car c’est ensemble que vous pourrez relever le défi du numérique – qui est indéniablement un des enjeux majeurs du 21ème siècle – et que vous pourrez faire de l’Europe un modèle en matière de gouvernance et d’encadrement des activités du numérique ».

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