L'édito de Philippe Bailly

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Fake News : le bouc émissaire Facebook et la triple responsabilité des politiques, des médias et des marques

Un soupçon de cynisme, une bonne dose de « petit bout de la lorgnette » et un principe de rotation du mistigri qui place aujourd’hui Facebook sous le feu des projecteurs, au-lieu de Google hier et, surement, TikTok ou Twitter demain. Les appels au boycott des grands réseaux sociaux sont devenus récurrents (en novembre 2017, par exemple, ils frappaient YouTube Kids). En confondant traitement des causes et actions sur les symptômes, ils représentent aussi une manière facile de se dédouaner et évitent aux politiques, aux médias, aux marques, comme à l’ensemble des citoyens, de faire face au miroir et de se demander la responsabilité qu’ils ont dans la prolifération des fake news et des appels à la haine sur Internet.

Comme à son habitude, d’abord, l’actuel président américain illustre jusqu’à la caricature la contradiction des premiers, après la fureur qui l’a saisi de voir Twitter « signaler » l’un de ses messages (sans le supprimer, ce qui aurait sans doute été le cas pour le commun des mortels) : ma main gauche intime aux réseaux sociaux de combattre avec vigueur les propos de haine ; ma main droite ne supporte pas d’être contrariée. Même quand elle se laisse aller à la pire des virulences. De ce point de vue, certains des messages publiés de ce côté-ci de l’Atlantique pendant la campagne électorale laissent songeurs sur le réel engagement contre la haine de leurs auteurs ou autrices.

La façon dont l’AFP a été piégée ces tout derniers jours par Extinction Rébellion, et est devenue ainsi le propagateur d’une spectaculaire fake news témoigne, elle, de la responsabilité des médias dans leur propre perte de crédibilité. Elizabeth II (BBC World), Martin Bouygues (AFP), Jack Lang (i-télé), Johnny Depp (CNN), Monica Vitti (Le Monde)…, tous bien vivants, ont en commun d’avoir vu leur décès prématurément annoncé par des médias dits, de référence. Quand ces derniers préfèrent renvoyer la « patate chaude » de la confiance dans ce qui est publié vers les réseaux sociaux plutôt que de se concentrer sur l’amélioration de leurs propres process, il ne faut peut-être pas s’étonner que les niveaux d’engagement constatés autour des publications de RT Today soient aujourd’hui incomparablement plus élevés que pour celles du Monde, de Der Spiegel ou de El Pais, comme le relevait ces derniers jours une étude de l’université d’Oxford.

Les indignations des marques, enfin, sont aussi nombreux (et touchent également les médias classiques, tels que C8, en son temps. Combien de marques se sont tenues à l’écart plus que quelques semaines, depuis, des émissions de Cyril Hanouna ?), que peu durables. La priorité au contact avec la cible recherchée reprend rapidement le dessus, les investissements reprennent le chemin des supports qu’on avait promis d’ignorer et l’automatisation croissante des processus d’achats d’espace et de media planning constitue une excuse facile.

On pourrait encore, au-delà, disserter longuement sur le rôle de certains sites ou émissions parodiques, et la confusion qu’ils entretiennent parfois entre réalité et parodie, ou sur une forme de bashing dont ils se nourrissent souvent.

Mais rechercher la responsabilité des tiers ne suffit pas.

C’est à chacun d’entre nous, à moi le premier, de procéder à son examen de conscience.

S’inscrire sur un réseau social sous pseudonyme, par exemple, n’est ce pas déjà préparer le terrain permettant de créer ou répercuter fake news et contenus de haine ?

Se retrancher derrière les contraintes d’espace disponible (les 280 signes de Twitter par exemple), pour accepter de caricaturer sa propre pensée, n’est ce pas aussi s’engager sur une pente glissante ?

Afin d’aider les plus jeunes à appréhender avec distance les contenus auxquels ils sont exposés, à être moins crédibles donc et moins susceptibles de devenir un maillon actif de la chaîne de transmission, ce gouvernement s’est engagé à accentuer l’effort d’éducation aux médias dans le cadre scolaire. Comme ses prédécesseurs et comme, sans doute, ses homologues étrangers, et sans que rien ne se passe jamais réellement (j’ai comme souvenir d’avoir participé à la rédaction d’une circulaire ministérielle… au début des années 1990).

C’est sans doute là une clé essentielle, pour inverser la tendance à l’explosion des volumes de fake news et donner à ce combat une réelle efficacité.