L'édito de Philippe Bailly

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Partage des codes : la nouvelle bataille de la lutte contre le piratage

Le 7 avril, la ministre de la Culture présentera en Conseil des ministres le « projet de loi relatif à la protection de l’accès du public aux œuvres culturelles à l’ère numérique ». A quelques semaines près, il se sera écoulé douze années depuis que la loi du 12 juin 2009 a donné une existence légale à la Hadopi. Cet écart illustre la difficulté du temps législatif à évoluer au même rythme que la « vraie vie ». S’agissant du numérique particulièrement.

Une fois dissipées les polémiques qui ont entouré sa mise en place, l’Autorité a agi avec efficacité pour faire reculer le piratage – entre 2018 et 2020, l’audience des sites et applications dédiés au peer-to-peer et autres pratiques illégales a reculé de 33%, rappelle le dossier INSIGHT NPA, citant l’étude « La population pirate en France, Médiamétrie – ALPA »[1] – mais en étant doublement limitée dans son action. Les lois Hadopi 1 et 2, d’abord, lui ont donné compétence pour lutter contre la diffusion illicite des films, séries, documentaires… mais pas contre celle des compétitions sportives puisque celles-ci n’ont pas le statut d’œuvres, d’une part ; l’Hadopi n’a pas autorité pour agir en direct contre les sites de streaming pirate, de l’autre. Ces derniers représentent une part chaque jour croissante de la consommation illicite… mais il est vrai qu’ils étaient tout juste naissants en 2009.

Le projet de loi préparé par Roselyne Bachelot, qui reprend pour l’essentiel les dispositions proposées par son prédécesseur Franck Riester, permettra de corriger ces deux failles. Mais le texte qu’INSIGHT NPA a pu analyser (la version soumise au Conseil d’Etat) ne dit mot du partage de codes.

Ce dernier représente pourtant déjà une source majeure de perte de valeur pour les ayants droit, qu’elle soit le fait de particuliers ayant une vision extensive de la notion de cercle de famille, ou d’une pratique plus organisée (ouverture de comptes d’abonnement à seule fin d’en revendre les codes, échanges sur le dark web de codes dérobés…). Les plus de 4 000 Français interrogés fin décembre 2020 lors de la dernière vague du Baromètre OTT NPA Conseil / Harris Interactive sont près de 17 %, au global, à reconnaître utiliser des codes qui ne sont pas les leurs pour regarder des services de SVoD ou des chaînes de TV payantes. La proportion est supérieure à 25 % chez les 15/24 ans, mais reste proche de 15 % chez les plus de 50 ans. Et, plus inattendu, les femmes (plus de 20 %) en semblent beaucoup plus coutumières que les hommes.

Certains acteurs – et non des moindres – ont joué de ce point de vue au pompier pyromane. INSIGHT NPA rappelle les déclarations répétées des dirigeants de Netflix (« Vous devez apprendre à vivre avec le partage des mots de passe, parce qu’il y a tellement de partage légitime », estimait ainsi, en 2016, son patron Reed Hastings).

Fermer les yeux sur le partage de codes était alors considéré comme un moyen d’augmenter le nombre des utilisateurs… en espérant les convertir progressivement en abonnés.

Pression des ayants droit (non rémunérés sur la part de consommation illicite) et montée de la tension concurrentielle (les lancements de Disney+, HBO Max, Paramount+, Peacock…) poussent aujourd’hui le secteur à se saisir de manière plus rigoureuse du sujet.

Quand Netflix assure que les messages reçus ces dernières semaines par certains de ses utilisateurs n’ont pas plus qu’une valeur de test, les conditions générales d’utilisation des différents services sont en tout cas sans ambiguïté sur la nature – illicite – du partage de codes au-delà du foyer, ainsi que le pointe INSIGHT NPA.

Reste à passer du verbe au geste.

La technologie permet aux éditeurs ou distributeurs de rassembler des éléments de présomption d’un partage non autorisé (des connexions simultanées via des adresses IP correspondant à des localisations très différentes par exemple).

On peut imaginer l’instauration d’un mécanisme inspiré de celui de la riposte graduée, en termes d’envoi de messages d’avertissement avant que puisse jouer, a minima, un droit à résilier le contrat, et potentiellement une demande de pénalités si le partage s’avère avoir été effectué dans un cadre organisé et à fins lucratives.

Le débat parlementaire autour de la loi Bachelot pourrait en être l’occasion.

Souhaitons, a minima, ne pas constater dans douze années que le sujet n’a toujours pas été traité.

[1] La consommation illégale de vidéos en France. Novembre 2018/ Novembre 2020 ALPA / Médiamétrie