L'édito de Philippe Bailly

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Episode 6 – Hervé Rony, Directeur général de la Scam, société d’auteurs audiovisuels

Le 15 avril 2021 marquait la 1000e parution de la note de veille INSIGHT NPA. Pour l’occasion 22 contributeurs exceptionnels partagent leur vision des enjeux clés  de l’Horizon 2030.

Profusion de contenus, fragilisation des auteurs

NPA Conseil : Avec la montée des plateformes de VoD, les chaînes historiques seront-elles encore là en 2030 ?

Hervé Rony : La montée des plateformes est irréversible et accélère la transformation des usages. Le paysage audiovisuel devient plus éclaté et diversifié, mais les acteurs historiques peuvent tirer leur épingle du jeu. Le problème ne doit pas être posé sous la forme « France Télévisions contre Netflix ». Les acteurs historiques peuvent faire du 360°, avec une chaîne linéaire vitrine qui joue un rôle à la fois de sociabilité, de rendez-vous autour d’un événement…
On va vers un modèle d’aller-retour permanent entre linéaire et délinéarisé, programmes web natifs ou créés pour une antenne linéaire… tout cela se mixe de façon dynamique ; la distinction n’est plus très importante. Radio France en est une bonne illustration : les antennes communiquent sur l’offre en ligne et réciproquement, depuis longtemps. Les plateformes elles aussi évoluent : Netflix fait désormais du divertissement.

NPA : Les Etats ont-ils la capacité à réguler des géants de l’Internet ?
HR : Internet a généré des entreprises hyperpuissantes, c’est le changement le plus stupéfiant. Pourra-t-on longtemps supporter des entreprises aussi puissantes ? On y réfléchit même aux Etats-Unis. J’ai confiance en la puissance publique. Les Etats réagissent, leur affaiblissent n’est pas irrémédiable. Même un GAFA doit respecter des règles en Europe.

Imposer une régulation à des acteurs privés qui n’en veulent pas a toujours suscité leur opposition. Il y a 30 ans, TF1 disait qu’on n’avait pas besoin de quotas [de diffusion et de production]. Netflix en 2020, c’est l’équivalent de TF1 en 1986, ou La 5 devant la CNCL. On a oublié la violence de leur opposition à la régulation, et à cet égard, aujourd’hui, Netflix est loin d’être aussi agressif.

Sur les droits d’auteurs, en France, Espagne, Italie, Suisse, Belgique, la pression politique est historiquement forte. Les plateformes ont compris que pour travailler dans ces pays, elles devaient signer des accords avec les sociétés d’auteur. La Scam a signé un bon accord avec Netflix, qui a vite renoncé à faire des contrats de buy out (achat tous droits) pour la France. On négocie avec Amazon. On a un accord avec YouTube, qu’il faudra renégocier en 2022. Ces acteurs entrent dans l’écosystème. Le nouvel horizon de négociation n’est plus celui des plateformes de SVoD mais Facebook, qui devra signer un accord en vertu de l’article 17 [de la directive Droit d’auteur]. A chaque nouveau mode de diffusion – TV, IPTV , VOD …-, on est parvenu à négocier des accords même si au début on a l’impression qu’on n’y arrivera pas.

Mais il est vrai qu’en France, on a un dispositif exceptionnel. On s’en rend compte quand on voyage dans certains pays d’Europe centrale ou de l’Est.

NPA. : Qu’attendez-vous de l’entrée en vigueur du décret SMAD ?
HR : Nous avons rencontré le CSA pour demander que les conventions des SMAD placent la barre haut, et ne se contentent pas de valider le niveau de production déjà financé aujourd’hui par Netflix et les autres.

NPA : La multiplication des acteurs sera-telle favorable à la création ?
HR : En musique, on l’a vu la transition numérique a fait effet d’une tempête, généré des restructurations… Mais à moyen terme, on a une extraordinaire diversité de contenus, de nouveaux auteurs, de podcasts très intéressants. En audiovisuel, on voit aussi une démultiplication de l’offre, y compris de la part des acteurs historiques, qui sont obligés de réinventer leur offre éditoriale.

On ne doit pas diaboliser les plateformes, Netflix monte en puissance dans la production française et fait bouger les écritures. En documentaire, ils font appel à des auteurs qui viennent du cinéma plutôt que de la production TV, et à de jeunes auteurs. Le renouvellement des écritures est profond.

NPA : Donc pour les auteurs représentés par la Scam, l’avenir devrait être brillant ?
HR : Le paradoxe, c’est que même si l’économie de nos secteurs se développe, qu’on a une profusion de contenus divers, que la régulation avance, les auteurs ne se portent pas mieux. Editorialement, les diffuseurs historiques, soumis à une concurrence exacerbée, prennent de moins en moins de risques par crainte de perdre leur public, et les auteurs ont le sentiment d’être de moins en moins libres pour créer.

Economiquement, on produit de plus en plus d’œuvres mais à enveloppe constante. Netflix produit 10 à 12 documentaires français qui sont bien financés mais c’est France Télévisions qui fait l’essentiel du volume de la production documentaire, sans augmenter ses budgets. Un plus grand nombre d’auteurs doivent se partager le même gâteau.

NPA : En musique, les artistes ont été tentés de se passer de producteurs. Croyez vous à la fin des intermédiaires ou à une évolution vers des groupes totalement intégrés de la production à la distribution en ligne à l’usager final ?
HR : Je ne crois pas à l’effacement des métiers traditionnels. En musique, ce n’est pas très compliqué de créer et produire, voire de faire sa distribution et sa promotion. Mais il faut toujours un éditeur, un tourneur… Pour certains documentaires, on est dans une économie proche de celle d’un disque. Mais au cinéma ou dès que l’on va vers des œuvres audiovisuelles à coûts élevés, on a besoin d’un producteur pour réunir le financement, d’un distributeur, de médias. Les métiers évoluent, certains disparaîtront, mais persisteront quitte à être regroupés au sein d’une même entreprise.

NPA : Avant La Scam, vous avez dirigé le syndicat des producteurs de disques (SNEP). Pensez-vous que comme en musique, la disparition des supports physiques est inéluctable dans les pratiques culturelles ?
HR : Tout converge vers la dématérialisation des supports, qui va devenir ultra majoritaire. Pour revoir un programme de télévision, je ne crois pas au retour du DVD. Mais il reste l’instinct de possession. Y aura-t-il un retour vers la réappropriation des contenus ? Il y a dix ans, quand j’écoutais un titre de musique qui me plaisait, j’allais aussitôt acheter le CD. En streaming, que conserve-t-on ? Le retour du vinyl est certes une exception. Mais il illustre ce besoin de possession d’un objet qui reste.

L’envie de sociabilité est autre frein à la dématérialisation totale des pratiques culturelles. Avec un service de streaming, on est devant un choix illimité et solitaire. C’est ce besoin de se retrouver qui fait que le spectacle vivant ne disparaît pas.

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