L'édito de Philippe Bailly

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Episode 6 – Marc Missonnier, Producteur Moana Films, Lincoln TV, vice-président de l’Union des producteurs de cinéma (UPC)

Le 15 avril 2021 marquait la 1000e parution de la note de veille INSIGHT NPA. Pour l’occasion 22 contributeurs exceptionnels partagent leur vision des enjeux clés  de l’Horizon 2030.

Pouvoir décider librement de l’exploitation d’un film en ligne ou en salle

NPA Conseil : En 2030, ira-t-on encore voir des films en salles ?
Marc Missonnier : Oui on va continuer à aller au cinéma, mais il sortira moins de films en salle – moins de films américains et moins de films indépendants – et cela va arriver assez vite. Je suis attaché à la salle mais ce n’est pas une destination automatique et obligatoire pour un film, d’autant que certains restent si peu de temps en salles.

NPA : Selon vous, la sortie directe des films sur des plateformes de VoD deviendra le schéma d’exploitation le plus répandu ?
MM : Il est probable que les standards américains vont s’étendre au reste du monde, sinon on aura une explosion du piratage. Une frange de la production cinématographique sera exploitée directement sur les plateformes. C’est inévitable. Pouvoir assouplir la rigidité de l’exploitation et faire des arbitrages film par film ne sera pas un mal, au lieu de mettre la tête dans le sable en se disant que ça n’arrivera pas en France.

Aujourd’hui, choisir le mode d’exploitation d’un film n’est pas possible : il est déterminé par son financement et la chronologie des médias. La production repose sur le préfinancement, c’est-à-dire les préventes à différentes fenêtres d’exploitation [qui selon la chronologie des médias laisse une première fenêtre d’exclusivité à la salle avant toute autre exploitation. NDLR]. On ne peut y échapper, sauf pour des films à petits budgets. Nous avons lancé cette année le label Parasomnia avec Stéphane Huard, président de Sony Pictures Entertainment France. Il produira 2 ou 3 films de genre avec un budget limité d’1 million d’euros, financé à 100 % par Sony. On pourra ainsi décider librement de leur exploitation, en salle ou en ligne, avec néanmoins une préférence pour la salle bien sûr.

NPA. : Quel sera l’impact d’un nombre de sorties en salles plus restreint ?
MM : Si les salles perdent les millions d’entrées d’un film Disney sorti directement sur la plateforme Disney+, cela fragilisera leur équilibre économique. Il risque d’y en avoir moins. La montée en gamme des salles de cinéma est nécessaire, avec de meilleures conditions d’accueil, de plus grands écrans, de meilleurs fauteuils. L’expérience d’une séance de cinéma doit être valorisée par rapport au visionnage d’un film chez soi.

NPA : Et en télévision, existera-t-il encore des chaînes de TV linéaires ?
MM : Oui si elles comprennent qu’il faut investir massivement dans des programmes qui fédèrent l’audience et dans des programmes locaux.

La logique, c’est que les studios américains vont réserver leurs productions à leurs plateformes. Donc les chaînes françaises traditionnelles devront remplacer ces programmes qu’elles achetaient jusqu’ici. Et elles devraient s’y mettre dès maintenant. L’avenir des chaînes linéaires, c’est la production locale, éventuellement en coproduction avec des plateformes.

Le direct semblait la spécificité qui préserverait les chaînes linéaires. On voit qu’en matière de droits sportifs, il a commencé à leur échapper [avec Amazon qui rachète des droits dans le monde entier. NDLR]. En 2030, les chaînes devraient tout de même continuer à fédérer le grand public familial autour de quelques grands événements. La situation va se clarifier peu à peu. Toutes les plateformes américaines ne sont pas encore arrivées sur le marché français, et combien d’entre elles seront encore là en 2030 ?

NPA : La réglementation actuelle, notamment les quotas de productions indépendantes, n’interdit-elle pas aux groupes audiovisuels français de se développer et de rivaliser avec les plateformes ?
MM : Accuser la réglementation d’avoir empêché des groupes français de se hisser au niveau des acteurs américains est une fausse excuse, une hypocrisie. La réglementation est un frein tant qu’on s’en tient au seuil de production indépendante imposé. Rien ne les oblige à se contenter de cela, ils peuvent être plus ambitieux.

A titre personnel, je ne suis pas opposé à une concentration verticale, à ce que l’on augmente la possibilité de faire de la production dépendante et que ceux qui financent aient une plus grande maîtrise des droits. Mais à la condition qu’ils financent intégralement et qu’ils accordent une rémunération conséquente au producteur. Les chaînes voudraient détenir toute l’œuvre sans rémunérer en conséquence les producteurs qui la fabriquent et qui bien souvent prennent seuls le risque de développement. Aux Etats-Unis, lorsqu’un studio finance une œuvre à 100 %, le producteur est rémunéré comme il se doit.

NPA : Et le rapport des producteurs avec les plateformes est-il équilibré ?
MM : Le fait d’avoir plus de compétition et de concurrence est une bonne nouvelle pour les producteurs indépendants. Cela leur laissera plus de contrôle artistique, ainsi qu’aux auteurs, et leur apportera une meilleure rémunération. Ce qui manque encore, c’est la transparence sur les résultats, afin que le producteur connaisse la valeur de ses œuvres. Au cinéma, on a le nombre d’entrées ; en télévision, les audiences, mais avec les plateformes, on n’a aucune information. La réglementation devrait imposer cette transparence.

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