L'édito de Philippe Bailly

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Episode 6 – Marie-Christine Saragosse, Présidente Directrice Générale de France Médias Monde (FMM)

Le 15 avril 2021 marquait la 1000e parution de la note de veille INSIGHT NPA. Pour l’occasion 22 contributeurs exceptionnels partagent leur vision des enjeux clés  de l’Horizon 2030.

 

NPA Conseil : Vous êtes à la tête de FMM depuis 2012, presque 10 ans. Qu’avez-vous vu changer dans le paysage mondial des chaînes d’information internationales au cours de cette décennie ? Quels changements anticipez-vous pour la prochaine décennie ?
M-CS : 8 ans et demi, je précise ! Globalement, les grandes chaînes d’information internationales sont les mêmes qu’il y a 10 ans. L’intensité de la concurrence est comparable. En revanche, l’environnement technologique et les usages des publics ont beaucoup évolué : extinction de l’analogique achevé ou en passe de l’être dans une majorité de pays ; percée de la TV haute-définition (presque) partout dans monde ; développement de la radio numérique ; émergence des acteurs OTT ; explosion de l’Internet haut-débit, fixe et mobile, y compris dans les pays en voie de développement ; et bien sûr, croissance fulgurante des réseaux sociaux ! Ces mouvements vont se poursuivre et se complexifier, en fragmentant à outrance, l’offre et la consommation d’information. Mais les opportunités permettant de toucher un public plus large, plus jeune et plus populaire, sont aussi bien réelles, à condition d’adopter pour nos médias une stratégie de distribution diversifiée. Nous devons rechercher le meilleur équilibre possible entre les moyens de diffusion linéaires et non linéaires, nos plateformes propriétaires et les carrefours d’audience que représentent les plateformes. Le défi des prochaines années sera de mener à bien cette stratégie dans un contexte de ressources budgétaires mises sous tension.

NPA : Comment se positionne FMM par rapport aux grands médias d’information internationale : CNN, BBC World… les chaînes arabophones comme Al Jazeera, russes comme RT… Cela a-t-il toujours un sens pour un pays d’avoir des médias dédiés à l’international alors qu’on peut maintenant accéder aux chaînes de télévision et aux radios du monde entier de partout ? Et dans 10 ans ?
M-CS : Les chaînes radio et télévision et offres numériques multilingues – je souligne ce dernier point – de France Médias Monde sont distribuées partout dans le monde, et leurs audiences sont en constante progression. Les résultats de leur diffusion linéaire ont été exceptionnels en 2020. Grâce à ses 4 chaînes en français, arabe, anglais et espagnol, France 24 tutoie les 100 millions de téléspectateurs mesurés chaque semaine dans 74 pays seulement. Avec des contenus en 16 langues, RFI compte plus de 50 millions d’auditeurs, avec des durées d’écoute remarquables. Et plus de 9 millions d’auditeurs hebdomadaires écoutent Monte Carlo Doualiya (MCD) en Libye, en Irak, en Jordanie ou au Soudan… Nos médias, sous leur forme linéaire, demeurent donc des vecteurs extrêmement puissants. Nos résultats numériques, en très forte croissance, sont à l’unisson avec des usages de consommation spécifiques, souvent à la demande, qui associent l’image, le son et le texte. Ces chiffres sont parfaitement en ligne avec ceux de nos concurrents et cela, alors que nos budgets eux sont très nettement inférieurs.

On voit, à travers toutes nos études, que notre information indépendante, honnête, équilibrée suscite la confiance de nos téléspectateurs et de nos auditeurs. Ils conçoivent nos médias comme des sources principales d’information ou comme des alternatives à d’autres offres d’information, nationales ou internationales, qui ne proposent souvent pas les mêmes garanties de fiabilité et de crédibilité. Nous portons des valeurs démocratiques et une éthique journalistique mondialement reconnue et nous savons donner des clés de compréhension des événements à des publics aux codes et repères très divers, contrairement aux médias nationaux qui sont davantage dans l’entre-soi. Nos médias ont et auront donc à l’avenir un rôle plus essentiel que jamais à jouer.

NPA : Considérez-vous que FMM comme un instrument de rayonnement de la France ?
M-CS : Nos médias, dans leurs 20 langues de diffusion, portent un regard sur le monde depuis la France et parlent de la France dans toutes ses composantes. Ils sont l’émanation du service public français, indépendant des pouvoirs politiques et économiques, ce qui leur confère une grande crédibilité à l’international. Avec leurs 240 millions de contacts chaque semaine, ils sont ainsi l’un des plus puissants outils – plutôt qu’instrument – de rayonnement en termes d’impact, dans toutes les grandes zones géographiques. Sur le continent africain, France 24 est numéro 1 au Maghreb et RFI, qui développe des rédactions en langues africaines, est très fortement implantée dans toute la bande Sahélienne où les enjeux géopolitiques sont majeurs. France 24 et RFI sont dans le top 5 des télévisions et radios les plus populaires en Afrique subsaharienne : dans les pays francophones, elles sont des médias de référence. Et nous observons des développements très intéressants de nos médias en Afrique de l’Est ou en Afrique Australe. On ne le sait pas assez, mais MCD, radio arabophone laïque et universaliste, est une radio majeure dans un grand nombre de pays du Maghreb et du Moyen-Orient. De nombreux opérateurs, en Amérique du Nord et en Asie notamment, ont offert France 24 à tous leurs abonnés – lorsque ce n’était pas déjà le cas – du fait de la qualité de notre couverture de la crise sanitaire dans le monde.

NPA : Vous revendiquez une stratégie d’hyperdistribution, incluant Web, OTT, réseaux sociaux. Dans le même temps la télévision reste un vecteur privilégié du soft power (cf CGTN, RT…). Comment arbitrez-vous entre ces différents axes ? Ces dernières années, comment la présence mondiale de FMM s’est-elle étendue ? Si vous ne maîtrisez pas vos réseaux de distribution, n’est pas un risque d’être à la merci de censure des Etats, ou des politiques des plateformes… ?
M-CS : Il ne s’agit pas d’arbitrer entre broadcast et environnements numériques puisque, en outre, l’information, c’est à dire le cœur de nos programmes, continue à être écoutée en direct sur les supports classiques. Il s’agit donc de « lutter » sur tous les fronts en jouant au contraire sur leur complémentarité. Chaque vecteur possède ses points forts dont nous tentons de tirer le meilleur parti. Le rempart le plus efficace contre les risques de censure, par exemple, reste la multiplication des moyens d’accès à nos médias. Certains modes de diffusion, comme la diffusion satellite en clair (non cryptée), essentielle en ANMO par exemple, sont quasi impossibles à censurer. Ils ne dépendent pas de plateformes nationales. Dans le même temps, on voit bien le succès que peuvent avoir nos vidéos sur nos chaînes YouTube, où nous sommes de loin le premier média français. Nous enregistrons près de 2,5 milliards de vidéo vues en 2020 au total pour FMM. Pourquoi s’en priver ? Par ailleurs, c’est aussi un enjeu majeur pour proposer sur toutes les plateformes numériques où les infox prolifèrent, à l’échelle du monde, une information vérifiée qui contrebalance ce que les réseaux sociaux contribuent aussi à essaimer. Et nous allons où vont les jeunes car ce public est essentiel à nos yeux. Et puis faire exister 20 langues à l’échelle de la planète implique d’utiliser l’ensemble de la palette des supports de diffusion.

NPA : Parmi les zones d’influence politique et économique qui devraient monter en puissance au cours de la décennie, NPA a identifié l’Afrique, la Chine et l’Inde. Cela rejoint-il votre analyse ? Avez-vous en tête d’autres futures puissances mondiales ? Comptez-vous développer votre présence en Asie ? Où en êtes-vous de votre ambition à vous déployer aux Etats-Unis ?
M-CS : L’Afrique, la Chine et l’Inde sont naturellement des zones d’influence politique et économique dont la puissance va continuer de s’affirmer. La Chine est déjà une méga puissance. N’oublions pas la Russie et la Turquie dont les ambitions politiques et géostratégiques sont assez claires. De façon générale, la démographie est un paramètre essentiel. Dans un monde globalisé, les grandes puissances démographiques d’aujourd’hui ont vocation à étendre leur influence dans les prochaines décennies, chacune à son rythme : Indonésie, Pakistan ou Philippines en Asie ; Brésil et Mexique en Amérique latine ; Iran et Egypte en Afrique du Nord et Moyen-Orient (ANMO), Nigeria, en Afrique subsaharienne…

France Médias Monde, notamment à travers France 24 en langue anglaise, est déjà très présente en Asie. Avec les derniers contrats de distribution signés en Inde, la chaîne vient de franchir la barre symbolique des 100 millions de foyers couverts sur le continent. France 24 séduit aujourd’hui près de 20 millions de téléspectateurs asiatiques chaque semaine, mesurés dans une dizaine de pays. Inde, Indonésie et Vietnam forment le trio de tête. La Chine reste un marché fermé aux chaînes étrangères mais, dans l’ensemble, les grands marchés d’Asie sont ouverts et constituent un formidable réservoir de croissance. Il y a d’ailleurs un enjeu à réfléchir en termes de réciprocité concernant notre accès au marché chinois, lorsqu’on voit de quelle façon la Chine distribue ses chaînes internationales dans le reste du monde, comme en atteste l’exemple récent de CGTN qui a demandé au CSA une autorisation d’émettre sur le continent européen via Eutelsat… RFI, qui a des déclinaisons en langues asiatiques, connaît par exemple un succès significatif en khmer au Cambodge, et ses offres numériques en chinois et en vietnamien sont aussi en forte croissance. S’agissant des États-Unis, France 24 y est présente, sur la plupart des plateformes OTT nationales (Sling, Roku, Klowd TV…), en anglais, mais aussi dans les autres langues. Les études qualitatives la positionnent en tête des chaînes d’information internationales, et c’est le deuxième pays contributeur d’audience numérique pour la chaîne. La principale, sinon unique, barrière à l’entrée des réseaux broadcast traditionnels dans ce pays (opérateurs câble et satellite) est budgétaire. Cette « exception américaine » oblige FMM à privilégier les modes de diffusion alternatifs.

NPA : Dans un contexte budgétaire tendu, privilégiez-vous les zones d’influence historiques de la France, telles que l’Afrique occidentale, ou le déploiement vers les puissances émergentes ?
M-CS : L’Afrique subsaharienne, en général, et l’ANMO, constituent naturellement des zones prioritaires pour FMM. Nos médias y occupent des positions fortes que nous continuons même à accroître. Le lancement de RFI en Mandenkan et en Fulfulde et le renforcement de la langue Haoussa vont dans le sens d’une plus grande proximité et de l’élargissement de nos publics dans des bassins de population qui sont d’une grande importance en Afrique. Notre volonté reste de nous développer, partout où nous le pouvons pour affirmer le caractère mondial et universel de nos médias. Nous avons entrepris d’importants développements en Amérique Latine, où RFI compte plus de 500 radios partenaires et où France 24 progresse fortement depuis 3 ans avec sa version en Espagnol. La croissance de la couverture de France 24 sur tous les continents, qui atteint 444 millions de foyers raccordés cette année, témoigne de cette volonté.

NPA : Quelles collaborations, projets communs comptez-vous mener avec les autres entreprises de l’audiovisuel public, dans le cadre du nouveau COM 2020-2022 et au-delà ? Avec d’autres chaînes européennes comme vous le faîtes déjà avec Deutsche Welle ?
M-CS : Le COM 2020-2022, dont la durée est pour la première fois alignée entre toutes les entreprises de l’audiovisuel public, comporte 5 objectifs communs et 5 objectifs spécifiques à FMM. En outre, une liste de chantiers de coopération prioritaires y est annexée et traduit un grand nombre d’actions déjà très engagées, qu’il s’agisse d’achats groupés, de coopérations éditoriales (à l’image de Franceinfo, Culture Prime ou Lumni tous lancés au cours des quatre dernières années), de synergies en termes d’informatique et cybersécurité ou de formation… Nous participons actuellement aux travaux qui visent à nous doter de pactes communs en faveur de la visibilité des Outre-mer et des offres pour la jeunesse. Nos projets européens numériques comme le projet InfoMigrants, qui est un succès international, ou le projet ENTR destiné aux jeunes européens, dont le lancement vient d’être annoncé, n’auraient pu être réalisés sans le concours de la Commission Européenne et sans partenaires de référence. Nos partenariats avec Deutsche Welle sont à cet égard très structurants, mais nous travaillons aussi avec l’ANSA en Italie. Il ne faut pas oublier nos partenaires français, CFI, tout d’abord, filiale de France Médias Monde, avec laquelle nous collaborons de plus en plus en Afrique et au Moyen-Orient, et l’AFD, qui nous apporte son soutien pour le projet Afri’kibaaru en Afrique. Grâce au soutien de l’AFD, une rédaction bilingue Fulfulde – Mandenkan est née à Dakar, avec de jeunes journalistes de plusieurs pays Africains de la bande Sahélienne.

NPA : Depuis la fin mars, France 24 n’est plus présente sur la TNT en Ile-de-France. Parce que c’était devenu inutile, compte tenu de la pénétration des offres d’IPTV ou parce que France Médias Monde va totalement concentrer son développement vers l’international ?
M-CS : France 24 est diffusée en France par tous les grands opérateurs, dans leur offre de base : Canal Satellite, Orange (IPTV et satellite), Free, SFR Numericable, Bouygues Telecom, couvrant ainsi plus de 25 millions de foyers, soit la quasi-totalité des foyers TV, en français, mais aussi en anglais et en arabe. Si l’on considère les foyers pour lesquels la TNT constitue l’unique mode d’accès aux chaînes de télévision, la TNT Ile-de-France n’apportait qu’un gain de couverture marginal, sans proportion avec son coût, et entre temps les pouvoirs publics ont décidé de créer Franceinfo, dont France 24 fournit près d’un tiers des programmes sur 24 heures. La TNT en île de France a contribué significativement au cours des dernières années à développer l’accessibilité de France 24 et sa notoriété sur notre propre territoire. Compte-tenu des économies imposées à FMM, chaque investissement doit être évalué selon son rapport coût/bénéfices, et nous avons été obligé de faire le choix de ce retrait pour des raisons purement budgétaires. Mais cela ne marque aucunement un désintérêt pour le marché français, où nos médias sont très complémentaires des chaînes nationales, y compris en radio où nous nous développons grâce au DAB+, tant avec RFI qu’avec MCD qui est diffusée pour la première fois en France.

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