L'édito de Philippe Bailly

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Episode 6 – Maxime Saada, Président du directoire du Groupe Canal+

Le 15 avril 2021 marquait la 1000e parution de la note de veille INSIGHT NPA. Pour l’occasion 22 contributeurs exceptionnels partagent leur vision des enjeux clés  de l’Horizon 2030.

NPA Conseil : L’activité de GCP allie aujourd’hui édition, distribution, et agrégation. La montée du très haut débit vous rendra de plus en plus indépendant des telcos pour la distribution de vos services. Quelle place leur donnez-vous dans votre vision du CANAL+ de demain : Partenaires ? Fournisseurs de bande passante ? Clients d’offres wholesale que vous packagerez ?
Maxime Saada : Le lancement de la 3P en France au début des années 2000, puis la progressive intégration verticale qui s’en est suivie (OCS, Orange Sport, Altice Studio, etc.) ont profondément modifié les dynamiques du marché de la Pay TV et fortement challengé CANAL+. Mais comme bien souvent dans le secteur des médias, nos plus grands concurrents peuvent également être nos plus grands alliés. Les telcos occupent aujourd’hui une place centrale dans les activités du Groupe CANAL+. Une part importante de nos abonnés en Europe et en Asie le sont via leurs box TV, et nous distribuons également les chaînes de certains d’entre eux. Nous sommes par exemple le premier distributeur d’OCS en France, devant Orange. Le déploiement d’internet, sous l’impulsion des telcos, a quant à lui porté la croissance du marché mondial de la Pay TV.

Nos liens ne feront probablement que se renforcer au cours des prochaines années. CANAL+ pourrait davantage reposer sur les telcos comme partenaires de distribution. Avec le déploiement progressif des box OTT, notre application myCANAL devrait progressivement devenir le produit central de notre modèle avec les opérateurs télécoms. CANAL+ pourrait également être amené à investir de plus en plus conjointement avec les telcos dans les contenus, en particulier les acteurs offrant des complémentarités opérationnelles et géographiques fortes avec CANAL+ en Europe, en Afrique et en Asie. Enfin, des alliances sur la technologie, et en particulier sur le développement de notre plateforme OTT, pourraient voir le jour.

NPA : Sans attendre 2010, vous avez porté Canal+ dans des environnements OTT (l’accord avec Microsoft autour de la Xbox a été noué dès 2009). D’Apple à Samsung, les industriels sont de plus en plus nombreux à proposer leur propre offre de contenus. Restent-ils des partenaires ? Certains plus que les autres ?
MS : En effet, nous avons commencé le portage de notre plateforme myCANAL il y a plus de dix ans sur les Xbox de Microsoft. Au cours des derniers mois, la liste s’est considérablement élargie puisque nous avons porté myCANAL sur les PlayStation 4 et 5, ou encore sur les Fire TV d’Amazon. En parallèle, nous avons déployé notre plateforme à l’international avec un lancement réussi en Pologne en 2020, en attendant celui prévu dans une vingtaine de pays en Afrique dans quelques semaines. Le développement de myCANAL est devenu une priorité stratégique majeure pour le Groupe CANAL+.

La place centrale occupée aujourd’hui par myCANAL dans notre modèle nous a permis de faire évoluer notre métier d’agrégateur en nouant des partenariats de distribution clés avec Netflix, Disney+, beIN Connect ou encore plus récemment StarzPlay. L’enjeu pour CANAL+ est de proposer à ses abonnés les meilleurs contenus, qu’ils soient chez nous ou ailleurs. Beaucoup de nouveaux acteurs se sont lancés, ou se lanceront prochainement, et il n’y aura malheureusement pas de place pour tout le monde. Nous serons donc bien sûr amenés à distribuer d’autres plateformes mais nos efforts se concentreront sur celles ayant le plus de valeur pour nos abonnés.

NPA : Entre décrets (SMAD, TNT, CabSat…) et négociations sur la nouvelle chronologie des médias, un nouveau cadre réglementaire est en train de se dessiner. Pensez-vous aujourd’hui que l’objectif de conditions de concurrence équitable qui avait été posé sera atteint ?

MS : Tout cela part d’une bonne intention, à savoir faire contribuer les plateformes mondiales au financement de la création française, comme CANAL+, et de nombreux autres acteurs nationaux, le font depuis des décennies. Nous avions d’ailleurs fait un premier pas en ce sens en 2018 puisque la chronologie des médias permet actuellement aux plateformes d’avancer de 21 mois (passage de 36 à 15 mois) en contrepartie du respect des mêmes obligations que Ciné+ (i.e. un minimum garanti de 1€ par abonné). Aucune plateforme n’a jusqu’à présent trouvé d’intérêt à profiter de cette fenêtre en se soumettant à cette obligation.

En allant encore plus loin, les réformes qui se dessinent sont donc en train de contraindre les plateformes à s’inscrire dans des schémas traditionnels qui ne correspondent ni à leur modèle ni à leurs aspirations. Et au passage, on risque de fragiliser, voire de tuer, des acteurs nationaux vertueux qui avaient réussi tant bien que mal à résister à la concurrence des plateformes. C’est tout le paradoxe des discussions en cours. Et un paradoxe qui pourrait aboutir à la fragilisation irrémédiable du Cinéma français, en particulier celui de la diversité qui a disparu de la quasi-totalité des autres pays.

Le Groupe CANAL+ investit aujourd’hui près de 200 M€ chaque année pour pouvoir diffuser les films 6 à 8 mois après leur sortie en salles. C’est plus que tous les autres acteurs du marché réunis. Nous serons donc particulièrement attentifs à ce que la position envisagée pour le groupe Canal+ à l’issue des réformes soit le reflet de ses investissements sans commune mesure. Et surtout à ce que sa proposition de valeur sur le Cinéma vis à vis de ses abonnés ne soit pas dégradée. Si l’une ou l’autre de ces conditions ne sont pas réunies, nous nous adapterons, comme nous l’avons fait à de multiples reprises.

Ce que je regrette surtout c’est la focalisation systématique des pouvoirs publics, et parfois des acteurs français du secteur, sur le seul sujet des investissements étrangers dans la création française, quitte à en oublier celui, pourtant essentiel, du rayonnement de la culture française dans le monde. A aucun moment, la question du développement des champions nationaux à l’international n’a été posée. Rien n’est pensé, rien n’est fait en France pour que les acteurs domestiques puissent s’internationaliser. La loi nous interdit par exemple de détenir les droits des séries que nous finançons pourtant quasi-intégralement. C’est insupportable pour un acteur tel que Canal+ dont la stratégie est désormais fondée sur le développement à l’international et qui fait face à des concurrents globaux en capacité d’amortir leurs coûts de contenus sur l’ensemble de leur parc d’abonnés et de leurs géographies.

NPA : Le sport est l’une des composantes historiques du « cocktail Canal+ ». A 6 journées de la fin de la saison 2020/2021, c’est encore le flou total sur les conditions de diffusion de la Ligue 1 en 2021/2022 et les années suivantes. Les compétitions européennes peuvent-elles, à défaut, remplacer la Ligue 1 dans la promesse Canal+ ?
MS : Il existe en effet de nombreuses incertitudes sur la diffusion des prochaines saisons de la Ligue 1. En tant que premier partenaire du football français depuis 36 ans, nous espérons bien sûr qu’une solution sera trouvée. Mais nous bénéficierons, dans tous les cas, du retour de la Ligue des Champions sur CANAL+ en 2021. Un retour de taille puisque nous proposerons pour la première fois à nos abonnés les deux plus belles affiches de chaque journée de la plus prestigieuse compétition européenne.

Au-delà de la Ligue des Champions, nous disposerons d’une offre sport exceptionnelle. Le championnat anglais, le plus grand championnat du monde, continuera de passionner nos abonnés au cours des prochaines années. Et suite au récent appel d’offres, nous sommes également assurés de diffuser le TOP14 jusqu’en 2027. La Formule 1 et le MotoGP, enfin, continuent de battre record sur record chaque week-end et constituent dorénavant des piliers éditoriaux centraux de la promesse sport de CANAL+. Avec tous ces droits, mais aussi le golf ou encore la boxe, nous sommes sereins pour la suite, et ce quel que soit le scénario sur la Ligue 1.

NPA : Parmi les zones qui devraient monter en puissance au cours de la décennie, NPA a identifié l’Afrique, la Chine et l’Inde. Cela rejoint-il votre stratégie de déploiement ? Avez-vous en tête d’autres territoires en devenir sur lesquels vous aimeriez vous positionner ?
MS : Je partage bien évidemment le constat dressé par NPA. Le développement international du Groupe CANAL+ est d’ailleurs aujourd’hui focalisé sur trois zones géographiques majeures que sont l’Europe, l’Afrique et l’Asie. En cinq ans, nous avons quasiment doublé le nombre d’abonnés à CANAL+ en Europe, triplé le nombre d’abonnés en Afrique, et connu une croissance soutenue en Asie. Chaque zone est à un degré de maturité différent, et offre de belles opportunités de croissance. L’Afrique est pour sûr l’une des régions du monde où la croissance de la Pay TV est la plus soutenue portée par l’électrification, le développement progressif de la connectivité, et la hausse du pouvoir d’achat. L’Inde est un marché plus mûr mais la baisse du coût de la data mobile a fortement dynamisé un marché OTT « freemium » dominé par Disney. Nous gardons bien sûr un œil attentif sur ce marché d’avenir qui dispose également d’une diaspora importante à l’étranger. La Chine, enfin, est un marché en forte croissance mais trop régulé pour permettre encore à un acteur étranger comme CANAL+ de s’implanter et de se développer. Il ne fait pas de doute en revanche que les trois principales plateformes chinoises (Tencent Video, iQiyi et Youku Tudou) s’internationaliseront au cours des prochaines années.

NPA : Canal+ et la question environnementale ?
MS : L’écoresponsabilité est ancrée dans la culture de CANAL+ depuis sa création puisque, dès 1988, le Groupe a été à l’initiative de vastes campagnes de récupération d’anciens décodeurs afin d’en assurer le recyclage. Plus récemment, nous avons accéléré notre démarche environnementale en réalisant des productions éco-responsables comme « L’effondrement » ou la dernière saison de « Baron Noir », le projet d’éco-production le plus ambitieux en France, de par sa taille.

Pour aller plus loin dans cet engagement si important, nous avons créé le média « Les Eclaireurs » dédiés aux contenus éco-engagés et nous avons décidé de faire de myCANAL une des premières grandes plateformes éco-responsables mondiales. Pour cela des features permettant à nos abonnés de réduire l’empreinte carbone du streaming, sans pour autant détériorer l’expérience de visionnage, sont en train de naître. Nous avons par ailleurs décidé en 2020 de compenser intégralement notre empreinte carbone en France, une première étape avant l’atteinte d’un bilan net carbone zéro pour l’ensemble du Groupe CANAL+ et de Vivendi.

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