L'édito de Philippe Bailly

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Les opérateurs français de l’audiovisuel extérieur à l’épreuve de la rationalisation budgétaire

La dimension internationale de l’audiovisuel public s’incarne dans la présence d’opérateurs dont la vocation est de projeter la France et la francophonie partout dans le monde. L’audiovisuel extérieur est l’un des vecteurs les plus puissants de l’influence et de l’attractivité de la France, mais aussi un instrument au service de la guerre internationale de l’information. Si les opérateurs concernés ont su prouver leur résilience et leur efficacité pendant la crise sanitaire, plusieurs enjeux de taille sont pour eux à relever.

L’ESSENTIEL

L’offre de FMM se compose de France 24, Radio France internationale (RFI) et Monte-Carlo Doualiya (MCD).

– Son budget financé à 95 % par des ressources publiques (CAP) s’élève pour 2021 à 254,70 M€, soit environ 100 M€ de moins que la Deutsche Welle et la BBC.

– Le CSA nomme le PDG de FMM pour cinq ans, Marie-Christine Saragosse occupe actuellement ce poste.

– L’un des principaux enjeux de FMM est la garantie de son financement dans un contexte d’incertitude de la CAP d’ici à 2023.

– CFI, l’opérateur en charge de l’aide publique au développement dans le domaine des médias est une filiale de FMM depuis 2017.

– Les 10 chaînes du groupe TV5MONDE sont reçues par près de 364 millions de foyers et 120 millions de mobiles dans 198 pays.

– La présidente du CA est Delphine Ernotte Cunci et Yves Bigot est le DG.

– TV5MONDE dispose de 108 M€ de budget annuel majoritairement abandé par la France, qui finance notamment une offre gratuite de VoD disponible depuis septembre 2020 : TV5MONDEplus et dont le développement est un des enjeux du plan stratégique 2021-2024.

 

Dans leur rapport de suivi de l’audiovisuel extérieur français face à la crise sanitaire de juin 2020, les sénateurs Joëlle Garriaud-Maylam (LR) et Raymond Vall (RDSE) saluaient des « opérateurs agiles qui ont su se réinventer face à la crise » qualifiés « d’armes  “anti infox” dans la crise sanitaire mondiale grâce à leur indépendance éditoriale ». La crédibilité et la fiabilité de ces « médias de référence » étaient une des raisons de « l’explosion significative de la consultation de [leurs] espaces numériques ». En mars, le nombre de visites (110 millions) des environnements numériques de RFI, France 24 et Monte Carlo Doualiya ont été multipliées par 2,5.

L’audience des contenus de TV5MONDE a, en mars 2020, quant à elle, progressé sur la quasi-totalité des territoires (216 pays). Le site information.tv5monde.com a enregistré près de 3,2 millions de visites (+ 229 % sur un an) en mars de la même année.

Pour autant les rapporteurs craignent que la crise ait « des conséquences sur l’équilibre financier de ces opérateurs, qui vont perdre une grande partie de leurs ressources commerciales et risquent de devoir une fois de plus contribuer au redressement des comptes publics par de nouvelles économies ».

Passage en revue des opérateurs de l’audiovisuel extérieur et de leurs principaux enjeux.

France Médias Monde

  • Gouvernance et budget

FMM est une société nationale de programmes relevant de la loi de 1986 (article 44) dont l’offre se compose de :

– France 24 un service de télévision qui diffuse des programmes d’information internationale en continu destinés en particulier aux publics étrangers, y compris ceux résidant en France, en langues française, anglaise, espagnole et arabe ;

– Radio France internationale (RFI) et Monte-Carlo Doualiya (MCD), deux services de radio en langues française et étrangères destinés en particulier aux auditoires étrangers, y compris ceux résidant en France, ainsi qu’aux Français résidant à l’étranger.

Les trois chaînes disposent d’une autonomie opérationnelle et éditoriale.

FMM a un effectif de 1750 ETP et possède un budget financé à 96 % par des ressources publiques (part de la contribution à l’audiovisuel public). La dotation de FMM pour 2021 s’élève à 254,70 M€, en baisse de 0,50 M€ par rapport à l’année précédente. Les ressources commerciales de l’entreprise (publicité, parrainage, distribution, syndication, bailleurs de fonds internationaux, etc.) complètent le budget qui s’élève au global à 268,3  M€ pour 2021.

La dotation de FMM est versée par le ministère de la Culture qui assure, de fait, à travers la DGMIC, la coordination de la tutelle publique.

Par comparaison, la Deutsche Welle disposait en 2020 d’une dotation de 365,5 M€, qui doit atteindre les 400 M€ à l’horizon 2022. Le budget de BBC World Service s’élevait en 2019 à 346,3 M€, abondé par la redevance britannique (245 M€) et par une subvention du Foreign office et l’US Agency for global media (USAGM), qui regroupe cinq réseaux de médias dont la radio Voice of America, peut s’appuyer sur un budget de 692,4 M€.

FMM et la Deutsche Welle entretiennent une coopération poussée et matérialisée par le projet InfoMigrants, lancé en 2017, et ENTER, qui s’inscrit dans le cadre des projets prioritaires du traité de coopération et d’intégration franco-allemande d’Aix-la-Chapelle de 2019, et qui consiste en une offre numérique ciblant la jeunesse pour lutter contre les fausses informations notamment.

Marie-Christine Saragosse exerce son second mandat de PDG de FMM depuis 2017.

  • La régulation par le CSA

 Le CSA nomme le Président de FMM pour cinq ans, par un vote à la majorité. Il rend un avis motivé après quatre années de mandat du Président sur ses résultats au regard de son projet stratégique, qui est transmis aux commissions permanentes compétentes du Parlement (culture et affaires étrangères). De plus, il transmet chaque année au Parlement, son rapport annuel sur l’exécution du cahier des charges à celles-ci.

En amont, le Conseil formule aussi un avis avant la signature des contrats d’objectifs et de moyens (COM) ainsi que sur leurs éventuels avenants, et il formule un avis motivé et rendu public sur l’exécution annuelle du Contrat. Les commissions permanentes compétentes de chaque assemblée parlementaire peuvent procéder à l’audition du président du CSA sur la base de cet avis.

Pour l’heure, FMM poursuit l’exécution de son COM 2020-2022, signé par la ministre de la Culture le 28 avril 2021 de même que pour les quatre autres sociétés (France Télévisions, Radio France, ARTE France et l’INA). Ce COM comporte des objectifs communs avec l’ensemble de l’audiovisuel public et des indicateurs de suivi personnalisés pour chacune des sociétés (Retrouver notre article : « COM 2020-2022 : les dirigeants de l’audiovisuel public satisfaits mais inquiets sur le financement après 2023 »).

  • Les principaux enjeux

 Un rapport de la Cour des comptes de mars dernier rappelle les priorités gouvernementales fixées par un courrier du 9 janvier 2020 signé des ministres des affaires étrangères, de l’économie et de la culture.

Ces priorités sont notamment les suivantes : développer des contenus numériques destinés à la jeunesse en Afrique subsaharienne ; assurer un  ancrage du groupe en Europe orientale partenariats avec Deutsche Welle, etc.) ; concentrer les efforts vers le Mexique, la Colombie, l’Argentine ; préparer la substitution progressive d’une distribution numérique à une distribution par satellites et câbles en Amérique du Nord ; améliorer le dialogue de gestion avec les tutelles dans le cadre d’une nouvelle trajectoire financière devant aboutir à un total de 3,5 M€ d’économies en 2022 par rapport à 2018.

Dans son rapport, la Cour rappelle que le projet de loi audiovisuel déposé à l’Assemblée nationale en 2019, puis abandonné en cours d’examen en raison de la crise sanitaire, prévoyait la création d’une société holding « France Médias » regroupant France Télévisions, Radio France, l’INA et FMM. Si la réforme de la gouvernance de l’audiovisuel a été abandonnée, « l’intérêt d’une mutualisation plus poussée entre sociétés de l’audiovisuel public demeure », note la Cour.

Par ailleurs l’autre enjeu majeur, « avec ou sans holding », est le partage du produit de la CAP, qui « connaît une progression moindre que dans le passé » et qui a donc poussé certains parlementaires comme le député Alain David (S&A) à proposer de garantir le budget de FMM, pour ne pas que France Télévisions et Radio France « n’obtiennent des ressources toujours plus importantes ».

La perspective de la suppression de la taxe d’habitation, sur laquelle est assise la perception de la CAP, est source d’inquiétude pour le financement de l’audiovisuel public dans son ensemble après 2023, date à laquelle un nouveau COM de 5 ans sera établi pour chaque société.

L’audiovisuel public est dans le même temps engagé dans une trajectoire de rationalisation budgétaire qui doit conduire à constater fin 2022 une économie de 0,2 Md€ par comparaison avec 2018. Le PLF 2022, présenté le 22 septembre en Conseil des ministres confirme ainsi ce cadrage. L’effort demandé est réparti entre l’ensemble des sociétés de l’audiovisuel public. Cet effort sera de 17,7 M€ en 2022, portant le budget de l’audiovisuel public à 3,7 Mds€ contre 3,89 Mds€ en 2018 (-0,19 Md€).

Comme en 2021, le montant de la CAP ne devrait pas augmenter en 2022 (article 16 du PLF). Depuis 2020, le montant de la CAP s’élève à 138 euros en métropole et à 88 euros dans les DOM-TOM.

CFI, l’agence française de développement médias

Filiale de FMM depuis 2017, CFI, l’agence française de développement médias, agit pour favoriser le développement des médias en Afrique, dans le monde arabe et en Asie du Sud Est.

Trente projets sont actuellement conduits. Ils s’inscrivent dans trois grands programmes : médias et entreprise, médias et développement et médias et gouvernance.

Le projet « Dialogues Migrations » vise par exemple à faire évoluer les représentations sur les migrations véhiculées dans l’espace public, en particulier au sujet des femmes et des mineurs migrants. Il soutient dès lors la diffusion, par les médias, d’informations responsables et respectueuses de la déontologie sur les migrations.

« Kalan Academy » propose de renforcer les capacités des dirigeantes et dirigeants de médias de proximité en management, principalement en Afrique de l’Ouest.

« Kalimat Sudania » contribue à l’inclusion de la jeunesse dans le débat public, au renforcement du journalisme local et à la collaboration entre médias et société civile, en s’appuyant notamment sur des médias numériques locaux.

Le ministère des affaires étrangères finance 85 % du budget de CFI qui dispose également de crédits de l’Agence française de développement (AFD) pour ses projets. Enfin FMM assume la gouvernance de CFI au niveau du conseil d’administration, mais ne participe pas à son financement.

TV5MONDE

  • Présentation du groupe

Le groupeTV5MONDE comprend dix chaînes : huit chaînes généralistes, culturelles, francophones et deux chaînes thématiques (enfants et art de vivre).

Près de 364 millions de foyers et 120 millions de mobiles dans 198 pays reçoivent une ou plusieurs de ces chaînes, avec une programmation spécifique et sous-titrée en 13 langues : allemand, anglais, arabe, chinois traditionnel et simplifié, coréen, espagnol, japonais, néerlandais, roumain, russe, vietnamien et français.

TV5MONDE est l’opérateur officiel de l’Organisation internationale de la francophonie (OIF). Sa diffusion est ainsi garantie dans les 84 Etats membres.

  • Financement et gouvernance

Le groupe bénéficie d’un financement multilatéral de la part de la France, la Suisse, le Canada, le Québec et la Fédération Wallonie-Bruxelles. La France occupe pour 2020-2021 la présidence tournante de la conférence des ministres des Gouvernements bailleurs de fonds de la chaîne, qui se réunit tous les deux ans pour définir et adopter les orientations stratégiques de la chaîne notamment.

La présidente du conseil d’administration est Delphine Ernotte Cunci, présidente de France Télévisions. Le directeur général, Yves Bigot, a été reconduit dans ses fonctions en novembre 2017 pour un deuxième mandat de cinq ans. Il avait succédé à Marie-Christine Saragosse à la tête de la chaîne en 2012. Il était auparavant directeur des programmes de RTL.

Le conseil d’administration réunit les représentants des télévisions nationales publiques des pays actionnaires (France Télévisions, FMM, Arte France, RTBF, SSR, Radio-Canada, Télé Québec, INA) et des administrateurs salariés. Il est présidé par le PDG de France Télévisions.

La chaîne est détenue à 49 % par France Télévisions. France Médias Monde en possède 12,64 %, RTBF et SSR en détiennent chacun 11,11 %, Radio-Canada 6,67 %, Télé Québec 4,44 %, Arte France 3,29 % et l’INA 1,74 %.

Les ressources commerciales (publicité, parrainage, distribution) représentent 9 % du budget de TV5MONDE qui dispose de 108 M€ de budget annuel. La dotation française, de loin la plus importante, allouée à TV5MONDE est stable à hauteur de 76,2 M€. Elle correspond au montant stabilisé après le recul de plus de 1 M€ enregistré en 2019.

Enfin, en 2020, l’effectif total de TV5MONDE s’est établi à 386,7 ETP.

  • Obligations de financement à la production

TV5MONDE et TV5 Québec Canada ont développé et lancé une offre de vidéos à la demande, accessible gratuitement le 9 septembre 2020 : TV5MONDEplus (6,28 M€ soit 5,7 % des dépenses d’exploitation). Aujourd’hui, TV5Monde revendique 15 millions de visites et 5,6 millions de vidéos vues sur sa plateforme. La monétisation publicitaire est assurée par France TV Publicité et Canal + Brand Solutions pour l’Afrique. Ce projet, essentiellement porté par le Canada, pourrait bénéficier d’un investissement supplémentaire de la France, afin d’y voir apparaître davantage de programmes français, qui ne représentent aujourd’hui que 10 % des programmes mis en ligne.

Soucieux de préserver les marges de manœuvre de TV5MONDE, le CSA, dans son avis du 17 mars 2021 relatif au projet de décret SMAD publié ensuite le 23 juin au Journal officiel, relevait « que les modulations susceptibles d’être apportées par voie conventionnelle aux sous-quotas de production ne semblent pas suffisantes pour permettre à l’éditeur de SMAD TV5, dont France Télévisions est l’actionnaire de référence, de respecter ses obligations ». Il appelait à davantage prendre en compte « la mission de service public international » de la chaîne dans le projet de décret.

A l’appui de sa demande, le CSA avait sans doute en tête le paragraphe suivant de l’article 13 de la directive SMA : « L’obligation imposée (…) relative aux fournisseurs de services de médias ciblant des publics dans d’autres États membres ne s’appliquent pas aux fournisseurs de services de médias qui ont un chiffre d’affaires peu élevé ou une faible audience. Les États membres peuvent aussi renoncer à ces obligations ou exigences lorsqu’elles seraient impossibles à respecter ou injustifiées en raison de la nature ou du thème des services de médias audiovisuels. »

Le décret publié (les articles 23 à 26 portant sur la possibilité de moduler la contribution) ne prévoit toutefois pas d’aménagement dont pourrait se prévaloir TV5MONDE.

  • Les principaux enjeux

Le premier enjeu pour TV5MONDE est la mise en œuvre du nouveau Plan stratégique 2021-2024 qui a notamment pour objectif de favoriser le potentiel de découverte des programmes francophones dans l’environnement numérique par l’entremise, en autres, de TV5MONDEplus qui devra fidéliser et mobiliser ses audiences. Un accent sera également mis sur le développement durable à travers avec une révision de la Charte de la chaîne. L’approfondissement de la dimension africaine de la programmation, ainsi que la poursuite du développement de synergies avec les diffuseurs publics francophones, devaient également être développés dans le prochain plan stratégique.

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