L'édito de Philippe Bailly

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SVoD  : coup de froid printanier ou vrai retournement ?

Le 19 avril restera comme une date noire dans l’histoire de la SVoD. Ce jour-là, la publication des résultats trimestriels de Netflix, la révélation de sa première perte nette d’abonnés (-200 000 en trois mois) et l’annonce que les pertes allaient se creuser (-2 millions attendus à fin juin) ont cristallisé une défiance qu’on sentait monter de la part des marchés financiers ; si le titre Netflix a perdu 46,5% de sa valeur entre le 19 avril et le 16 mai, ce sont l’ensemble des leaders américains des médias et du divertissement qui ont été pris dans la tourmente. Le plus résilient, Comcast, limite la baisse à -13% mais Paramount (ex Viacom CBS), Warner Media Discovery, AMC ou encore The Walt Disney Company sont tous en recul d’au moins 20%.

Conclusion : si le modèle du « quoi qu’il en coûte » en dépenses dans le contenu et le marketing, dès lors qu’il permet au service de s’imposer dans les usages, a été à la base du succès de géants d’aujourd’hui comme Google ou Facebook, analystes et investisseurs ne semblent pas – ou plus – disposés à l’acheter s’agissant de l’univers de la SVoD.

Mais il est vrai que ce dernier présente trois différences majeures par rapport à celui des grandes plateformes du Web.

La première tient à l’historique des acteurs. Avec The social network, David Fincher a rappelé que l’histoire de Facebook avait commencé par la création d’un simple annuaire des étudiants de Harvard ; Larry Page et Sergey Brin étaient encore à Stanford quand ils ont créé Google ; et, à l’image de Steve Jobs, le garage qui a accueilli les premiers pas de l’entreprise fait partie des références presqu’obligées de tout start-upper américain qui a réussi ; leurs success stories se sont construites from scratch, sans intérêts préexistants à ménager.

La situation n’a rien à voir pour les studios. The Walt Disney Company fêtera en octobre 2023 son centenaire, et une grande part de son savoir-faire a consisté à soigneusement séquencer les exploitations successives des contenus qu’il crée pour multiplier les sources de revenus : sortie en salle, commercialisation de supports vidéo, édition de chaînes thématiques, vente de droits à des tiers… La valse-hésitation qui agite les studios sur la gestion de leurs films de cinémas (maintenir une exploitation en salle, ou y renoncer pour donner la priorité à leurs plateformes de SVoD ?), illustre bien les dilemmes auxquels les expose le développement du streaming ; un chiffre extrait de la dernière publication de Walt Disney donne une idée de leur traduction sonnante et trébuchante : rien que pour le 1er trimestre 2022, la centralisation des droits du groupe vers Disney+ (au détriment de la l’exploitation du catalogue vers des tiers) a provoqué plus d’un milliard de dollars de moins-values…

Le sujet de la scalabilité des modèles constitue une deuxième différence clé. Quand on parle, à propos de la production, « d’industrie du prototype », générant peu, voire pas, d’économies d’échelle, un moteur de recherches ou un réseau social est beaucoup plus proche d’un modèle de coût fixe – ce sont des tiers qui créent et financent les contenus qui y circulent – et les perspectives de rendement marginal après point mort sans commune mesure.

Le niveau – croissant – des investissements évoqués par Netflix, Walt Disney ou encore Warner pour soutenir leur course au développement de leurs bases d’abonnés représente la troisième explication au retournement des marchés. En 2013, ces dépenses représentaient 2,4 Mds$ pour Netflix ; pour 2022, les prévisions établies en début d’exercice étaient proches de 20 Mds$…