L'édito de Philippe Bailly

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M6 : and the winner is… Bertelsmann ?

La biographie officielle de Benoit Coeuré n’indique pas s’il est joueur de billard. Certains commencent néanmoins à rechercher sous les décisions de l’Autorité qu’il préside sur la fusion TF1 / M6, le signe de coups à bandes multiples visant finalement à paraphraser Le Guépard : il faut que tout bouge pour que rien ne bouge… Et après avoir fêté cette année les 25 ans de la petite chaîne qui monte, il apparait de plus en plus plausible que Bertelsmann en soit encore l’actionnaire de contrôle au moment de souffler ses 30 bougies.

Il y a d’abord les différents préalables à la cession, qui ont permis aux patrons de l’Autorité de la concurrence et à celui de l’Arcom de se lancer successivement dans un concours d’hyperbole. Calendrier « très tendu » pour le premier, mardi 27 ; « plus qu’ultra-serré » pour Roch-Olivier Maistre, mercredi 28. Il est vrai qu’il faudra un maître de la gestion de projets et de l’établissement de chemins critiques pour boucler avant le 5 mai (échéance de l’autorisation de M6), les procédures multiples à combiner pour permettre à l’opération d’aboutir dans les temps :

  • Examen par l’Autorité de la concurrence, ou par la Commission (donc avis de l’Arcom et de l’Arcep, tests de marché, auditions… et durée contrainte pour certaines phases). Au cas où le dossier resterait géré au niveau national, on imagine mal l’instance de la rue de l’Echelle se montrer moins pointilleuse qu’elle l’a été dans le cas du dossier TF1/M6, ce qui n’aidera pas à aller vite ;
  • Examen par l’Arcom au titre de l’article 42-3 de la loi de 1986 et du contrôle des changement des « données substantielles» de l’autorisation. Le précédent du rachat de TMC et NT1 par TF1 a montré que celui-ci était loin d’être formel, rallongeant d’autant la durée de négociation des engagements à prendre par l’acquéreur ;
  • Et, en parallèle mais pour partie seulement, procédure de réattribution de l’autorisation de diffusion de M6 (consultation publique ouverte jusqu’au 10 octobre, étude d’impact dont les résultats devraient être publiés par l’Arcom en fin d’année, lancement des appels à candidatures, audition des candidats…).

Dans un tel encombrement, chaque heure compte, et celles que prend actuellement Bertelsmann pour décider du choix de l’acquéreur valent doubles ou presque (aucun des candidats ne peut pleinement lancer ses équipes dans la constitution des dossiers, sans la garantie d’être retenu).

On comprend, dans le même temps, que la fumée blanche ne puisse pas instantanément se mettre à souffler au-dessus du siège de Gütersloh, où l’on doit aussi réfléchir au « rationnel » de l’opération.

Des trois dossiers connus, celui de Daniel Kretinsky est certainement le plus simple à traiter. Ne posant pas de difficulté juridique majeure puisqu’il n’a à ce jour aucun intérêt significatif dans la production, la diffusion ou la distribution audiovisuelle. Le plus mince aussi du point de vue des synergies à espérer puisqu’il n’a à ce jour aucun intérêt significatif dans la production, la diffusion ou la distribution audiovisuelle. S’agissant de M6, réputée pour être géré à l’os, ce n’est pas non plus de l’optimisation de sa gestion que peut venir le plus de rentabilité. Qu’il s’agisse du prix proposé ou des conditions de cession, les conseils de Daniel Kretinsky n’ont certainement pas manqué de faire valoir ces différents éléments à Bertelsmann. Et on imagine donc mal l’homme d’affaires tchèque en mieux disant financier.

Au-delà de l’odeur de soufre qui accompagne Silvio Berlusconi, et que les dernières élections italiennes n’auront pas aidé à dissiper, le dossier Media For Europe (MFE) / Niel souffre au moins de trois maux. Une probable remontée du dossier au niveau de la Commission européenne, compte tenu de la surface de MFE, d’abord ; un sujet d’articulation édition / distribution, ensuite, compte tenu de la part de marché d’Iliad dans la fourniture d’accès à internet en France (plus de 20 %) ; une crédibilité limitée des dirigeants italiens pour défendre leur schéma de grand lego audiovisuel européen, enfin. Les dirigeants de ProsiebenSat.1 se refusent avec constance à tirer la moindre conséquence opérationnelle de la montée de MFE dans leur capital. Et les résultats semestriels publiés ce mercredi par ce dernier sont, à tout le moins, en demi-teinte.

Reste le trio Courbit / Saada / Ladreit de Lacharrière, auquel les +5,5 % enregistrés depuis le 23 septembre par FL Entertainment, en bourse, peuvent donner l’allure de favori. Les dettes de l’un étant largement compensées par la surface financière des autres, la solidité du dossier n’est pas en cause. Les sujets de gouvernance prêtent à davantage à discussions – entre associés certainement, mais avec les tiers également. La probabilité d’un traitement du dossier à Bruxelles est un troisième aspect, compte tenu du poids de Banijay. Reste le sujet des synergies avec, à l’inverse de Daniel Kretinsky, un risque de trop plein. Marier un producteur et une chaîne n’est pas un sujet au pays des Studios. Cela serait source de fortes complications, en France, en vue d’obtenir l’autorisation du rachat mais aussi, compte tenu des décrets production et des dispositions tenant à la production indépendante, en exécution.

On saura sans doute rapidement la façon dont Bertelsmann a articulé ces différentes observations. Ce jeudi 29 septembre – moins de deux semaines après le jet de l’éponge par TF1 et M6, et moins de six jours après que M6 a été remis en vente – la tension semble en tout cas s’émousser sur les marchés : à 12,91€ en fin de matinée, ce jeudi 28, l’action M6 vaut 60 centimes de moins que le 22, et loin des 14,43€ du vendredi 23 au soir. Signe que les boursiers ont renoncé aux mirobolantes plus-values que les rumeurs de presse leur laissaient espérer en début de semaine (jusqu’à 22€ par titre) et ne croient apparemment plus à un atterrissage rapide ? Et si tout cela avait été inscrit, dès l’origine, à l’agenda caché de Benoit Coeuré ?