L'édito de Philippe Bailly

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Quand médias et groupes tech confondent agilité et précipitation

Netflix au-dessus des 13 millions d’abonnés en France, contre 10 millions annoncés à l’été ? Il y a peu encore, la projection établie à partir du Baromètre OTT NPA Conseil Harris Interactive aurait été accueillie sous les vivats, et le lancement de son forfait avec publicité salué comme un coup de génie. Mais examiner les résultats de plus près nuance sérieusement l’enthousiasme : d’après les intentions affichées par les Français, les abonnés au nouveau forfait qui paient 5,99€ par mois pourraient peser demain pour un tiers de la clientèle du groupe, dont la moitié l’ayant substitué aux offres préexistantes, toutes facturées à 8,99€ au moins. Finalement, le nouveau forfait devrait faire gagner des abonnés à Netflix, mais lui faire perdre des revenus d’abonnement. Jusqu’à 13 % dans l’hypothèse (maximaliste) d’un basculement concentré sur les abonnés premium (17,99€ par mois).

Les annonceurs vont-ils compenser, et au-delà, ce manque à gagner ? Netflix n’a pas forcément choisi le meilleur moment pour se développer vers leur marché. Qu’elles émanent de groupes ancrés dans « le gratuit » ou ayant leur centre de gravité dans « le payant », qu’elles viennent d’Europe ou d’autres régions de la planète ou même de champions mondiaux du numérique, les guidances communiquées à l’occasion de leurs récentes publications trimestrielles ont été une longue litanie de dégradations des perspectives de chiffre d’affaires publicitaire. Au Royaume-Uni, l’Advertising Association et le WARC ont abaissé de 1,7 point leurs prévisions 2022, et de 0,5 point la trajectoire attendue pour 2023. La publication le 14 novembre des résultats trimestriels de l’étude BUMP permettra d’y voir plus clair pour la France.

Mise à part la satisfaction symbolique d’avoir brûlé la politesse à Disney+, on comprend mal par ailleurs pourquoi Netflix est allé aussi vite dans le lancement de son offre publicitaire. Négociations – a minima – inachevées avec les distributeurs pour la commercialisation de la nouvelle offre, difficultés de lecture sur certains écrans, délégation complète à Microsoft (Xandr) de la vente d’espace, absence totale de ciblage ou de caping des spots… La peinture du nouveau cadre publicitaire ne semble (vraiment) pas sèche. Au risque, on l’a vu, d’avoir lâché la proie pour l’ombre, et de laisser dans l’aventure une partie de ses revenus : compenser les 3€ d’écart entre un abonné Essentiel et un abonné Essentiel avec publicité suppose que le second passe chaque mois une vingtaine d’heures au moins sur la plateforme (en supposant un taux de remplissage de 100 % et un CPM net de 49€). La durée de visionnage les  approche des 50 heures pour compenser la bascule d’ un abonné Standard (13,49€/mois). Elle dépasse 70 heures pour un abonné Premium (17,99€/mois)…

Maigre consolation, Netflix ne semble pas le seul à céder à la fébrilité avec, sans doute, LionsGate comme autre illustration frappante : à peine les Européens se sont-ils familiarisés avec la marque LionsGate+, amenée à remplacer Starz Play, qu’ils ont appris son retrait du vieux continent… après que le groupe a communiqué à grand frais pendant l’été sur cette transformation.

L’agilité est l’une des vertus généralement reconnues aux structures de la Tech. Mais que celle-ci aille jusqu’au virage sur l’aile laisse songeur. Qualité d’exécution, et capacité à se projeter font également partie, en principe, des qualités dont on les crédite…