L'édito de Philippe Bailly

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2005/2023 : un cadre réglementaire qui s’est durci pour les éditeurs de la TNT

En 2001, les décrets visant à organiser la contribution des chaînes analogiques à la production parachevaient la préparation du cadre de lancement de la TNT engagée avec la loi d’août 2000 ; vingt ans plus tard, on pouvait attendre que le décret TNT signé à la fin 2021 par Roselyne Bachelot tire les conséquences de la transformation profonde qu’avait subi le paysage audiovisuel.

Outre que le niveau de la contribution qu’ils sont tenus d’apporter à la production – cinéma comme audiovisuelle – n’a pas connu d’allégement substantiel entre les deux échéances, et s’est même renforcé dans le cas de Canal+, les éditeurs de la TNT n’ont pas connu d’allongement significatif des durées d’exploitation qui leur sont concédées sur les programmes qu’ils financent. Ceci complique la conduite des stratégies de « plateformisation » vers lesquelles ils sont tous orientés, et dont la capacité à mettre à la disposition du public de larges catalogues représente un facteur clé de réussite.

Les durcissements qui sont intervenus, sur la détention des droits comme sur le niveau des participations autorisés dans le capital des sociétés de production indépendantes, rend également plus aléatoire le développement de revenus tirés des exploitations secondaires des droits (ventes France ou étranger…).

Nul doute que les groupes de la TNT signaient des deux mains s’ils pouvaient indexer leurs revenus à la taille des décrets chargés de les encadrer ! En l’espace d’une génération (décrets Tasca de juillet et décembre 2001, précédant le lancement de la TNT, et 2021, décret Bachelot de décembre 2021), les copies du ministère de la Culture ont vu leur volume croître de 60 %, de 35 000 à 56 000 signes, et de 28 articles (en cumul des deux textes) à 50 pour la version actuellement en vigueur.

Au-delà de son caractère anecdotique, cette inflation résulte de la fragmentation de la règle commune en une mosaïque de dispositions particulières. En fonction du chiffre d’affaires de l’éditeur (mais sans harmonisation des seuils retenus aux différents points d’application), selon le niveau d’engagement qu’il prend en matière de financement de la production patrimoniale, dans son ensemble, et, depuis 2021, selon ceux auxquels il souscrit spécifiquement à l’égard de la fiction, du documentaire ou de l’animation, suivant que les programmes de plateau qu’il finance sont ou pas issus de formats originaux… Et le texte de 2021 y ajoute de multiples possibilités de modulations conventionnelles « tenant compte » des accords passés avec les organisations professionnelles de producteurs et, fait nouveau, les sociétés d’auteur.

Passant sur le débat de principe sur la persistance d’une « règle générale » que les décrets sont supposés tracer, on pourrait s’interroger sur la façon dont un faisceau d’obligations aussi pèse sur la programmation des chaînes et réduit leur agilité et leur capacité à s’adapter aux attentes du public.

A défaut, on s’est limité à comparer les points clé des textes de 2001 et de 2021, en retenant pour ce dernier le cadre général qu’il édicte, et sans entrer dans le détail de ses « modulations » et clauses dérogatoires.

Canal+ principal perdant sur les niveaux de contribution au cinéma et à la production audiovisuelle

Concernant au-delà du niveau de contribution au financement du cinéma attendu des éditeurs :

  • Le taux de « droit commun » applicable aux chaînes gratuites reste fixé, comme en 2001, à 3,2 % du chiffre d’affaires (2,5 % allant à la production de films EOF) … mais la négociation de « modulations » (augmentation du nombre de diffusions, droits de replay à 7 jours…) a conduit France Télévisions, TF1 et, plus récemment M6 à accepter de pousser leur effort à 3,5 %;
  • S’agissant des chaînes hertziennes payantes, de facto Canal+, le décret de 2001 prévoit que « les acquisitions de droits de diffusion d’œuvres cinématographiques européennes et d’expression originale française représentent, respectivement, au moins 12 % et 9 % des ressources totales de l’exercice» (pour un total consacré à l’achat de droits de films d’au moins 20 % ; donc, à l’époque, la possibilité de consacrer 40 % de cette enveloppe à des productions non européennes) ; le cadre de 2021 prévoit des dépenses comprises entre 12 % et 16 % pour le cinéma européen (10 % à 13 % pour les films EOF), en fonction de la fraîcheur du catalogue (taux de 16 % lorsque la chaîne diffuse au moins un film dans les neuf mois suivants sa sortie en salle)[1].

De facto ou de jure, c’est donc sur une participation renforcée des chaînes de la TNT au financement du cinéma que se seront achevées les deux décennies écoulées.

L’introduction d’un dispositif de fléchage vers la production patrimoniale par la loi Télévision du futur de 2007 complique la comparaison des régimes concernant la production audiovisuelle dans le cas des chaînes en clair.

Le texte de 2001 se limitait à prévoir un taux de contribution de 16 %, sans distinguer entre les différents genres d’œuvres audiovisuelles ; dans son principe général, celui de 2021 permet à l’éditeur de choisir entre un taux de 15 %, dont 10,5 % à la production patrimoniale, ou 12,5 %, entièrement consacré à la production patrimoniale.

La mise en perspective est plus facile pour Canal+ : alors que le niveau de contribution était de 4,5 % en 2001, toutes œuvres audiovisuelles confondues, le décret de 2021 l’a fixé à 6 %, intégralement consacré à des productions patrimoniales.

Durées d’exploitation quasiment stables pour les productions indépendantes

S’agissant des chaînes de la TNT en clair comme de Canal+, les parts à consacrer à la production indépendante sont restées inchangées entre 2001 et 2021 : trois quarts pour le cinéma et deux tiers concernant la production audiovisuelle.

Sauf accord particulier négocié avec les organisations professionnelles dans le cadre des « modulations » autorisées par le décret de 2021 (et qui permettra par exemple à TF1 de disposer d’une fenêtre de 48 mois sur les programmes audiovisuels qu’il finance), les limitations en durée des droits et en nombre de diffusion ont peu évolué par rapport à 2001.

Le cas des productions audiovisuelles financées à plus de 50 % par des groupes multi-chaînes apparait comme la principale prise en compte des changements intervenus par rapport à l’avant TNT.

 

Des conditions durcies sur les exploitations secondaires et sur d’éventuelles participations croisées

S’agissant des droits secondaires, le décret de 2021 s’inscrit clairement en recul, pour les éditeurs, par rapport aux rédactions de 2001 :

  • S’agissant de la production audiovisuelle, la détention de mandats de commercialisation qui était autorisée à la seule condition d’avoir été négociée « dans des conditions équitables» n’est plus autorisée qu’à titre dérogatoire, et dans le seul cas où le producteur ne dispose d’aucune solution alternative (interne ou dans le cadre d’un accord cadre),
  • Concernant le cinéma, la possibilité – conditionnelle – d’obtenir un deuxième mandat d’exploitation ne figure plus dans la rédaction de 2021.

A l’évolution des conditions sur l’œuvre, on peut ajouter celles – cumulatives – portant sur l’existence de liens capitalistiques : alors qu’il était prévu en 2001 – et jusqu’en 2021 – la possibilité de participations croisées entre chaîne et producteur, dans la limite de 15 %, la nouvelle réglementation les prohibe totalement.

[1] Dans le cadre de l’accord qu’il a signé avec les organisations du cinéma fin 2021, le Groupe Canal+ a par ailleurs négocié la possibilité d’une contribution forfaitaire qui est mieux disante par rapport à l’application du calcul proportionnel

 

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