D’après une étude du CSA sur les chiffres clés du sport à la télévision en…
En France, la Ligue de Football Professionnel prépare le lancement de sa procédure d’appel d’offres pour commercialiser les droits TV de Ligue 1 pour le cycle 2024-28 à l’automne prochain. Alors que des rumeurs font état d’une possible candidature d’Apple au Royaume-Uni pour les droits de la Premier League, qui seront remis en jeu à la même période, les interrogations sont importantes quant aux stratégies futures des géants de la Tech sur le marché français. L’examen des droits qu’ils détiennent déjà montre pourtant qu’Amazon est le seul acteur réellement présent en dehors de son marché domestique.
Après la faillite de Mediapro fin 2020, les droits de la Ligue 1 partagés en France entre Amazon, Canal+, Free et beIN SPORTS courent jusqu’en 2024. La Ligue de football professionnel (LFP) n’a récupéré qu’un peu plus de 660 millions d’euros par saison contre plus de 1,1 milliard d’euros par an avec le contrat initial. Au mois de septembre 2022, Vincent Labrune, président de la LFP a annoncé que le lancement de l’appel d’offres pour les droits sur le cycle qui débutera en 2024 aura lieu à l’automne 2023. Cet appel d’offres sera organisé par la nouvelle société commerciale du football professionnel français, codétenue par la LFP et le fonds d’investissement luxembourgeois CVC Capital Partners qui a pris 13 % de son capital contre un chèque de 1,5 milliard d’euros. Les enjeux sont importants pour le football français après que le fiasco Mediapro, qui a permis à Amazon de récupérer les droits pour un prix trois fois moins important, ait laissé environ 2 milliards d’euros de manque à gagner au cours du cycle qui s’achève.
Selon le quotidien L’Equipe, dès 2024, la LFP espère gagner 860 millions d’euros pour ses droits nationaux chaque année et 200 millions d’euros supplémentaires (contre 80 M aujourd’hui) pour les droits à l’étranger. Le seul moyen pour relancer la croissance des droits TV est d’espérer une forte concurrence entre les diffuseurs intéressés. Pourtant, du côté des candidats, les intentions d’Amazon restent floues. La somme déboursée en 2021 (250 M€) pour acquérir 80 % des matchs est notoirement faible et rien n’indique eu égard aux performances de son Pass Ligue 1 (lire l’Insight sur ce sujet) que le géant du e-commerce soit prêt à débourser au minimum deux fois plus pour conserver les droits. De son coté, Canal+ n’a pas confirmé à ce jour son intention de participer aux enchères et a préféré investir sur les compétitions européennes en remportant les droits intégraux et exclusifs de la Ligue des Champions et des compétitions UEFA pour la période 2024-27.
L’équation est donc compliquée pour la LFP, d’autant que ni Apple ni Alphabet ne devraient se positionner puisque leur stratégie dans les droits sportifs premium est pour l’instant limitée au territoire des Etats-Unis.
Depuis que Meta, la maison mère de Facebook a abandonné toutes prétentions dans le sport premium (les contrats avec la Liga et l’UEFA pour la Champions League ont été rompus en 2021, le réseau social estimant que l’acquisition de droits de diffusion sportifs n’était finalement pas compatible avec son modèle commercial), Alphabet, Amazon et Apple restent les trois géants du numérique à se positionner face aux groupes médias.
Mais les trois groupes ne sont en concurrence qu’aux Etats-Unis pour les compétitions locales. Amazon est le seul à poursuivre sa stratégie dans le sport au-delà de son marché domestique. Si l’incursion d’Alphabet et Apple sur le terrain des droits sportifs est impressionnante en raison des montants engagés et de la durée des droits, les compétitions concernées sont finalement très restreintes.
Apple n’est entré sur le marché des droits sportifs qu’en 2022 avec deux accords importants.
Le premier, annoncé au mois de mars porte sur le lot du « Friday Night Baseball » de la MLB (Major League Baseball), soit deux matchs d’intérêt national en exclusivité le vendredi soir sur Apple TV+, ainsi qu’une émission en direct proposée tous les soirs de la semaine, du lundi au vendredi, pendant la saison régulière, MLB Big Inning. L’accord avec la MLB est d’une durée de 7 ans, de la saison 2022-23 à 2028-29. Les droits couvraient initialement 8 marchés à l’international (Canada, Australie, Brésil, Japon, Mexique, Porto Rico, Corée du Sud et Royaume-Uni), avant d’être étendu à 13 (Allemagne, Italie, République dominicaine et Colombie) puis à 60 (dont la France). Le montant est estimé à 85 millions de dollars par saison, dont 30 M$ en publicité. Cet accord est donc marginal pour la MLB puisque le montant total des droits sportifs que la Ligue commercialise s’élève à 1 960 M$ par saison grâce, essentiellement, à ses trois partenaires historiques, Fox, ESPN (The Walt Disney Company) et Turner Sports (Warner Bros. Discovery).
Outre le Baseball, Apple est également présent sur le Soccer grâce à un accord avec la MLS (Major League Soccer) annoncé en juin 2022 pour le « Season Pass », qui porte sur la diffusion de tous les matchs de la MLS en direct à partir de 2023 et jusqu’en 2032 sur le nouveau service de streaming MLS, disponible par abonnement et distribué en exclusivité via l’app Apple TV. Une large sélection de matchs, dont les plus importantes, sera également disponible sans coût supplémentaire pour les abonnés à Apple TV+. L’accord, portant sur 10 ans, concerne les Etats-Unis et plus de 100 pays et zones géographiques dans le monde. Le montant global des droits versés par Apple est de 250 M$ par saison, soit au global 2,5 Mds$. Cet accord avec Apple va permettre à la MLS d’augmenter d’environ 25 % ses revenus annuels estimés autour de 1 Md$.
Si on prend en compte les droits cumulés pour la MLB et la MLS, Apple débourse donc environ 335 M$ par an pour des droits sportifs, soit à peu près 5 % de son enveloppe globale de dépenses dans les contenus, estimée par le cabinet Moffett Nathanson à 7 Mds$ en 2023.
La présence d’Apple dans les droits sportifs aurait été beaucoup plus conséquente si la firme de Cupertino avait remporté l’appel d’offres de la National Football League (NFL) pour l’un de ses lots les plus premiums, le « Sunday Ticket », finalement arraché de haute lutte par Alphabet au mois de décembre 2022. Apple, pourtant présenté pendant des mois comme le favori a préféré ne pas surenchérir sur la dernière proposition de la firme de Mountain View.
Le « Sunday Ticket » (l’ensemble des matchs du dimanche ainsi que la chaîne multiplex NFL Red Zone) diffusé sur YouTube TV permet à Alphabet, dont c’est le seul droit sportif important, d’entrer dans la cour des grands aux Etats-Unis en matière de diffusion de compétitions sportives majeures.
L’accord de 7 ans, à partir de la saison 2023-24 et jusqu’à 2030-31 porte sur la somme record de 2 Mds$ par saison (soit un deal global de 14 Mds$ au total…), en progression de 50 % par rapport à celle que déboursait l’opérateur de TV payante par satellite DirecTV pour le précédent cycle (1,5 Md$). DirecTV, diffuseur depuis 1994, avait choisi de ne pas candidater à nouveau en raison des pertes colossales induites par le contrat, estimées à 500 M$ par saison lors du dernier cycle, dans un contexte de désabonnement massif aux offres de TV payante. La base d’abonnés à DirecTV a été presque divisée par deux pendant la durée du dernier cycle, passant de 25,5 millions fin 2015 à 13,3 millions fin 2022.
Pour tenter de rentabiliser cet investissement, la maison mère de Google a calqué son dispositif commercial sur ceux des diffuseurs traditionnels du câble et du satellite. Contrairement au lot concurrent — il est vrai plus modeste — du « Thursday night Football » de la NFL, accessible sans surcoût supplémentaire pour les abonnés Prime Video, le « Sunday Ticket » est facturé en plus de l’abonnement à YouTube TV. Et les prix sont chers, logiquement plus chers que chez DirecTV jusqu’à la saison 2022-23.
Le prix régulier du « Sunday Ticket » pour les abonnés à YouTube TV sera de 349 $ par saison et de 389 $ en y ajoutant la chaîne NFL Red Zone, en plus de l’abonnement au bouquet mensuel à YouTube TV (72,99 $/mois pour le bouquet de base de +100 chaînes). Un tarif préférentiel est proposé jusqu’au 6 juin 2023 avec une remise de 100 $ sur les deux formules. Si le Sunday Ticket vise clairement à dynamiser les abonnements à YouTube TV (environ 5 millions selon les estimations, Alphabet ne communiquant pas sur cet indicateur), les non abonnés pourront choisir de passer par la plateforme traditionnelle YouTube pour s’abonner à la chaîne payante YouTube Primetime Sunday Ticket, mais pour un prix plus élevé : 449 $, et 489 $ avec NFL Red Zone.
Sachant qu’au cours de la dernière saison DirecTV (qui facturait 295 $ son option) n’a pu attirer qu’entre 1,5 et 2 millions d’abonnés au « Sunday Ticket », et étant donné le montant déboursé par Alphabet, même avec 3 millions d’abonnés via YouTube TV, l’opération apparait presqu’impossible à rentabiliser sur les seuls revenus des abonnements[1]. Ce sont donc les recettes publicitaires qui seront décisives et qui guideront la future stratégie d’Alphabet dans les droits sportifs premium.
Comme Apple et Alphabet, Amazon possède peu de droits sportifs aux Etats-Unis. En revanche, contrairement à ses concurrents, il est également présent en Europe avec des droits sur des compétitions majeures.
Aux Etats-Unis, Amazon a fait ses classes avec la NFL en signant depuis 2017 des accords ponctuels pour la retransmission d’une poignée de matchs évènementiels sur Prime Video, en coopération avec CBS/NBC et Fox Sports. Mais la véritable entrée sur le marché des droits date du mois de mai 2021 avec l’annonce d’un « mega deal » pour devenir pendant 11 ans le diffuseur exclusif du « Thursday Night Football » (15 matchs tous les jeudis) à partir de la saison 2022-23 et jusqu’en 2032-33 sur Prime Video et sur Twitch. Pour ce qui reste le premier accord majeur passé entre une ligue premium et un géant de la Tech, Amazon a déboursé la somme de 13 milliards de dollars, soit 1,3 Md$ par saison, ce qui était alors un record, aujourd’hui battu par Alphabet pour le « Sunday Ticket ». Contrairement à Alphabet, Amazon ne fait pas payer de surcoût à ses abonnés Prime Video (8,99 $ par mois ou inclus dans l’abonnement Prime à 14,99 $ par mois ou 139 $ par an) pour profiter de la compétition.
A l’issu de la première saison complète, le bilan est plutôt positif pour Amazon qui a apporté la preuve de ses capacités dans la production et surtout de la robustesse technologique de ses infrastructures pour assurer une diffusion fiable et de qualité sur l’ensemble du territoire américain. En revanche, les audiences sont plus mitigées avec une moyenne hebdomadaire de 9,57 millions de téléspectateurs selon Nielsen (11,3 millions selon les propres chiffres d’Amazon), inférieure à celles de la saison précédente sur Fox Sports (13,4 millions en moyenne). Mais l’audience a été rajeunie avec un téléspectateur d’âge moyen de 47 ans, contre 54 ans quand la compétition était diffusée sur les réseaux linéaires. Et Amazon a su convaincre les annonceurs publicitaires en attirant en moyenne 2,11 millions de 18-34 ans, un chiffre en hausse de 11 %.
Si la rentabilité de l’opération pour Amazon reste la grande inconnue pour l’instant, faute de communication officielle sur le sujet, la réussite technique de la première saison a positionné le groupe comme un acteur majeur et fiable pour tous les détenteurs de droits sportifs. Ce qui n’était pas acquis puisqu’Amazon a essuyé auparavant plusieurs échecs importants avant de décrocher les droits du « Thursday Night Football », pour la Formule 1 et la Big Ten Conference (compétitions universitaires) notamment, qui n’étaient pas liés à une question d’argent.
Amazon semble maintenant prêt pour candidater pour la compétition la plus prestigieuse aux Etats-Unis, la NBA, dont les droits aujourd’hui détenus par ESPN (The Walt Disney Company) et Turner (Warner Bros. Discovery) arrivent à échéance à la fin de la saison 2024-25. Le président de la NBA, Adam Silver a ainsi pu déclarer au mois de novembre 2022 qu’il était « fasciné » de ce qu’Amazon réussissait à faire avec la NFL. « Ces nouvelles façons de produire et de personnaliser les expériences pour les consommateurs sont tout aussi importantes pour nous ».
L’hypothèse de voir Amazon candidater pour la NBA est d’autant plus probable que la firme de Seattle est déjà un partenaire important de la Women’s National Basketball Association (WNBA). Il détient depuis la saison 2022-23 les droits exclusifs aux Etats-Unis pour tous les matchs de la saison de l’équipe de Seattle (Seattle Storm). Et un accord pluriannuel mondial (à l’exception de la Chine, du Japon, du Royaume-Uni, de l’Italie, de l’Espagne, de la Finlande et de l’Allemagne), une première pour Amazon, lui permet depuis la saison 2021-22 d’être le diffuseur exclusif de 16 matchs par saison (17 cette année) partout sur le globe.
Selon Jay Marine, vice-président de Prime Video, responsable mondial des sports, interrogé par Sport Business Journal, Amazon a un plan sur 10 ans pour devenir un acteur encore plus important dans le secteur des droits sportifs. « La seule chose que je peux vous promettre, c’est que, indépendamment de nous, plus d’acteurs du streaming diffuseront du sport l’année prochaine que l’année dernière (…) et encore plus dans cinq ans par rapport à aujourd’hui. Lorsque vous voyez une tendance macro comme celle-là, vous pouvez investir beaucoup en étant sûr que vous investissez pour l’avenir. C’est ce que nous avons fait ». Et, « Au minimum, nous allons devenir un diffuseur majeur de sports dans presque tous les grands pays du monde ».
C’est en Europe qu’Amazon a choisi de se développer en premier, autour du sport le plus important du continent, le football, et, dans une moindre mesure du tennis. Amazon est aujourd’hui présent sur quatre des cinq premiers marchés européens, l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni.
En Allemagne, Amazon est co-diffuseur de l’UEFA Champions League depuis la saison 2021-22. L’accord initial de trois ans a été renouvelé pour le cycle 2024-25 à 2026-27. Amazon diffusera 17 matchs par saison moyennant 90 M€ par an. C’est le service de streaming DAZN qui conserve néanmoins la majorité des droits (120 matchs). La Ligue des Champions est incluse sans supplément de prix pour les abonnés Prime Video. La configuration est identique en Italie où Amazon a sécurisé la diffusion exclusive du meilleur match du mercredi pour le cycle 2024-27 de la Champions League pour une somme identique (autour de 100 M€). Comme en Allemagne, Amazon n’est que le diffuseur secondaire puisque c’est Sky Italia (Comcast) qui conserve l’ensemble des autres matchs de la compétition.
En France, outre la Ligue 1 de football jusqu’en 2023-24, Amazon diffuse également le tournoi de tennis du Grand Chelem de Roland-Garros. La Fédération Française de Tennis a annoncé le jeudi 30 mars avoir prolongé l’accord qui le lie à France Télévisions et Amazon pour quatre saisons supplémentaires (2024, 2025, 2026 et 2027), sans appel d’offres et au terme d’une négociation de gré à gré. Dans le nouveau cadre, France Télévisions assurera la diffusion en exclusivité de l’ensemble des matches de journée, y compris ceux du cours Simonne-Mathieu (le troisième plus grand court du complexe), jusque-là détenus par Prime Vidéo. De son côté, Amazon disposera d’une 11ème nocturne de compétition en exclusivité, contre 10 actuellement. Aucune précision n’a été apportée sur le montant du nouveau contrat (environ 25 M€ au total pour le précédent).
Au Royaume-Uni, en revanche, Amazon a confirmé son désengagement de la diffusion des compétitions de Tennis. Alors que Sky avait déjà récupéré les droits de l’US Open, détenus depuis 2016 par Amazon, la filiale de Comcast a finalisé un accord pour la reprise à partir de 2024 des tournois ATP et WTA (hors grand chelem) détenus par Amazon pour la période 2019-23 (10 M£ par an). Mais Amazon reste incontournable dans le football outre-Manche avec les deux compétitons majeures, la Ligue des Champions une nouvelle fois, et la Premier League. Concernant l’UEFA Champions League, Amazon diffusera 20 matchs par saison (le match phare du jeudi avec priorité pour les équipes britanniques jusqu’à la demi-finale) pendant 3 ans (cycle 2024-27) pour un total estimé de 150 M£ par saison (environ 450 M£ au total). Les droits sont partagés avec BT Sport qui deviendra TNT Sports (co-entreprise entre BT et Warner Bros. Discovery) et la BBC. Enfin, l’accord entre Amazon et la Premier League pour le cycle 2019-22 a été renouvelé pour le cycle 2022-25 avec la diffusion exclusive de 20 matchs par saison. Le prix n’a pas été rendu public mais il devrait être quasiment stable par rapport au cycle précédent soit 90 M£ par saison pour Amazon. Les deux compétitions, européenne et nationale, sont accessibles sans supplément pour tous les abonnés Prime Video.
[1] Voir https://nscreenmedia.com/youtube-sunday-ticket-profitability/ pour les différentes projections
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