L'édito de Philippe Bailly

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Réforme de l’audiovisuel : le coup d’aiguillon du Sénat à l’Assemblée Nationale

En déposant le 2 mai sa « proposition de loi relative à la réforme de l’audiovisuel public et à la souveraineté audiovisuelle », le Président de la commission Culture (UC) Laurent Lafon a pris par surprise l’ensemble du secteur. Il pourra également sourire du coup d’aiguillon qu’il semble avoir donné à ses collègues députés. Alors que la Mission d’information sur l’avenir de l’audiovisuel public de l’Assemblée nationale s’épuisait depuis plus de six mois dans d’interminables auditions, elle a soudainement annoncé ce mardi 16 mai que ses conclusions seraient débattues le 6 juin et présentées publiquement le lendemain… ; c’est aussi le 7 juin, au matin, que la commission de la Culture du Sénat examinera dès le rapport du sénateur (LR) Jean-Raymond Hugonet sur le texte de Laurent Lafon.

Cette accélération du calendrier de l’Assemblée nationale ne devrait pas lui suffire à coiffer sur le poteau la chambre haute, puisqu’on sait déjà la proposition de loi Lafon sera débattue en première lecture en séance publique le 12 juin. Et quand les députés – de par l’objet même de leur mission – devraient se concentrer sur l’organisation de l’audiovisuel public, le texte sénatorial aborde l’économie d’ensemble du secteur. A tel point que ses 15 articles pourraient davantage réformer l’audiovisuel que les lois adoptées au cours des 15 dernières années, depuis la réforme Sarkozy de 2008/2009.

S’agissant du regroupement des entreprises de l’audiovisuel public sous une holding commune, il faudra d’ailleurs à la majorité présidentielle des trésors de rhétorique pour s’y trouver à redire : le Sénat reprend, au mot près le plus souvent, l’essentiel des dispositions du projet de loi Riester, élaboré sous le précédent quinquennat et dont l’examen avait été interrompu par la crise sanitaire.

Après une crise des retraites qui a souligné l’isolement des élus macronistes, l’occasion est belle par ailleurs pour afficher l’union avec la droite républicaine, centristes (Laurent Lafon) et LR (Jean-Raymond Hugonet) réunis.

Sur l’équilibre général du secteur, la force du projet est dans son ciblage : consacrer par quelques coups de patte bien ajustés les chaines de la TNT comme le centre de la résistance aux plateformes mondiales, plutôt que de se perdre dans une réécriture d’ensemble de la loi de 1986.

Intégrer l’ensemble des chaînes nationales de la TNT en clair dans la liste des Services d’intérêt général garantit d’abord à toutes de rester facilement « trouvables » dans les environnements OTT, sans devoir justifier pour être classées parmi les SIG de leur « contribution au caractère pluraliste des courants et pensée et d’opinion et à la diversité culturelle audiovisuelle » comme le prévoit le texte en vigueur. Cela rejoint d’ailleurs le consensus qui a progressivement émergé parmi les éditeurs.

Faciliter à ces derniers la détention des mandats de commercialisation des programmes qu’ils produisent leur permettra ensuite d’épouser plus efficacement le mouvement de plateformisation qui est à l’œuvre dans l’ensemble de l’audiovisuel mondial.

Ramener aux deux années suivant l’obtention d’une autorisation de diffusion la durée pendant laquelle les opérations de changement de contrôle sont prohibées, au-lieu des cinq qui prévalent aujourd’hui, évitera encore que le cycle de ré-autorisation qui s’est engagé en début d’années avec TF1 et M6 aboutissent à fossiliser le secteur pendant une demi-décennie. La mise en vente avortée de M6, après le renoncement à la fusion TF1/M6, avait souligné ce risque.

S’agissant des droits sportifs, c’est en étendant aux plateformes les dispositions concernant les événements d’importance majeure que le projet rétablit l’égalité par rapport aux éditeurs de la TNT, écarte le spectre d’un Mondial de football totalement accaparé par une plateforme de streaming sur abonnement (Lire Le Mondial de foot 2026 en exclusivité sur Amazon ? C’est envisageable)… et pointe, en creux, l’incapacité des projets de réforme que les ministres de la Culture et des Sports ont multiplié ces dernières années, à refermer cet angle mort.

Laurent Lafon va plus loin, en prévoyant de plafonner la capacité des streamers aux deux tiers des droits des grands championnats professionnels. Cette règle, si elle s’était appliquée, n’aurait pas permis à Amazon de diffuser 80 % de la Ligue 1 de football (8 matches par journée) comme c’est le cas aujourd’hui. Mais on peut douter que la Commission européenne accorde son feu vert à sa mise en œuvre.

Last but not least, La radio n’est pas oubliée ! En systématisant l’intégration du DAB+ aux récepteurs de radio mis sur le marché, le texte de Laurent Lafon le confirme comme l’avenir du média. Concision oblige, il ne prévoit pas le dispositif complémentaire qui devrait, comme cela avait été le cas lors de généralisation de la TNT, prévoir une aide à l’équipement des ménages économiquement fragiles et organiser l’extinction progressive de la FM.

Sur ce point, comme sur les autres sujets qu’il aborde, le texte de Laurent Lafon devra donc être complété. Il n’empêche. Il exprime une volonté politique claire. Et c’est bien là la condition préalable à toute réforme d’ambition.