L'édito de Philippe Bailly

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Le patron de Warner Bros. Discovery marche sur les traces de Canal+ pour inventer la TV payante 2.0

S’unir ou être mis en coupe réglée par Amazon, Google ou Apple. David Zaslav a parlé cash le 19 mai lors de son intervention à la Technology, Media and Telecom Conference organisée par le cabinet MoffettNathanson[1] : « Il me semble très clair que si nous devions packager notre excellent produit avec d’autres, avec deux ou trois services [les services numéros 1, 2 ou 3 sur chaque marché], à un prix spécifique, ce serait formidable pour les consommateurs (…). Je pense qu’il n’y a que deux possibilités : nous réussissons à le faire, nous les propriétaires de contenu (…) ou, si nous ne le faisons pas nous-mêmes, d’autres le feront à notre place » (lire dans cet INSIGHT NPA : Après le lancement de Max, Warner Bros. Discovery défend une stratégie d’agrégation entre éditeurs)

N’hésitant pas à une certaine dramatisation, le propos va bien au-delà du rappel au vieux principe selon lequel l’union fait la force. Il acte le fait que le virage à 180° effectué début 2022 par les studios risque de ne pas être suffisant pour restaurer leur profitabilité. Et il ajoute une notion d’urgence dans la mise en œuvre de cette nouvelle étape.

Après l’annonce de la fin de la « guerre du streaming » dans laquelle les uns et les autres s’étaient épuisés, la volonté de réduire les coûts s’est traduite au sein des studios par l’arrêt de certains projets encore au stade du développement, par l’optimisation des catalogues disponibles dans les services de streaming et par la réduction des effectifs. Mais de ces trois mesures, la dernière est la seule à se traduire immédiatement dans les comptes – quoi qu’avec un effet retard en cas de paiement d’indemnités de licenciement.

Le retrait de titres permet d’améliorer les structures de bilan des activités D2C, mais sans effet immédiat autre que sur le plan fiscal.

L’allégement des plannings de production ne vaut que pour l’avenir, comme un signal de plus grande rationalité dans les engagements de dépenses.

Mais, à court terme, les productions déjà engagées s’étalent généralement sur plusieurs années, et les contrats signés avec des ligues sportives – pour des durées pouvant aller jusqu’à dix ans aux Etats-Unis, doivent être honorés. Au final, et comme le notait fin mars Moffett Nathanson (voir INSIGHT NPA : Amazon, Apple et Netflix pour plus de 25% des dépenses de contenu des leaders américains), les dépenses de contenus des leaders américains (WBD, NBC Universal, Disney, Paramount et Fox Corp) resteront presque stables en 2023 (-0,5 %) à… 101,4 Mds$.

Reste le cas du marketing, dont l’évocation donne tout son sens au propos de David Zaslav.

Diminuer les budgets de publicité à un impact immédiat, du côté des dépenses et, si la réduction est effectuée de façon concomitante par les différents acteurs ou mutualisé et que l’effort est mis au service d’offres communes, cela est neutre sur leur situation concurrentielle.

Fédérer les offres leaders au sein d’un package commun permet, en outre, de réduire les phénomènes de churn & return, donc de réduire les niveaux de désabonnement et les coûts d’acquisition.

Reste à déterminer la façon dont seraient commercialisées ces offres communes.

Confier leur distribution aux éditeurs eux-mêmes, comme le suggère David Zaslav, peut conduire à de complexes négociations (détermination de budgets marketing partagés, mise en place d’une plateforme commune de gestion de la facturation et du recouvrement, propriété du fichier d’abonnés…). S’agissant d’alliances à géométrie variable, pays par pays, telles qu’il les suggère plus encore.

Google, Apple ou Amazon accepteraient sans doute volontiers d’assumer cette fonction (ils l’occupent déjà largement aujourd’hui dans le cadre d’accords service par service), mais la proposition du patron de WBD vise précisément à éviter de les renforcer.

Restent les agrégateurs spécialisés – en France, Canal+ a pris une grosse longueur d’avance dans cette direction en rassemblant dans une offre unique Apple TV+, Canal+, Netflix, OCS ou encore Paramount+ – et les opérateurs, que les propositions d’abonnement en D2C visaient à l’inverse à contourner.

Sur ce dernier terrain, aussi, l’Europe a été précurseur, et notamment la Scandinavie avec les offres du danois TDC, par exemple (voir INSIGHT NPA : L’opérateur danois YouSee décline en OTT ses offres TV modulables).

Mais, pour la plupart, la capacité à offrir des bundles combinant différents services reste très limitée et le niveau de partage des métadonnées trop faible pour optimiser l’expérience utilisateur (trouvabilité des programmes, performance des outils de recommandation…).

La direction proposée par David Zaslav a l’avantage de marquer un tournant. Mais on peine à imaginer que les éditeurs, à eux seuls, puissent conduire à son terme le chantier de la TV payante 2.0.

[1] https://wsw.com/webcast/mn19/register.aspx Traduction NPA Conseil