A la veille de l’IBC, vous venez d’annoncer deux accords, l’un avec Rakuten TV et l’autre avec Monaco TV. Que faut-il en retenir ?
Cédric Monnier : La création d’une chaîne nationale, c’est un événement rare. Nous sommes d’autant plus fiers d’avoir été retenus par TV Monaco pour opérer l’ensemble de ses développements OTT. C’est pour nous la reconnaissance de l’expertise que nous avons acquise dans la création de services de streaming, linéaire ou à la demande, et payants comme gratuits. Ce savoir-faire se prolonge dans la capacité à accompagner les éditeurs vers l’ensemble des plateformes digitales, et c’est là qu’intervient l’accord stratégique que nous venons de conclure avec Rakuten TV : il s’ajoute aux deals que nous avions déjà avec Samsung TV Plus, Pluto TV, Roku, LG Channels, Plex, TCL, Xiaomi, Huawei, et de nombreux autres, pour assurer aux chaînes de nos clients la plus large distribution, en France et dans les quatre autres principaux marchés européens, en Amérique du Nord ou encore au Brésil. On est en plein dans les objectifs du consortium Européen FAST4EU que nous animons depuis le printemps 2022 avec SECOM et Kinostar.
« Le streaming gratuit représente le moteur principal de la CTV ! »
Vous êtes donc en plein dans la vague CTV ! Mais avec les sigles qui se multiplient, on finit par en perdre un peu le sens et la dynamique…
Cédric Monnier : C’est vrai que même les professionnels s’y perdent… et avec les acronymes qui se multiplient – AVoD, BVoD, FAST, HVoD, SVoD, VoD, VoL – il y a de quoi ! Mais pour le public, les sigles importent peu et se résument en trois points :
- Un temps passé à regarder de la vidéo qui continue à augmenter et atteint par exemple 5 heures 30 en Espagne
- La capacité à jongler d’un écran à l’autre pour arriver au fameux ATAWAD
- Mais une grosse prime au téléviseur, qui représente partout 80% du temps passé environ.
Et comme le téléviseur est maintenant dans plus d’un cas sur deux une smart TV, le public navigue de plus en plus librement entre les différentes plateformes OTT. Ça a d’abord nourri le développement de la SVoD. Les applis des groupes audiovisuels comme MyTF1, ITVX ou le nouvel Atresplayer, les services de FAST et d’AVoD comme Samsung TV Plus, Pluto TV ou Rakuten TV, et bien sur YouTube prennent aujourd’hui le relai. C’est aujourd’hui le streaming gratuit qui représente le moteur principal de la CTV
« Les éditeurs de chaînes FAST vont devoir élever leur niveau de jeu ! »
C’est la mort de la box des opérateurs ?
Cédric Monnier : ne les enterrons pas trop vite, et surtout pas en France, avec le triple play qui fêtera à la fin de l’année ses vingt ans. Et même aux Etats-Unis, qu’on nous décrit comme le cas le plus abouti de cord cutting, dire qu’un américain sur deux a « coupé le cordon » veut dire, à l’inverse, qu’un sur deux reste fidèle aux opérateurs…
Nous devons donc aussi être capable de décliner les chaînes de nos clients dans les environnements des telcos. C’est le sens du partenariat que nous avons conclu avec Broadpeak, qui nous permet de les intégrer aux bouquets de plusieurs opérateurs français et européens. Cette capacité à combiner le monde OTT et les réseaux managés est de plus en plus essentiel, quand on voit par exemple que Virgin Media vient d’ajouter une large section de chaînes FAST à son plan de services au Royaume-Uni. On parle quand même de plus de 3,5 millions de foyers abonnés !
« S’adapter en temps réel aux spécificités de l’environnement FAST »
Lors des entretiens réalisés pour l’étude AVoD Market Report, certains éditeurs ont regretté que les audiences de leurs chaînes ne progressent pas plus vite. Tout est-il vraiment affaire de distribution ?
Cédric Monnier : Bien sûr que non. Vous évoquez dans votre étude l’arrivée prochaine de grands acteurs de la TNT comme Altice, France Télévisions ou encore ARTE sur certaines plateformes. Pour le streaming gratuit dans son ensemble, cela va être un formidable accélérateur d’usage. Mais pour les éditeurs qui sont déjà sur Samsung TV Plus, sur Pluto TV ou sur Rakuten TV cela représente aussi un défi : pour surfer cette vague, ils devront élever leur niveau de jeu, donc être encore plus vigilants à la qualité de leurs contenus qu’ils diffusent, au rythme de leur rafraichissement, à l’optimisation de leur programmation et à la valorisation leur inventaire publicitaire.
Et sur ce point, nous aidons nos clients à mieux intégrer les spécificités de l’environnement FAST : un pic d’audience qui change d’une chaîne à l’autre avec, en moyenne 30 mn de décalage par rapport à la télévision traditionnelle, le suivi du « cycle de vie en ligne » des programmes pour savoir quand les renouveler, une durée des écrans de coupure publicitaire optimisée pour éviter le zapping… Parce que nous assurons un monitoring permanent des chaînes que nous opérons, nous pouvons faire ces ajustements en temps réel.
L’autre source de frustration pour les éditeurs, c’est aussi le niveau de recettes effectivement encaissées. Avec l’impression qu’il y a beaucoup d’invités pour un gâteau encore modeste : 15 M€ de chiffre d’affaires en France en 2022, d’après nos estimations
Cédric Monnier : une réponse facile serait de vous renvoyer aux plus de 4 Mds$ de recettes en 2022 aux Etats-Unis, aux plus de 150 M€ en Grande Bretagne et presqu’autant en Allemagne… Mais constater que l’herbe pousse bien dans le pré d’à côté ne suffit pas !
Alors deux remarques.
Sur les coûts, d’abord, la meilleure façon d’améliorer un P&L, c’est de contrôler les dépenses et, par exemple, dans le cas des FAST d’être très attentifs aux frais de diffusion (les coûts de CDN) et aux coûts d’insertion publicitaire. Nous y sommes très vigilants avec nos clients, qui peuvent bénéficier des conditions que nous pouvons obtenir auprès des prestataires grâce à notre surface de marché.
L’autre point, c’est l’optimisation des conditions d’insertion de la publicité. Et sur ce point aussi le streaming gratuit ne répond pas aux mêmes règles que la TNT ou les chaînes thématiques du cabsat. Travailler sur la programmation des écrans est essentiel.
Les agences médias pointent aussi le peu de données disponibles pour estimer et pour qualifier les audiences…
Cédric Monnier : Là encore, les réalités ne se valent pas, selon qu’on est en France ou de l’autre côté de l’Atlantique. Aux Etats-Unis, Nielsen est déjà capable de dire que Pluto TV, Roku et Tubi pèsent déjà près de 3,5% du temps total passé sur le téléviseur. Ça confirme que le potentiel du streaming gratuit n’est pas une fiction ! En Europe, l’intégration des FAST à la mesure des usages est plus lente. Médiamétrie évoque le début 2025 pour la France…
Mais nous n’allons pas rester les bras croisés en attendant cette échéance. Avec les partenaires du consortium FAST4U, nous sommes sur le point de lancer une large étude auprès des téléspectateurs des principaux pays européens. Cela nous permettra de mieux savoir combien y regardent des chaînes FAST. Cela nous renseignera sur leurs profils. Et au-delà, cela nous permettra de mieux cerner ce qu’ils regardent par ailleurs – TV, SVoD, YouTube sur le téléviseur… – afin d’aider les publicitaires à dédoublonner les audiences. Rendez-vous au prochain MIPCOM pour les premiers résultats !