C’est sous présidence espagnole de l’Union européenne que le DSA entrera en vigueur ce vendredi, s’agissant au moins des dix-sept « très grandes plateformes en ligne » et des deux « très grands moteurs de recherche » qui totalisent chacun plus de 45 millions d’utilisateurs mensuels au sein de l’Union européenne. Attendons-nous à voir les dirigeants européens se féliciter de ce grand pas pour l’homme et pour l’humanité ; espérons que l’histoire n’ira pas plutôt chercher du côté de Cervantès, et des batailles de Dom Quichotte contre les moulins à vents… Au moment où la technologie – l’IA particulièrement – démultiplie les possibilités de manipulation du texte, de l’image et du son, ceux qui en attendent un espace numérique débarrassé de ses torrents de fake news, de propos haineux et de ses campagnes de harcèlement risquent en tout cas d’en être pour leur frais.
Au moins la Commission européenne pourra-t-elle faire valoir qu’elle a ramené dans les filets du DSA le gotha de l’univers digital, Google, Apple, Meta, Amazon et Microsoft (GAFAM) en tête. Mais on peut sérieusement douter que la taille des mailles de ce dernier représente pour eux une réelle contrainte. Lutte contre les fake news et autres contenus illicites ? La responsabilité des plateformes se limite à en supprimer l’accès… et seulement s’ils leurs sont signalés ; Mécanismes d’enfermement informationnel liés aux algorithmes de recommandation ? Les acteurs assujettis au DSA devront expliquer – mais pas forcément modifier – leur fonctionnement… (lire sur la plateforme Insight NPA Les très grandes plateformes soumises au DSA (Digital Services Act) à partir du 25 août 2023). On reste à mille lieues de la responsabilité qui pèse sur le patron d’un titre de presse écrite ou d’une chaîne de télévision.
Si l’esprit dans lequel un texte est appliqué vaut parfois autant que ses termes, les initiatives, presque quotidiennes, de X (ex-Twitter) au cours des dernières semaines en disent long, au-delà, sur la disposition de ses dirigeants.
- Après avoir divisé par deux l’effectif des équipes assignées à la modération (de 7 500 à moins de 4 000 employés, aux dires mêmes d’Elon Musk), et supprimé le groupe d’experts extérieurs qui aidaient à définir sa politique de modération, Twitter a annoncé le 27 mai qu’il quittait le code de bonnes pratiques de l’Union européenne de 2022 visant à lutter contre la désinformation en ligne.
- Le 31 juillet, le groupe a déposé plainte contre le CDDH, un groupe de recherche sur la haine en ligne qui avait fait état de l’augmentation des discours haineux sur la plateforme au cours des derniers mois.
- Le 16 août, Le Monde confirmait que « Twitter a ralenti les liens vers ses concurrents et certains médias américains(notamment) les sites de l’agence de presse Reuters et du New York Times (contre lesquels) Elon Musk s’est à plusieurs reprises emporté ».
- Le 18 août, Elon Musk a annoncé qu’il ne sera bientôt plus possible de « bloquer » les comptes d’autres utilisateurs sur X, alors que « cette fonctionnalité permet d’éviter certaines campagnes de harcèlement ou d’empêcher la lecture de messages politiques ou sociétaux contraires à ses propres opinions», comme le relève Le Figaro.
- Le 22 août, Elon Musk a confirmé que le réseau X se préparait à refondre la manière dont apparaissent les liens vers des articles de presse, et que ne s’afficheraient bientôt plus ni leur titre ni leur description…
Comme en miroir, le Président de la République Emmanuel Macron évoque dans la longue interview que publie Le Point ce 24 août « un dérèglement technologique que les réseaux sociaux créent dans nos sociétés. Tout s’est accéléré, tout paraît accessible, et les échelles de valeur se sont toutes nivelées. Les usages numériques, en particulier les réseaux sociaux, abolissent respect et civilité, en grande partie en raison de l’anonymat et sapent l’autorité de tout discours en créant un espace où toutes les paroles se valent ».
S’agissant d’Elon Musk, la priorité ne semble pas être de réduire volontairement ces dérèglements, et l’on doute, on l’a vu, que le DSA suffise à y pourvoir.
Alors que faire ?
S’assurer d’abord de la bonne application des textes en vigueur. Quatre ans tout juste après l’adoption de la loi du 24 juillet 2019 créant un droit voisin au profit des éditeurs et agences de presse, la Société des Droits Voisins de la Presse (DVP) relevait cet été que « de trop nombreuses plateformes numériques continuent d’adopter une attitude dilatoire afin de ne pas s’acquitter de la rémunération fixée par le législateur ».
Donner les moyens au public, ensuite, d’exercer son discernement, face aux contenus qui lui sont proposés. S’interroger sur la crédibilité de leur source, sur les conditions de leur production (par des journalistes ou par des rédacteurs qui ne le sont pas), sur le risque croissant – IA oblige – que les images ou les vidéos qui les accompagnent aient pu être manipulés… En d’autres termes, avancer – enfin – vers la mise en place d’une plus que jamais nécessaire démarche d’ampleur d’éducation aux médias, qui « aide les élèves – donc les adultes de demain – à devenir des « cybercitoyens » actifs, éclairés et responsables », selon l’expression de Nathalie Sonnac.
Emmanuel Macron a largement évoqué dans Le Point ses priorités pour l’éducation nationale. Mais concernant l’éducation aux médias, il n’est pas allé au-delà du diagnostic rappelé plus haut.
Espérons que les Etats Généraux de l’information, dont il a confirmé en juillet le lancement à la rentrée, permettent de combler cet oubli.