« Le genre des feuilletons quotidiens est en déclin depuis plusieurs années, et il n’est pas clair s’il y a encore un public suffisant pour soutenir un nouveau programme de ce type sur une plateforme de streaming ». Quand on l’interroge sur la probabilité de voir une plateforme de SVoD développer un feuilleton quotidien, le moteur à base d’IA de Google, Gemini, semble assez catégorique.
La réalité que détaille l’Insight NPA ce jeudi 6 juin est pourtant sensiblement différente, s’agissant de la France au moins. Après une longue période d’éclipse, les feuilletons ont repris pied sur les antennes des chaînes françaises au début des années 2000, avec le lancement de Plus belle la vie sur France 3 ; TF1 en propose trois aujourd’hui (Demain nous appartient, Ici tout commence et, depuis le mois de janvier, Plus Belle la vie, encore plus belle), Un si grand soleil est diffusé par France 2 depuis l’été 2018, et M6 annonce l’arrivée d’un feuilleton « en bonne et due forme » début 2025, pour prendre le relai et/ou compléter les fictions courtes – actuellement Scènes de ménages – dont la chaîne s’est faite la spécialiste.
A eux cinq, ces programmes représentent moins de 3,5 % de la durée totale de programmation des trois premières chaînes françaises… mais ils pèsent 2,5 fois plus dans leurs audiences linéaires, soit près de 9 %, tous programmes confondus.
Plus encore, à l’heure de la ruée généralisée vers le streaming, ils totalisent près de 14 % du temps de visionnage en rattrapage… et même plus de 16 % si l’on se concentre sur la principale cible publicitaire, la Femme responsable des achats de moins de 50 ans (Frda 15-49) … Sans compter l’effet de halo dont bénéfice le reste du catalogue, du fait de la fréquence des visites associées à leur rythme quotidien.
Les chiffres sont suffisamment spectaculaires et, mieux, les particularités du genre sont autant de barrières à l’entrée, pour des concurrents tentés de creuser eux-aussi le filon.
En premier lieu, le feuilleton s’apparente à un véritable projet industriel, bien plus qu’à de l’artisanat créatif avec, au final, un coût d’environ 40 M€ par an que peu de chaînes… et même peu de plateformes de streaming peuvent supporter. Pour mémoire, le bilan publié par le CNC indique, s’agissant des secondes, que Netflix, Prime Video et Disney+ ont investi à elle trois moins de 100 M€ sur de la production de fiction en 2023.
Et leur autre spécificité est d’être profondément ancrée dans la réalité nationale, voire ultra locale, ce qui les rend difficilement exportables au-delà des marchés francophiles (Suisse romande, Wallonie…), et ajoute aux raisons, pour les streamers, de s’en tenir éloignés pour se concentrer sur les franchises culte de la sitcom américaine. Le retour de Friends dans le giron de Warner, alors que le studio en avait concédé l’exploitation à Netflix depuis 2015, apparait ainsi comme un mouvement presque aussi stratégique de soutien au lancement de Max, que l’arrivée de la saison 2 de House of the dragon prévue le 17 juin.
On a longtemps pensé que la diffusion des compétitions sportives représentait la valeur refuge des acteurs audiovisuels historiques. Mais la conviction est moins grande, à mesure qu’augmente l’usage du streaming pour des visionnages en live, et que les leaders mondiaux – Amazon avec la NBA, Netflix sur la NFL… – étoffent leur portefeuille de droits majeurs. Difficile de se demander, dans ces conditions, si les habitués du Bar du mistral, et leurs alter ego allemands, italiens ou espagnols,ne constitueront pas finalement, demain l’atout majeur des broadcasters européens.