L'édito de Philippe Bailly

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L’IA : amplificateur de fake news ou outil au service de l’information ? Le cas de l’information locale

Sur le thème « IA : amplificateur de fake news ou outil au service de l’information ? Le cas de l’information locale », le Colloque NPA a réuni Jean-Nicolas Baylet, Directeur général du groupe La Dépêche, Stéphane Delaporte, Directeur général de 366 et Sébastien Georges, Rédacteur en chef de L’Est Républicain, du Républicain Lorrain et de Vosges Matin (groupe EBRA).

Sébastien Georges, Rédacteur en chef de L’Est Républicain, du Républicain Lorrain et de Vosges Matin, a annoncé que l’IA avait été introduite dans ses rédactions fin 2023, après l’arrivée de l’IA générative en novembre 2023, après que ChatGPT a annoncé « en quelques semaines, 100 millions d’utilisateurs ». « On s’est dit : on ne va pas rater le train », ajoute-t-il.

La principale utilisation de l’IA réside dans l’assistance aux équipes éditoriales, notamment pour aider à la mise en forme des contributions des collaborateurs Locaux de Presse (CLP) qui ne sont pas des journalistes de profession. Il y a une réelle volonté d’utiliser l’IA comme outil, mais avec « une maîtrise journalistique », en relisant systématiquement les textes avant publication. Pour Sébastien Georges, « le danger n’est pas tant d’utiliser l’IA, c’est la manière dont d’autres pourraient l’utiliser. Il faut mettre en œuvre des garde-fous pour vérifier que l’information soit saine et variée ». Il ajoute : « Les journalistes ne seront pas remplacés par l’IA mais seront remplacés par des journalistes qui utilisent l’IA ».

Jean-Nicolas Baylet a évoqué les enjeux liés aux opt-out et au contrôle des contenus aspirés et réutilisés par les moteurs d’IA. Il affirme que les balises déposées sur les sites ne sont pas respectées, les bots continuant de « crawler », ce qui rend la situation difficile à gérer. Actuellement, il n’existe pas d’accords avec les acteurs de l’IA concernés, sauf concernant Le Monde qui a signé un partenariat avec OpenAI pour l’utilisation de ses contenus moyennant rémunération. Il estime néanmoins que la reprise et l’utilisation des contenus par l’IA pour générer un business doivent « ouvrir droit à rémunération ». À ce jour, il n’y a ni accord ni réelles négociations sur ce sujet, et les avancées sur la rémunération des droits voisins sont quasi inexistantes. Le Directeur général de La Dépêche a également indiqué que la presse avait mandaté la SACEM, pour la négociation d’une rémunération des droits voisins correspondant à l’utilisation des contenus par les moteurs d’IA.

S’agissant des applications concrètes de l’IA sur le travail des médias locaux, il souligne que l’IA peut améliorer le travail des rédactions, notamment pour l’écriture ou l’analyse de grandes quantités d’informations, citant comme exemple les rapports du GIEC que l’IA peut aider à résumer. L’IA permet de gagner du temps dans un contexte d’économies. Il insiste cependant sur l’importance de savoir poser les bonnes questions à l’IA pour obtenir des réponses pertinentes. Il estime que l’IA représente une « formidable opportunité » et des « perspectives colossales ».

Il n’y pas nécessairement aujourd’hui d’acteur qui porte l’ensemble de ces solutions, mais une succession d’outils avec des spécificités différentes (Midjourney pour la photo par exemple). Comme dans chaque révolution technologique, il y a, selon Jean-Nicolas Baylet, un ensemble de nouveaux acteurs précédant une étape de rationalisation et de consolidation : « Sur la thématique IA, nous sommes encore au stade du Early Adopter ». Il souligne néanmoins l’arrivée importante, bien que tardive, de Google dans ce domaine. Sur la même question, Sébastien Georges affirme également qu’il n’existe pas encore de solution développée main dans la main avec un ou des éditeur(s). Des outils émergents – notamment NotebookLM de Google -, permettent de transformer du texte en audio en « lui donnant le ton d’une émission de radio ». « On va vers un chantier extrêmement important de solutions en termes d’IA […] mais qui n’empêchera pas le journaliste d’aller sur le terrain », déclare-t-il. Il considère également que la puissance actuelle de l’IA est souvent surdimensionnée par rapport aux besoins réels des médias locaux.

Stéphane Delaporte, Directeur général de la régie publicitaire 366, identifie trois « items » relatifs aux régies qui seront impactés par l’arrivée de l’IA :

  • Le marketing et les études avec des outils permettant de rationnaliser, d’analyser des études et des chiffres…permettant « un gain de temps phénoménal » sur la préparation des analyses.
  • L’intégration des outils d’IA dans l’écosystème digital des médias : « cela concerne l’algorithmie sur l’optimisation des campagnes, la programmatique à la volée, les enchères en temps réel […] Dans l’ensemble de ces cas, ce sont les intermédiaires spécialistes (comme 366) qui ont la main. ». Stéphane Delaporte ajoute que cette réflexion a conduit à envisager l’intégration d’une plateforme permettant aux agences média de se connecter directement et d’accéder, en achat ou en consultation, à l’intégralité des inventaires disponibles. « L’IA est donc éminemment stratégique pour 366 », souligne-t-il. Deux raisons principales expliquent cette orientation : d’une part, la puissance de 366, qui rassemble 10 millions de visiteurs uniques ; d’autre part, le fait qu’ils représentent un écosystème cohérent, celui de la presse quotidienne régionale (PQR), avec des données de qualité et facilement exploitables.
  • La production des contenus exploitables en brand content. « Aujourd’hui la PQR produit une richesse de contenus phénoménale, mais on a du mal à en faire des verticales ou des sujets organisés pour qu’on puisse l’exploiter en brand content ». Les outils d’IA (comme ChatGpt pro, Trint…) permettent de le faire de manière rapide, efficiente et efficace. « L’IA peut même pousser la création de verticales auxquelles nous-mêmes n’avions pas pensé ». Ces exemples sont déjà en cours d’utilisation chez 366. Stéphane Delaporte précise toutefois que ces avancées ne visent pas à transformer le travail journalistique en lui-même, mais plutôt à faciliter son intégration dans des verticales exploitables pour le brand content.

Bien que les impacts métiers de l’IA paraissent plus marqués dans les domaines du marketing et de la publicité, Jean-Nicolas Baylet souligne qu’en ce qui concerne les rédactions et le traitement de l’information, « il existe des centaines d’outils […] L’enjeu, c’est d’être agile : il faut s’adapter et évoluer avec eux ». Il précise que « nous ne sommes pas dans une logique d’outils que nous installerions en dur dans notre système d’information, comme nos systèmes éditoriaux ou publicitaires », mais plutôt de plateformes en mode SaaS. Sébastien Georges compare la situation à un « mille-feuilles » : il n’existe pas de système tout-en-un basé sur l’IA, mais un ensemble d’outils qu’il faut savoir utiliser en fonction des besoins spécifiques.

Du côté de l’entrepreneuriat, et en comparaison avec l’époque florissante de la « French Tech », Jean-Nicolas Baylet estime que l’environnement actuel est bien différent. Malgré de nombreuses innovations, le manque de moyens financiers freine le développement du secteur. Stéphane Delaporte ajoute que Mistral est aujourd’hui la seule société française véritablement devenue une référence dans ce domaine.

Pour conclure, chaque intervenant a imaginé une application idéale de l’IA pour leurs métiers : Jean-Nicolas Baylet aspire à une IA capable de mieux prédire l’avenir grâce à une utilisation accrue des statistiques et du traitement des données, notamment via le crawling sur les réseaux sociaux. Sébastien Georges voudrait une IA permettant d’assurer l’avenir économique des médias, en finançant un journalisme de qualité. L’IA pourrait améliorer l’exposition et la consommation de l’information, mais l’humain reste indispensable pour sa collecte. Enfin, Stéphane Delaporte envisage un outil pour mieux comprendre les attentes des annonceurs, afin de devenir des partenaires essentiels dans la construction de leur business.

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