« Comscore étend la mesure d’audience de YouTube CTV aux marchés internationaux ». L’annonce pourrait apparaître anecdotique, venant d’un acteur de « Tier 2 » de la mesure d’audience, peu implanté jusque-là dans l’hexagone (il y est surtout connu pour son activité dans le cinéma, autour de la mesure du box-office).
Le fait que le nouveau service traite de la CTV constitue une première alerte, tant le sujet est devenu incontournable pour les professionnels de l’audiovisuels et de la publicité.
Le fait que la France soit l’un des quatre marchés (avec le Canada, l’Espagne et la Malaisie) concernés représente naturellement une raison supplémentaire de s’y attarder.
La date de cette annonce enfin, si elle n’a peut-être pas été choisie à dessein par Comscore, représente un troisième point d’attention.
C’est en effet le 6 mars, dans à peine deux semaines, que le nouveau comité Cross Média de Médiamétrie tiendra sa première séance : groupes audiovisuels, d’ARTE à TF1 en passant par Canal+ et France Télévisions, agences médias, annonceurs, plateformes de streaming (Disney+, Netflix, Prime Video)… et YouTube, réunis pour permettre le lancement de la (double) mesure (éditoriale et publicitaire) d’audience cross media vidéo.
La mesure de l’usage de la CTV en est évidemment l’un des aspect-clé… au cœur du triple défi que ce travail interprofessionnel doit permettre de relever :
- Celui d’une vision convergente du périmètre pris en compte, d’abord. Entend-on par CTV, par exemple et pour aller au plus trivial, l’ensemble des audiences enregistrées sur le téléviseur, box opérateurs comprises notamment, ou seulement celles survenues dans des environnements OTT ?
- Celui d’un consensus autour des définitions utilisées, concernant l’audience de la publicité en particulier. Quelles conditions de complétude ou de pourcentage d’affichage sur l’écran un spot doit-il notamment remplir pour être considéré comme vu ?
- Et finalement celui de l’homogénéité des technologies utilisées et de l’indépendance de celui qui les met en œuvre, pour tourner le dos à l’automesure.
L’annonce de Comscore – évidemment autorisée par YouTube – résonne étrangement face à ce mouvement de rassemblement des forces. Comme une forme de message subliminal aux autres membres du comité cross média, et comme un signal sur les possibilités que la filiale du groupe Alphabet se réserverait de faire marche arrière, au cas où les options retenues par l’interprofession ne lui conviendraient pas.
Dans l’hypothèse où cette tentation se confirmerait, on suppose qu’annonceurs et agences qui seront autour de la table du comité sauront exprimer avec force leur opposition à un tel recul.
L’adaptation du cadre législatif leur assurerait d’être entendus… et cet aménagement est à portée de main… en tout cas de vote des parlementaires : la proposition de loi Lafon, dont la ministre de la Culture Rachida Dati espère l’adoption avant l’été afin d’organiser la réforme de l’audiovisuel public, prévoit aussi dans sa rédaction adoptée par le Sénat, au mois de juin 2023, un article 12 bis posant les bases de mesures d’audience partagées et réalisées par des tiers indépendants.
Il oblige les chaînes et plateformes à utiliser « des mesures d’audience réalisées par un ou des tiers qui (…) assurent une concertation large des différents utilisateurs pour les élaborer ou les faire évoluer (…) assurent une transparence sur les méthodes employées et les soumettent régulièrement à des audits d’experts indépendants ».
La discussion de la proposition de loi par l’Assemblée a déjà été reportée deux fois, la première à cause de la dissolution de juin 2024, la seconde à cause du vote de censure contre le gouvernement Barnier.
Le texte pourrait finalement être débattu au cours de la première quinzaine d’avril.