Alors que les audiences télévisuelles s’érodent, les événements sportifs continuent de rassembler des millions de téléspectateurs aux États-Unis, attisant l’appétit des plateformes de streaming, qui cherchent de plus en plus à diversifier leurs revenus grâce à la publicité — à l’instar de certaines chaînes traditionnelles pour lesquelles elle constitue la pierre angulaire de leur modèle économique. Cette dynamique alimente une flambée des prix des droits, estimés à près de 30 milliards de dollars en 2025 rien qu’aux États-Unis, redéfinissant les stratégies de programmation dans l’univers du divertissement. Dans ce contexte, Variety, via VIP+ (Variety Intelligence Platform Plus) — sa plateforme d’intelligence économique dédiée au secteur du divertissement et des médias —, a publié le 1er avril un rapport intitulé « Droits sportifs : streamers vs. réseaux de télévision », offrant une vision globale des dynamiques du marché des droits sportifs aux États-Unis. Ce rapport met notamment en évidence la dépendance des acteurs traditionnels aux droits sportifs, ainsi que les investissements croissants des plateformes de streaming (20 % du total des dépenses), en particulier Prime Video. L’analyse révèle les poids particuliers de la NFL (football américain) et de la NBA (basketball), dont la commercialisation concentre plus de la moitié de la valeur totale des droits de diffusion aux États-Unis — soit 191 Mds$ sur leurs cycles actuels.
Les grands acteurs des médias devraient consacrer plus d’un cinquième de leur budget aux sports en direct en 2025
Selon les données de S&P Global, les droits sportifs aux Etats-Unis ont plus que doublé entre 2015 et 2025, passant de 14,64 Mds$ à environ 30 Mds$. Ce nombre devrait atteindre 35 Mds$ d’ici 2027.
Le sport apparait comme la pierre angulaire du modèle économique des chaînes traditionnelles (CBS, Fox, NBC, etc.). Malgré la montée en puissance du streaming dans leur activité, leur cœur de métier reste la diffusion de contenus à forte valeur évènementielle et capables d’attirer un large public afin de vendre de la publicité — un rôle que le sport remplit parfaitement.
Les programmes de sports représentent 74 % du top 100 des meilleures audiences en prime-time aux Etats-Unis en 2024, alors qu’ils en représentaient « seulement » 37 % en 2019, soit une proportion qui a doublé en 5 ans.
Pour les chaînes linéaires, le sport agit également comme un moteur d’audience transversal, capable de dynamiser les autres programmes de la grille grâce aux bandes-annonces et aux spots diffusés avant, pendant et après les retransmissions.
Parmi les grandes entreprises médias (WBD, NBCU, Fox, Disney, Paramount, Amazon, Apple et AMC Network) Fox consacre proportionnellement la plus grande part de son budget au sport, avec 60 % de ses dépenses de contenus en 2024 et 2025, suivi par Disney (ABC, ESPN, Disney+, ESPN+ ; 45 %). Comcast (NBCUniversal, Peacock) reste aussi un acteur majeur, ce dernier détenant les droits exclusifs des JO jusqu’en 2036 (l’extension des droits pour le cycle 2033-2036 a coûté 3 Mds$).
Si les dépenses dans le sport des groupes leaders devraient croître sur le moyen terme (35,7 Mds$ en 2027, et 26 % de leurs dépenses dans les contenus en moyenne), Moffett Nathanson prévoit un léger recul en 2025 pour la plupart des grands groupes médias traditionnels qui ajustent leurs budgets. ESPN, par exemple, a abandonné le baseball (MLB), et WBD ne figure plus parmi les diffuseurs de la NBA.
Inversement, les géants du streaming s’y intéressent de plus en plus près : en 2024, plus de 10 Mds$ ont été investis par ces derniers dans les droits sportifs ; Netflix maintient le sport à 2 % de son budget (bien que ses dépenses globales augmentent d’un milliard de dollars cette année), mais Amazon consacrera plus de 20 % de ses dépenses de 2025 au sport, après l’entrée en application de son nouveau contrat avec la NBA.
Pour les streamers, ces investissements produisent des effets tangibles sur l’acquisition d’abonnés :
- Peacock aurait par exemple gagné 3 millions de nouveaux abonnés à l’occasion de son match NFL exclusif en janvier 2024 (Miami Dolphins vs Kansas City Chiefs le 13 janvier)
- Amazon Prime Video aurait recruté 100 000 abonnés en une seule journée avant la diffusion de son premier match exclusif de la NFL, et aurait enregistré une hausse de 20 % de sa base d’abonnés depuis l’obtention de ces droits.
La NFL et la NBA concentrent plus de la moitié de la valeur totale des droits de diffusion
La valeur des droits sportifs continue de grimper : en moyenne, leur prix augmente de 8 % par an. Certains deals explosent : les droits de l’UFC ont bondi de 150 % entre leur accord avec Fox (2011, 840 M$) et leur rachat par ESPN/ABC en 2018 (2,1 Mds$). Le contrat actuel expirant cette année, plusieurs nouveaux acteurs pourraient entrer dans la danse, notamment Netflix qui a signé avec la WWE un accord à hauteur de 5Mds$ sur 10 ans à partir de 2025. L’UFC est détenue, comme la WWE, par le groupe TKO.
De nombreux autres droits devraient continuer à augmenter : après les méga-accords conclus en 2023 pour plus de 100 Mds$, la NFL devrait renégocier dès 2029-2030 une partie de ses droits. Netflix pourrait augmenter son investissement, compte tenu des audiences des 2 matches de Noël diffusés le 25 décembre 2024 (plus de 24 millions de spectateurs en moyenne pour chacun) dans le cadre de son accord trisannuel, à 150 M$ par an. Disney, qui avait déjà augmenté son offre de 15 à 27 Mds$ lors du dernier renouvellement de son dernier contrat, devrait également beaucoup investir. Les autres diffuseurs (Fox, CBS, NBC), qui considèrent le football américain comme un actif clé, devraient également enchérir.
Côté soccer, NBC paie désormais 450 M$ par an pour des droits de la Premier League (contre 167 M$ dans le cycle précédent), et ce montant pourrait dépasser 700 M$ dans le prochain contrat (si l’on suit le taux de progression annuelle moyen de 8 %).
Enfin, la F1 ambitionne de doubler le montant de son contrat avec ESPN/ABC (actuellement 90 M$ par an).
Certains sports et ligues vivent des situations plus compliquées.
Le Baseball devrait voir ses droits stagner, la plupart des matchs de la MLB étant encore produits et diffusés localement, alors que les chaînes sportives régionales rendent à disparaître et que ESPN serait tenté de se retirer de son contrat après 2025 (4 Mds$ sur 7 ans).
Le golf et le tennis sont aussi en difficulté. L’U.S. Golf Association, par exemple, a vu ses revenus chuter de 60 % après la fin de son contrat avec Fox en 2020, passant de 1,1 Mds$ à seulement 222 M$ avec NBCUniversal. Ces deux disciplines dépendent fortement de la présence de stars, et n’ont pas trouvé à ce jour les successeure(e)s de Tiger Woods pour le golf et Serena Williams pour le tennis.
Si le prix des droits reste orienté à la hausse, les audiences stagnent ou baissent souvent, car beaucoup de matchs passent sur des plateformes de streaming qui n’ont pas la même couverture que la TV traditionnelle. Mais pour les plateformes, l’important est de prouver leur capacité à fédérer de larges audiences instantanées, à défaut d’égaler les scores des chaînes linéaires. Sur ce critère, la diffusion de sports est déjà un énorme succès. Sur Netflix, les matches de Noël n’ont perdu que 4 millions de téléspectateurs par rapport aux audiences de l’année précédente en TV linéaire. Et les audiences de Prime Video ont augmenté de 20 % depuis que la plateforme diffuse la NFL.
Le cycle actuel le plus onéreux est celui de la NFL, qui atteint 12,15 Mds$ par an (115,15 Mds$ au total), suivi par la NBA (6,9 et 75,9 Mds$). À elles deux, ces ligues représentent plus de la moitié du total des droits de diffusion.
Si l’on regarde l’évolution par cycle, cinq ligues enregistrent une diminution de la valeur totale de leurs droits par rapport au cycle précédent, mais seule l’USGA (Golf) est en baisse en valeur annuelle moyenne. Ainsi, même si certains contrats ont perdu de leur valeur globale, ils s’étalent souvent sur des durées plus courtes, ce qui permet de maintenir, voire d’augmenter, les montants perçus chaque année. La dynamique générale reste donc largement à la hausse.
NFL, NBA, MLB et NHL concentrent 73 % de l’audience sportive américaine
Selon les données de l’étude « Entertainment 365 » de Luminate, la NFL (football américain) compte pour ¼ (25 %) des visionnages de sport aux Etats-Unis, suivie par la MLB (Baseball, 19 %), la NBA (Basketball, 18 %) et la NHL (Hockey sur glace, 11%). Les quatre sports les plus populaires cumulent donc à eux seuls presque ¾ (73 %) de l’audience sportive aux Etats-Unis.
La NFL est, de loin, le sport le plus lucratif aux Etats-Unis, bien que peu populaire à l’international. En 2023, 93 des 100 programmes les plus regardés à la télévision américaine étaient des matchs de NFL.
La ligue collabore avec sept diffuseurs garantissant une exposition maximale sur l’ensemble des supports linéaires et numériques. Les revenus issus des droits ont explosé : +110,7 % (de 54,75 Mds$ sur la période 2014-2022 à 115,15 Mds en 2023-2033) sur l’ensemble du dernier cycle de négociation et +88,4 % en moyenne annuelle. Les chiffres pourraient encore augmenter avec la clause de sortie anticipée (opt-out) dans 5 à 6 ans, offrant à la NFL une opportunité de renégocier ses droits à la hausse.
Du côté de la NBA, les revenus ont augmenté de 224,4 % sur le dernier cycle de négociation et de 165,4 % en moyenne annuelle. La diffusion se partage entre trois diffuseurs (NBC, ESPN/ABC et Amazon).
La MLB (Baseball), bien que très populaire, voit ses droits stagner en raison du caractère local de sa distribution.
Enfin, l’UFC (deux diffuseurs) et la WWE (deux diffuseurs), toutes deux détenues par TKO Group Holdings (contrôlée par Endeavor), méritent une attention particulière tant la valeur de leurs droits a augmenté ces dernières années et semble encore vouée à exploser. Les revenus de la WWE ont augmenté de 172,34 % sur le dernier cycle de négociation, et ceux de l’UFC de 150 %. Alors que le contrat de 300 M$ sur 5 ans entre l’UFC et Disney/ESPN arrive à expiration, TKO est en position de force pour négocier un accord potentiellement supérieur au milliard par an. La société pourrait aussi fragmenter les droits entre plusieurs diffuseurs, y compris des plateformes de streaming comme Netflix, déjà partenaire de la WWE avec un contrat de 5 milliards sur 10 ans pour « Raw ».