L'édito de Philippe Bailly

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Les obsessions du député Charles Alloncle et la surprise NRJ

« Ceci n’est pas le procès de France Télévisions, nous ne sommes pas un tribunal, nous ne sommes pas des juges, ni des acteurs de la politique spectacle, venus chercher leur quart d’heure médiatique ». Il est des assurances qu’on entend surtout en creux – comme confirmant l’idée qu’elles prétendent contester. Et il en est malheureusement ainsi des assurances prodiguées ce 10 décembre par le Président de la Commission d’enquête de l’Assemblée nationale sur la neutralité, le fonctionnement et le financement de l’audiovisuel public Jérémie Patrier-Leitus. A son corps défendant, mais impuissant. Le rapporteur – et inspirateur – de cette Commission, s’affirme déjà en digne successeur du LFI Aurélien Saintoul, procureur bien plus que rapporteur, en son temps, de la Commission d’enquête sur la TNT. Et il est à craindre que Jérémie Patrier Leitus ne soit pas davantage en capacité que le président de cette dernière Quentin Bataillon pour canaliser les débordements du ciottiste Charles Alloncle.

L’élève semble bien parti même pour dépasser son prédécesseur. En tout juste deux semaines, il a déjà suggéré qu’un enfant pouvait être la source d’un conflit d’intérêt, dans une confusion des genres et des sphères – privées et publiques – à peu près sans précédent ; il a affirmé avoir entre les mains l’email que Christophe Tardieu aurait envoyé aux magistrats de la Cour des Comptes chargés du rapport sur la situation du groupe public afin d’en retarder la publication, a multiplié les questions aux premiers jusqu’à s’attirer une mise au point saignante de la Cour, a répété l’exercice avec le secrétaire général de France Télévisions… jusqu’à finalement refuser de produire la copie du mail fantôme quand la proposition lui en a été faite (il est vrai qu’à la différence des personnalités entendues, le rapporteur ne s’exprime pas sous serment) ; Charles Alloncle a encore prolongé pendant… quatre heures et demi l’audition / comparution de Delphine Ernotte, en avertissant déjà la présidente de France Télévisions qu’elle serait à nouveau convoquée.

Dans son compte-rendu de ce 10 décembre, Les Echos évoque « une séance de quatre heures trente, dans une ambiance par moments survoltée, avec certains échanges dignes de TikTok ou du réseau X ». Le quotidien ne croit pas si bien dire : pas moins de 13 messages de Charles Alloncle sur X, dans les heures qui ont suivi la fin de l’audition, mais aussi pendant,  témoignant d’une surprenante hiérarchie des priorités par rapport à sa mission de parlementaire, et en tout cas sans ambiguïté dans leur tonalité : « Chers Français, je vous prends à témoin », « Le secrétaire général de France Télévisions MENT », « Delphine Ernotte refuse de reconnaître sa responsabilité dans la quasi-faillite de France Télévisions, alors que plusieurs rapports pointent pourtant une gestion non pilotée »… Si le terme « Commission d’enquête » suggère un ensemble de travaux destinés à éclairer un phénomène complexe, le rapporteur n’a manifestement pas d’état d’âme à sauter à ses propres conclusions…

Il n’est malheureusement pas le premier à dénaturer l’exercice, de la Commission sur la TNT déjà citée, à celle sur les VHSS dans le cinéma et l’audiovisuel, pour s’en tenir au seul secteur des médias et à la période la plus récente. Les ingrédients sont les mêmes : multiplier les auditions, toutes ouvertes à la presse et retransmises en vidéos, alors que l’histoire des Commissions d’enquête s’est plutôt construite sur des travaux à huis clos, alterner instants d’auto mise en scène destinés aux réseaux sociaux et coups de pression sur les personnalités auditionnées cherchant, à force de répétition et/ou de déstabilisation, la petite phrase qui pourra faire le buzz, et finalement indifférence à peu près complète à la dimension collective des travaux et à l’élaboration de recommandations partagées, jusqu’à multiplier les rapports dans lesquels se succèdent les opinions et recommandations divergentes du Président et du (de la) Rapporteur (e).

De l’œuf et de la poule, on pourrait s’interroger sur l’origine de cette dénaturation. Nouvel avatar de la politique spectacle ? Caisse de résonance toujours plus importante des réseaux sociaux ?… On pourrait même peut-être s’en accommoder, si l’adaptation du cadre législatif à la nouvelle donne numérique se poursuivait utilement en parallèle. Mais, la proposition de loi Lafon visant à rassembler les structures de l’audiovisuel public et à modifier certains éléments du dispositif applicable aux acteurs privés attend toujours son inscription en 2e lecture à l’Assemblée nationale… deux ans et demi après son adoption en première lecture au Sénat. Elle ne figure pas à l’ordre du jour des séances établi jusqu’à la mi-janvier, et on n’y trouve pas davantage trace de l’autre proposition de loi du Président de la commission Culture du Sénat, principalement consacrée à l’organisation du sport professionnel, mais qui vise aussi à renforcer les moyens de la lutte contre le piratage des droits sportifs. Et c’est finalement en janvier que la ministre de la Culture devrait déposer devant le Conseil des ministres le projet de loi élaboré à la suite des Etats Généraux de l’Information, ce qui rend très aléatoire son adoption définitive avant 2027…

Le contraste avec le bouillonnement constaté hors de l’hexagone est frappant. Rien que pour l’année 2025, le n°1 allemand RTL Group a annoncé le rachat du leader de la TV payante Sky Deutschland, et le groupe de la famille Berlusconi Media for Europe, qui est par ailleurs dominant en Italie et en Espagne, a intégré le n°2 local ProsiebenSat1 ; Media for Europe a parallèlement acquis un tiers du n°1 portugais Impresa ; Sky UK est en cours de rachat des chaînes ITV au Royaume-Uni ; sans compter naturellement le changement annoncé de Warner Bros. Discovery, au bénéfice de Netflix ou de Paramount.

En France, les asymétries qui pénalisent les acteurs nationaux sont restées en l’état, la « clause des 5 ans » inscrite à l’article 42-3 loi de 1986 écarte toute consolidation entre groupes de la TNT, et le président de l’Autorité de la Concurrence s’est – en substance – déclaré toujours droit dans ses bottes d’avoir empêché le rapprochement de TF1 et de M6…

C’est finalement la bourse qui fournit peut-être la meilleure démonstration, par l’absurde, des effets de cette immobilisme ; fin novembre, l’action NRJ était cotée à 8,12 €, c’est-à-dire son plus haut de fin de mois des quatre dernières années. Tout juste deux mois après avoir finalisé la cession de Chérie 25 à CMA Media, et achevé, après l’arrêt de NRJ 12, sa sortie de l’audiovisuel. Qu’un groupe de média vaille davantage en 2025 sans télévision qu’avec, a de quoi interpeler. Au point d’y consacrer une nouvelle Commission d’enquête ?

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