C’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses. A l’heure de « passer la barrière du parking » le 18 février, Nonce Paolini se remémorera peut être cette formule imagée du regretté Laurent Houssay. Elle contribuera alors sans doute à son « sentiment de clore un chapitre heureux », et avec elle l’évocation des dossiers structurants qu’il aura pu mener à son terme dans la dernière ligne droite de son mandat à la tête du groupe TF1.
LCI, d’abord, bien sûr. En refusant ce mardi 9 février de donner droit au recours engagé par Nextradio, le Conseil d’Etat a écarté le dernier obstacle vers un passage en clair qui devrait être effectif le 5 avril, au plus tard. A cette date, TF1 comptera 5 chaînes nationales gratuites, contre une seule lors de l’entrée en fonction de Nonce Paolini, à la même hauteur que France Télévisions (France 2, France 3, France 4, France 5, France Ô), et deux de plus que M6 (M6, W9, 6ter) et Canal+ (iTélé, D8, D17). Depuis janvier 2015, la levée des engagements pris auprès de l’Autorité de la Concurrence lors du rachat de TMC et NT1 a permis au groupe d’entrer dans une logique de complémentarité éditoriale comme commerciale. Autant d’éléments qui le confortent dans son cœur de métier.
Newen, également. En rachetant la maison mère de Telfrance (Plus Belle la Vie,Le sang de la vigne, Nina, Les maternelles…) et CAPA (L’effet papillon, Versailles, Braquo…), TF1 a considérablement renforcé sa puissance de frappe en matière de distribution de programmes à l’international. Cela pourra être précieux pour améliorer les termes de négociation avec Netflix, Amazon et autres plateformes mondiales. L’opération aura également eu pour effet de relancer le débat sur le partage de la valeur entre producteurs et éditeurs, amorcé avec la loi de novembre 2013 (amendement Assouline) et qui se poursuit ces jours-ci dans le cadre du débat de la loi Création (amendements Leleux).
Côté antenne, enfin, trois performances ont redonné ces couleurs aux prime de TF1, en même temps qu’ils illustraient les différentes facettes de son positionnement généraliste : record d’audience en rattrapage battu pour le premier numéro de The Voice (958 000 téléspectateurs supplémentaires, soit un gain de 13,5% par rapport au live), meilleure audience cinéma pour les Tuchesdepuis Intouchable (8,5 millions de téléspectateurs), et démarrage en fanfare duSecret d’Elise (plus de 7 millions de téléspectateurs J+1).
Les dossiers ne manqueront pas pour autant pour Gilles Pélisson avec, pour commencer, le cheminement à poursuivre vers un vrai fonctionnement de groupe, sur l’ensemble des fonctions touchant à l’antenne (achats de droits, direction des programmes, programmation…) et par l’affirmation de la complémentarité des promesses et des publics.
Dans l’univers d’hyperabondance, la gestion du passage des marques-chaînes à un portefeuille de « marques repères / refuges », garantissant l’accès à des offres clairement identifiées, sur tous les écrans et dans tous les modes de consultation, constitue le second chantier. A terme, cela devrait conduire à supprimer les frontières qui subsistent, dans l’organisation mais surtout dans les têtes, entre antennes linéaires et services numériques.
Faire émerger de nouveaux leviers de monétisation représentera un troisième enjeu. Entre 2005 et 2014, le nombre de chaînes a été multiplié par cinq alors que les recettes publicitaires de la télévision ont diminué de 15% en euros constants. Il apparaît hasardeux de parier aujourd’hui sur le seul rebond de la publicité classique pour retrouver les chemins d’une croissance significative. Les marges de progression se trouveront plutôt dans la meilleure connaissance / qualification des audiences, l’exploitation des possibilités d’adressage ciblé qu’offre l’environnement numérique (y compris la publicité personnalisée insérée dans les flux linéaires, à l’exemple de ce que Freewheel a développé pour Comcast aux Etats-Unis et pour Sky au Royaume-Uni), ou encore le fait d’emmener le téléspectateur / internaute au plus près de la transaction. Dans tous les cas, cela supposera de savoir transformer un téléspectateur en contact, de passer de la culture du hautparleur à celle du téléphone et du marketing de masse à l’expertise CRM.
Gilles Pélisson pourra certainement puiser dans son passé professionnel chez Disneyland, Accor et Bouygues Télécom de quoi relever ces défis. La tâche n’en est pas moins importante pour autant !