Comcast, avec son service de streaming Stream TV, s’attire les foudres des défenseurs de la neutralité du net aux Etats-Unis. Payante pour les abonnés internet à haut débit, son utilisation n’est pas décomptée du plafond de consommation de données. Comcast est dénoncé pour contourner habilement les règles de la neutralité défendues par la FCC en utilisant son réseau managé pour diffuser Stream TV. Un cas d’école pour les autorités de régulation
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Stream TV, un nouveau bouquet de télévision en ligne
Stream TV est réservé aux abonnés Xfinity simple, autrement dit les abonnés Broadband qui ont choisi Comcast (ou qui n’ont pas le choix en raison d’une position monopolistique sur certaines zones[1]) comme fournisseur d’accès pour l’internet à haut débit mais qui ont renoncé à souscrire à une offre de télévision payante. Stream TV est facturé 15$ par mois sans engagement (le premier mois est gratuit) et propose un mini bouquet de chaînes TV sur internet. Les chaînes sont celles des grands networks gratuits (ABC, CBS, CW, FOX, NBC, PBS et Univision) plus la chaîne premium du câble HBO. Les chaînes locales qui appartiennent aux grands networks varient en fonction des zones géographiques. Les abonnés ont accès au direct en streaming sur l’ensemble de leurs écrans, PC, Smartphone et tablettes via le site Xfinity TV ou l’application du même nom. En plus du direct, les abonnés bénéficient de la TV Everywhere (télévision de rattrapage) de ces mêmes chaînes, y compris sur l’écran TV (via les applications de chaque éditeur, portées sur les différentes plates-formes : Smart TV, Xbox, Roku, Chromecast…). L’utilisation est principalement limitée au domicile puisqu’il faut être connecté au réseau Comcast. L’utilisation reste possible en mobilité (réseaux cellulaires ou WiFi public) mais les accords entre Comcast et les ayants droit ne s’appliquent plus et beaucoup de contenus disparaissent. Enfin, un service de Cloud DVR permet à l’abonné d’enregistrer jusqu’à deux chaines simultanément (capacité de stockage de 100 Giga soit une vingtaine d’heures de programmes en HD).
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Un service qui prolonge la politique de plafonnement des données initiée par Comcast
L’utilisation de Stream TV n’est pas décomptée du plafond de consommation de données pour les abonnés Broadband de Comcast. C’est la première critique des défenseurs de la neutralité du net. Pour comprendre les enjeux il est important de rappeler que Comcast s’est engagé depuis 2012, avec une nette accélération en 2015, dans une stratégie majeure consistant à expérimenter dans plusieurs zones géographiques[2] un plan de plafonnement de la consommation des données sur l’internet fixe par le câble (la Fibre n’est pas concernée). Le plafond est de 300GB par mois. En cas de dépassement, l’utilisateur paye 10$ par tranche de 50GB additionnels[3].En choisissant d’exclure Stream TV du « Data Cap », Comcast accorde donc un vrai traitement préférentiel à son service par rapport à des services concurrents dont la consommation sera décomptée du trafic internet. L’avantage est très difficile à surmonter. Ainsi, alors que le marché américain connaît une concurrence plus limitée entre les fournisseurs d’accès à internet, Comcast prend le risque de jouer la discrimination entre les contenus.
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Une offre stratégique pour s’adapter au déclin des abonnements à la TV payante
L’enjeu pour Comcast n’est pas de positionner Stream TV comme un concurrent des grands services de vidéo à la demande gratuits (YouTube) ou par abonnement (Netflix, Amazon, Hulu…). L’offre est différente et complémentaire. L’objectif est d’empêcher les abonnés internet Comcast de se laisser séduire par les offres des opérateurs virtuels concurrents (Sling TV de Dish, PlayStation Vue de Sony, Yaveo de DIRECTV en attendant d’autres services comparables comme celui actuellement testé par Time Warner Cable). Alors que le phénomène de résiliation des abonnements TV (« cord-cutting ») ou de non souscription (« cord-never ») se confirme trimestre après trimestre au profit de l’OTT, les opérateurs, à commencer par le leader Comcast, visent la duplication et le prolongement de l’ancien monopole sur la télévision par le câble à la télévision par internet. Alors que les positions de fournisseurs d’accès ne sont pas menacées et restent le principal actif dans le nouvel univers qui émerge, chacun se place pour réserver l’utilisation de son réseau à sa propre offre de télévision, fusse-t-elle désormais OTT.
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Une offre qui se positionne habilement aux frontières de la régulation
Au-delà de l’usage du Data Cap et des problèmes concurrentiels qui lui sont liés, les défenseurs de la neutralité du net s’inquiètent de la ligne de défense de Comcast qui explore habillement de nouvelles voies pour échapper à la régulation en vigueur. De fait, en droit sinon en pratique, Comcast respecte à première vue les règles de la neutralité du Net définies par la FCC. Stream TV en effet est précisément défini comme un service de streaming distribué par le câble et non pas par l’internet. Il ne s’agit donc pas d’un service OTT mais d’un « IP-Cable Service » pour reprendre la dénomination officielle de Comcast.
Concrètement, l’opérateur met à profit son architecture câble DOCSIS 3.0 qui permet de réserver certains tuners à l’internet public et d’autres aux services managés pour distribuer Stream TV comme un service optimisé, au même titre que la téléphonie sur large bande ou la télévision sur IP dans le cadre des offres « multiplay » proposées par les fournisseurs d’accès à internet.
L’avantage est double : d’abord en termes de qualité de service puisque l’utilisation de Stream TV n’a pas d’impact sur la qualité du réseau internet et permet donc également de ne pas décompter la consommation du forfait internet. Ensuite en termes de régulation puisque la pratique commerciale du « Zero-rating » ou « non comptabilisation », surveillée par la FCC ne concerne que l’Internet public et non les réseaux managés.
Ceci étant, les défenseurs de la neutralité du net rappellent que l’Open Internet Order adopté par la FCC (2010 puis 2015) devrait être suffisant pour exclure Stream TV de la liste des services spécialisés ou optimisés (Specialized Service) – hébergés sur réseaux managés et échappant à la régulation – puisqu’il présente des fonctionnalités équivalentes à celles d’un service internet, une réserve prévue dès le départ par l’autorité. Quoi qu’il en soit et en attendant une prise de position de la FCC, force est de reconnaître que Stream TV s’apparente bien à un service internet en termes d’expérience utilisateur (site web ou application sur un terminal connecté et non pas depuis une Box Comcast, offre non autonome nécessitant un abonnement internet commercialisé par l’opérateur…).
Stream TV représente à bien des égards un véritable cas d’école pour les autorités de régulation confrontés à des technologies réseaux hybrides, à des nouvelles pratiques commerciales pouvant mettre en cause le principe de neutralité de l’internet ainsi qu’à la nécessité de réserver une place à part pour de nouveaux services optimisés. De fait, nombre de nouveaux services qui représentent des opportunités économiques ou sociales importantes dans les secteurs de l’éducation, de la santé ou de l’internet des objets nécessiteront un acheminement optimisé de leur trafic. Reste à définir les règles du jeu.
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[1] Le service est disponible depuis la mi-novembre à Boston et Chicago et sur certaines zones très précises dans les Etats de l’Illinois, Indiana, Maine, Massachusetts, Michigan et New Hampshire.
[2] 27 marchés sont pour l’instant concernés dans l’Arkansas, la Louisiane, le Tennessee et la Virginie.
[3] Une autre solution consiste à payer 35$ supplémentaire par mois pour lever toute restriction de consommation.