Le marché US de la Pay TV n’est pas assez concurrentiel selon le patron de la FCC qui propose une mesure radicale : mettre fin au monopole des opérateurs sur les Box pour la distribution de leurs offres vidéo. Découvrez la saga d’une décision qui pourrait peser lourd sur l’avenir des câblo opérateurs.
Un débat historique animé par la FCC
Ce nouvel épisode s’inscrit dans une intense guerre de lobbying commencée au début de la décennie. Fin 2010, la FCC a décidé de lancer un chantier de réflexion autour du remplacement du système largement inutilisé de la CableCARD. Ce système était la réponse initiale à la Section 629 ajoutée en 1996 à la loi fédérale Communications Act afin d’ouvrir à la concurrence le marché de la télévision payante. Depuis 2007, le système CableCARD permet en théorie à tous les abonnés d’une offre de télévision payante de remplacer la location de la box de l’opérateur par une simple carte électronique à insérer dans des modèles compatibles (box tierces, téléviseurs ou ordinateurs). L’objectif était d’encourager l’innovation et de défendre la liberté de choix en créant un marché de détail concurrentiel pour de nouveaux terminaux ayant accès aux services de TV payante. L’échec a été total en raison de limitations techniques (pas de voie de retour permettant la vidéo à la demande notamment), de la mauvaise volonté des câbloopérateurs (invoquant une distorsion de concurrence avec le satellite et l’IPTV) et du peu d’intérêt des constructeurs qui ont focalisé tous leurs développements sur des terminaux compatibles avec la vidéo sur internet. TiVo reste le seul exemple de succès notable.
Le Congrès et l’administration Obama avaient fixé au 31 décembre 2015 la fin de la CableCARD, la FCC devant entre temps créer un groupe de travail pour réfléchir à l’opportunité d’un nouveau système. Pendant 5 années une bataille intense a opposé deux groupes :
- le premier rassemble Google, Sony, TiVo, Best Buy et dans une moindre mesure la CEA (Consumer Electronic Association). Il a défendu une des pistes de travail de la FCC, le projet « AllVid system » qui consiste en une extension matérielle, branchée sur un terminal compatible pour permettre d’accéder en mode Plug-and-Play à l’offre TV de son opérateur. Le projet, mis en sommeil en 2011 est concomitant avec la première version de la Google TV et lui aurais permis d’accéder à la TV linéaire alors que l’ensemble des Networks et chaînes du câble avait refusé de collaborer avec Google.
- Le second groupe conduit par la puissante National Cable and Telecommunications Association (NCTA) et qui regroupe également la MPAA (Motion Pictures Association of America) du côté des éditeurs s’oppose depuis 5 ans au projet AllVid en dénonçant une vision antinomique avec les règles du Copyright, les accords contractuels en vigueur et la sécurité des contenus. Fondamentalement, les câbloopérateurs, rejoints par leurs homologues du satellite et des télécoms défendent une régulation par le marché plutôt qu’une régulation imposée. Avec un argument majeur, celui de la progression du modèle applicatif (« TV as an App ») conforme aux exigences concurrentielles et qui incarnerait l’innovation des opérateurs en répondant aux usages installés.
Le contre-pied de Tom Wheeler
Depuis 2010, l’échec de la CableCARD associé à l’explosion des usages applicatifs a conduit la FCC à prendre en compte la pertinence du modèle défendu par les opérateurs. De plus, le mandat du précédent Chairman, Julius Genachowski (2009 – 2013), a été essentiellement occupé par le National Broadband Plan afin de permettre aux Etats-Unis de rattraper leur retard dans les réseaux à très haut débit fixes. La TV payante n’était donc pas au cœur de la réflexion. Au moment de l’arrivée de Tom Wheeler, ancien responsable de la NCTA, lobby du câble, tout laissait donc penser que le système CableCARD n’aurait pas de successeur. Récemment encore (fin août), le groupe de travail technique de la FCC qui a pendant plusieurs mois auditionné l’ensemble des acteurs avait finalement retenu dans son rapport final de nombreux arguments en faveur du modèle applicatif : les applications permettent la concurrence entre distributeurs traditionnels et nouveaux acteurs OTT ; les applications permettent la concurrence entre constructeurs et leur permettent de proposer de nouveaux services innovants ; le modèle applicatif est dynamique avec de nouvelles approches utilisant le HTML5, le streaming et respectant les standards de communication développés par le W3C (World Wide Web Consortium).
La prise de position de Tom Wheeler la semaine dernière, révélée publiquement dans une tribune sur le site Re/code, est donc un coup dur pour les opérateurs. Non seulement la régulation revient sur le devant de la scène avec le remplacement de la CableCARD par une nouvelle solution logicielle, mais la proposition qui sera soumise au vote le 18 février est très contraignante. La FCC souhaite ainsi que les opérateurs partagent avec les tiers, constructeurs et développeurs, trois informations essentielles : celles sur leurs grilles de programmes et les contenus disponibles dont la vidéo à la demande (« Service Discovery »), celles sur les droits et restrictions de chaque terminal sur ces contenus – les enregistrements notamment (« Entitlements »), et bien sûr les contenus eux-mêmes (« Content Delivery »).
Les opérateurs dénoncent un projet AllVid 2.0, ce dont se défend la FCC rappelant qu’elle ne recommande aucun standard spécifique mais demande simplement que les solutions soient transparentes et conformes aux spécifications des organismes indépendants travaillant sur les formats ouverts. Il n’en reste pas moins que, comme AllVid, le projet Wheeler ouvre non seulement la voie au remplacement de la Box opérateur mais également à la possibilité pour les tiers de développer de nouvelles interfaces et fonctionnalités au-dessus des contenus (enregistrement, EPG, moteur de recherche, fusion des contenus TV et des contenus OTT…).
Dès l’annonce de Wheeler, la NCTA, American Cable Association, Motion Picture Association of America, AT&T-DirecTV, Dish et la majorité des câbloopérateurs ont créé un nouveau groupe de lobbying, Future of TV Coalition, pour peser sur la FCC et arracher un nouveau retournement de situation le 18 février prochain. La communication s’organise autour de deux axes. D’abord la dénonciation d’une collusion présumée entre la FCC et Google au motif que ce dernier aurait déjà développé une nouvelle box conforme aux souhaits de l’autorité et pouvant servir de base pour les futurs standards. Ensuite, le caractère rétrograde de la FCC, incapable de reconnaitre que le modèle de la Box est à l’agonie et que le futur appartient aux applications OTT.
Les enjeux de la proposition Wheeler
Aucune des deux solutions envisagées ne pourra être pleinement satisfaisante et l’intensité des débats est à la hauteur de l’importance de la décision finale de la FCC pour l’avenir de l’ensemble des acteurs. Les enjeux sont nombreux mais peuvent se regrouper en trois blocs.
- Le modèle de la TV as an App répond incontestablement aux usages, sans-doute plus que la multiplication de nouvelles Box. Mais le développement du modèle n’est pas pour autant un gage de marché plus concurrentiel ou plus ouvert. Les opérateurs multiplient les applications pour les terminaux tiers les plus répandus (iOS, Android, Roku, Fire TV, PC, Mac, Smart TV…). Si l’innovation a été tardive elle s’est incontestablement accélérée ces derniers mois : Samsung a dévoilé au CES l’intégration de Time Warner Cable dans ses plates-formes Tizen, TWC propose déjà un boitier Roku avec une sélection limitée de chaînes, Comcast propose une app X1 pour iOS et Android, Dish Network a lancé son offre de streaming OTT Sling… Mais dans tous les cas, les opérateurs restent les décisionnaires de ce qu’ils proposent et sur quelles plates-formes. La situation est identique du côté des éditeurs. Des partenariats privilégiés (TWC et Roku) voire exclusifs (HBO NOW sur Apple TV lors de son lancement) sont noués et Apple, Google ou Microsoft ont tous essuyé des refus cinglants pour l’intégration des offres TV traditionnelles dans leurs plates-formes de vidéo à la demande. De plus, si les gros acteurs s’adaptent à l’hétérogénéité des OS, les coûts de développement sont trop importants pour les opérateurs les plus modestes qui, comme le montre le succès de TiVo (70 opérateurs sur 30 marchés), sont sensibles à la solution d’une Box hybride innovante pour répondre aux usages.
- En mettant fin au monopole sur les box, la solution préconisée par Wheeler remet en cause le contrôle de l’expérience TV par les diffuseurs traditionnels. De nouveaux acteurs auront la possibilité d’intégrer les offres payantes dans des interfaces innovantes, monétisées sans-doute par de nouveaux produits publicitaires. Les plates-formes OTT apparaissent bien comme les acteurs qui ont le plus à gagner de la nouvelle régulation. Mais la FCC insiste sur le fait qu’il n’est pas question de s’immiscer dans les accords commerciaux entre chaînes et diffuseurs. Les plans de services (numérotation des chaînes), la nature des bouquets ou les prix fixés par les opérateurs ne seront pas remis en cause. Les offres devront être reprises à l’identique et respecter les droits négociés sur les contenus (limitation des droits d’enregistrement, droits mobiles…). On peut dès lors s’interroger sur l’intérêt réel des développeurs et constructeurs alors que les deux principales dynamiques du marché de la TV payante U.S remettent précisément en cause les bouquets traditionnels (« Debundelisation », mini bouquets et distribution directe des éditeurs de contenus en OTT).
- Malgré les réserves précédentes, il est évident qu’une menace réelle existe sur le modèle économique des opérateurs. Des revenus importants sont générés par la vente ou la location des Box (qui représentent également un poste de dépenses). Mais surtout, l’ARPU est tiré vers le haut par la vente de services additionnels (TVOD, Pay-per-View pour s’en tenir à la vidéo) qui pourraient totalement ou en partie disparaître dans le cas d’une distribution alternative. Côté consommateur, si la proposition de la FCC était adoptée, le prix des box des opérateurs devrait baisser rapidement pour rester concurrentiel. En revanche, la facture globale de l’accès aux offres TV pourrait s’alourdir, les opérateurs compensant les pertes sur le matériel par des prix à la hausse sur le segment vidéo, quel que soit la plate-forme de distribution.
Quelle que soit la décision finale de la FCC, les deux solutions concurrentes, TV as an App ou « AllVid 2.0 », symbolisent chacune à leur façon un mouvement de dégroupage progressif entre l’accès et la vidéo dans les offres opérateurs. Un paradoxe supplémentaire à l’heure de la convergence, qui peut être résolu autour de nouvelles solutions comme la plate-forme Sky Q au Royaume-Uni, qui souhaite réinventer l’interdépendance entre qualité de l’expérience vidéo et qualité du réseau domestique.