L’EUIPO (Office de l’Union Européenne pour la Propriété Intellectuelle) a effectué en 2015 une large enquête auprès des jeunes de 15-24 ans à travers les 28 pays membre de l’UE, dont les résultats viennent d’être publiés. Son objectif principal est de comprendre les raisons pour lesquelles cette catégorie de la population ne tient pas compte des droits de propriété intellectuelle lorsqu’elle consomme des contenus numériques en ligne.
Une jeunesse française habituée aux sources illégales
Tout comme la majorité des jeunes européens, les Français âgés de 15 à 24 ans consomment principalement en ligne des films et séries TV (89% d’entre eux), de la musique (58%) et des jeux vidéo (25%), que ce soit de façon légale ou illégale. A l’échelle européenne, le streaming constitue le moyen le plus utilisé pour cette consommation, préféré par 56% des jeunes contre 27% pour le téléchargement.
L’étude rend compte de la proportion des jeunes qui dans chaque pays ont eu accès intentionnellement à des contenus provenant de sources illégales. La moyenne européenne étant de 25%, la France se situe à la 5ème position avec un pourcentage de 34%. De plus, 12% des jeunes français interrogés avouent avoir utilisé des sources illicites de façon non-intentionnelle pour consulter des œuvres protégées, très souvent par manque d’informations à propos de l’usage du streaming. En effet, pour beaucoup des participants à l’enquête, la notion de streaming n’est que très peu assimilée à une source illégale, comparée au téléchargement. Il est également intéressant de noter que parmi les pirates assumés, le fait d’utiliser le piratage à des seules fins de consommation personnelle est un argument important de légitimation de la pratique.
L’office européen remarque que l’une des particularités de la jeunesse française réside dans son acceptation à payer pour les contenus des artistes qu’elle estime proches du public. Ainsi les jeunes français sont plus enclins à acheter directement la musique d’un petit groupe plutôt que celle de vedettes mises en avant par des « grosses entreprises multinationales » à l’image des majors. Cette particularité se retrouve également chez les jeunes britanniques.
La France en retard dans l’adhésion des jeunes aux offres légales
Si on s’intéresse aux cinq plus grands marchés européens, la France est le pays où le piratage volontaire est le plus développé chez les jeunes. L’Espagne se trouve à la 8ème position du classement global avec 32% de pirates volontaires contre 34% pour la France. Reste que les habitudes de la jeunesse espagnole et française se rejoignent sur différents points. Dans les deux pays, la principale motivation pour s’orienter vers les offres illégales est celle de la gratuité. Ainsi malgré les nombreuses offres légales existant sur le territoire espagnol, notamment en SVoD (Netflix, Wuaki TV, Tus Telenovelas Online, Filmotech), le prix reste le principal argument pour justifier l’utilisation de services illicites.
Les jeunes italiens de leur côté estiment que Spotify a modifié leur mode de consommation de musique. Ainsi, seuls 21% des jeunes admettent avoir consulté des sources illégales pour des contenus numériques, plaçant l’Italie à la 22ème place dans le classement européen. L’effet de groupe et l’influence de l’entourage joue un rôle important pour orienter la consommation des jeunes. Ainsi ces derniers estiment que la popularité d’un service – comprendre sa forte utilisation – contribue à le « légaliser » même s’il s’agit bien d’un site pirate.
Les jeunes britanniques font partie des moins consommateurs de sources illégales (19%) en Europe. Leur particularité est de consommer principalement en ligne des films et séries TV (84%), de la musique (53%) mais également des événements sportifs (35%). Ils admettent se tourner vers des sources illicites principalement si le contenu recherché n’est pas accessible légalement. Le facteur prix n’est donc pas l’argument principal outre-Manche. La stratégie OTT très souple développée par Sky sur le sport (matchs à la carte ou offres sans engagement pour NOW TV) répond donc aux usages. De plus, le caractère précurseur du Royaume-Uni dans le développement de services OTT (Amazon Video ou Netflix dès 2012) a sans doute joué un rôle, habituant les jeunes britanniques à des usages légaux.
Enfin, si les jeunes allemands font figure de bons élèves avec 18% seulement de pirates volontaires c’est parce qu’ils rejettent délibérément les sources illégales, préférant se tourner vers les offres reconnues telles que iTunes, YouTube, Amazon Video, Spotify et Maxdome. La crainte de sanctions judiciaires est déterminante puisque citée par 47% des jeunes allemands comme la justification principale de leur comportement licite.
Le tarif de l’offre légale critiqué par les jeunes européens
Selon l’étude, le critère du prix est décisif : c’est le principal motif pour choisir le piratage pour 67% des interrogés à l’échelle de l’Europe. Pour plus de 58%, la disponibilité des contenus à un prix moins élevé constituerait alors la principale raison pour arrêter la consommation illégale d’œuvres protégées (c’est le cas pour 50% des 15-24 ans en France).
De plus, les jeunes européens estiment que le développement des offres légales par la multiplication des services et donc l’éclatement des contenus entre différentes plateformes, conduit inévitablement à renchérir l’accès légal à l’ensemble des contenus. C’est pourquoi, dans leurs suggestions pour assurer le développement d’une offre légale, ils préconisent une offre tout-en-un regroupant toutes les sortes de contenus qu’ils consultent régulièrement (musique, films, séries TV, jeux vidéo). La deuxième recommandation est celle d’une valeur ajoutée plus importante pour l’offre légale : absence de publicité, rapidité de téléchargement, téléchargement direct sur smartphones, accessibilité hors ligne des contenus, fonction de partage sur les réseaux sociaux… Enfin, les jeunes européens proposent que davantage de contenus soient accessibles légalement beaucoup plus rapidement que ce n’est le cas aujourd’hui et que l’usage des offres légales soit mieux relayé dans les médias traditionnels.
Les jeunes français attentifs à leurs données personnelles mais peu soucieux de la répression
Pour les jeunes français, après le prix de l’offre légale, la rapidité d’accès aux contenus constitue le second argument en faveur du piratage (32% des interrogés). Le fait de ne pas avoir besoin de s’inscrire est également mis en avant (31%). Il ressort de l’étude que les jeunes français sont de plus en plus sensibles à l’usage de leurs données personnelles récoltées par les sites légaux. D’où les réticences à l’inscription.
Même si 31% des jeunes français avouent que le risque de poursuites judiciaires serait une des raisons pour lesquelles ils arrêteraient l’utilisation de sources illégales, c’est moins que la moyenne européenne qui est de 36%, et beaucoup moins que dans le cas du voisin allemand (47%). La riposte graduée mise en place par l’Hadopi ne semble pas produire l’effet escompté contrairement au système très répressif mis en place outre-Rhin qui sanctionne à coups de fortes amendes le téléchargement.