Sky et Sony Pictures Television (Sony Corp.) ont conclu un accord pan-européen et pluriannuel pour une distribution exclusive en première fenêtre payante des films du studio sur les services par abonnement et transactionnels de Sky au Royaume-Uni, en Irlande, en Italie, en Allemagne et en Autriche. L’accord couvre l’ensemble des nouveaux titres à venir de Sony, ainsi que toutes les productions Ultra HD mais également des centaines de titres du catalogue. Si l’accord s’inscrit dans le mouvement d’européanisation des droits voulu par la Commission, il reflète également la puissance de Sky à l’échelle du continent.
• Un accord inédit par son ampleur
En vertu de cet accord pluriannuel (dont la durée n’a pas été communiquée) Sky pourra proposer les films Sony aux abonnés de Sky Movies, Sky Cinema et Sky Film sur les 5 marchés où il est présent, quelques mois seulement après leur sortie en salles et en exclusivité pendant un an. Cette première fenêtre de télévision payante s’accompagne des droits numériques pour le rattrapage et en mobilité puisque les titres peuvent également être visionnés à la demande via les services de streaming NOW TV, Sky on line et Sky Go. D’après le communiqué de presse publié par Sky le 18 avril, l’accord concerne également la vidéo transactionnelle (location et achat numérique) sur les services Sky Store, Sky Select et Sky Primafila. Faute de précision, il est impossible de savoir si une notion d’exclusivité en VàD, même temporaire a été négociée entre les deux partenaires, par exemple avec des avancées de fenêtre.
Il s’agit du premier accord multi-territorial signé par Sky avec un grand studio de cinéma d’Hollywood. Les deux groupes étaient déjà partenaires mais Sky et Sony négociaient traditionnellement sur une base territoriale. En revanche, Sky possède déjà des accords de dimension pan-européenne avec HBO (Warner) et Showtime (CBS Corp.) depuis respectivement novembre 2015 et janvier 2016. Mais les accords portent sur des séries TV et sont limités à une seule fenêtre (première diffusion payante en exclusivité) et à un seul service, la chaîne Sky Atlantic. Il s’agit donc incontestablement d’une accélération dans l’européanisation des droits alors que jusqu’à présent l’intérêt économique des majors d’Hollywood poussait à la préservation d’un système de licence d’exploitation fragmenté, avec des négociations fenêtre par fenêtre et territoire par territoire. Il faudra d’ailleurs retenir comme un clin d’œil de l’histoire que la Commission Européenne ne s’était pas opposée au rapprochement de BSkyB, Sky Deutschland et Sky Italia en 2014 en raison notamment des pratiques existantes en matière de licences, axées sur des territoires nationaux ou des zones linguistiques. La Commission avait accepté l’opération, constatant que, bien qu’il existe déjà un certain nombre de radiodiffuseurs qui exercent leurs activités sur différents territoires dans l’Espace économique européen, les titulaires de droits « n’ont pas accepté la pratique de la concession de licences multi territoriales dans une mesure significative » (1) …
• Mais la multi-territorialité ne signifie pas la fin de la territorialité des droits
De prime abord, l’envergure de l’accord, le premier de cette ampleur entre un diffuseur européen et un studio d’Hollywood, semble effectivement remettre en question la territorialité des droits, répondant ainsi aux objectifs défendus par la Commission européenne dans le cadre du marché unique numérique. Dans les faits, cela semble beaucoup moins évident. D’abord, si Sky devient détenteur de droits sur 5 territoires (encore loin des 28 de l’UE), le communiqué de presse est explicite : « bien que l’accord couvre plusieurs territoires, Sky et Sony Pictures Television continueront d’offrir les films d’une manière qui préserve les caractéristiques locales de chaque marché et qui réponde le mieux aux besoins des clients Sky dans chaque pays ». Concrètement, l’accord ne change rien à la situation existante du point de vue des abonnés européens à l’un des bouquets ou services Sky. Il n’y a absolument aucun impact en termes de portabilité des offres et des abonnements, de géo-blocage des contenus et de limitation territoriale des droits de visionnage.
En conséquence, l’accord ne change rien aux griefs de la Commission Européenne envers Sky et les majors d’Hollywood sur leurs pratiques anticoncurrentielles. La communication des griefs à Sky UK et à six grands studios de cinéma américains, Disney, NBCUniversal, Paramount Pictures, Sony, Twentieth Century Fox et Warner Bros., le 23 juillet 2015 dénonçait des clauses accordant une «exclusivité territoriale absolue» à Sky UK et/ou à d’autres télédiffuseurs, éliminant la concurrence transfrontière entre les télédiffuseurs payants et cloisonnant le marché intérieur selon les frontières nationales. L’accord Sky / Sony n’apporte aucune évolution sur ce point. Pas plus qu’hier, les accords de licence entre Sony et Sky ne permettront aux consommateurs de l’UE ne résidant pas au Royaume-Uni, en Irlande, en Italie, en Allemagne et en Autriche d’accéder aux services payants du groupe. Ni par satellite, ni en ligne.
En revanche, l’accord paneuropéen avec Sony pourrait tout de même modifier le rapport de force entre Sky et la Commission. Il s’agit en premier lieu d’un argument majeur pour Sky pour prouver que contrairement aux soupçons de la Commission, il ne bloque pas volontairement les deals multi-territoriaux. En apportant une illustration concrète et d’envergure, l’accord renforce la stratégie de Sky, fondamentalement opposée aux évolutions du marché unique numérique dans le sens voulu par la Commission avec un réexamen de la directive relative à la radiodiffusion par satellite et à la retransmission par câble. Sky, à l’instar des autres services de télévision payante plaide pour le statuquo et la liberté commerciale (2). Grâce à l’accord avec Sony, il prouve que des deals multi territoriaux sont possibles et que le marché des contenus transfrontaliers est déjà une réalité. Il n’y a donc pas de raison d’imposer une approche systématiquement pan-européenne pour la distribution des contenus puisque celle-ci s’applique déjà quand elle fait sens économiquement.
• Sky s’impose comme un nouveau leader pan-européen
S’il est incontestable que l’accord s’inscrit dans un mouvement de fond d’internationalisation des droits, le véritable enseignement n’est pas tant à chercher du côté du marché unique numérique que dans la nouvelle puissance de Sky à l’échelle du continent. Le rachat par BSkyB de Sky Deutshland et Sky Italia en novembre 2014 pour 7Mrd£ (8,8Mrd€) apparaissait d’abord comme une opération défensive pour lutter contre le ralentissement de la croissance sur le marché britannique lié à la concurrence de BT et des nouveaux services OTT. La seconde phase, celle de l’offensive est désormais lancée. La puissance acquise par le nouveau groupe européen et ses 21 millions d’abonnés lui permet de convaincre un studio majeur de l’opportunité d’un output deal multi-territorial. Les économies d’échelles sont atteintes et permettent à Sky de rivaliser avec les nouveaux acteurs globaux dans la négociation des droits, assurant ainsi à Sony des sommes plus intéressantes que celles qui auraient été négociées territoire par territoire, fenêtre par fenêtre.
La décision en février 2016 de créer à l’échelle du groupe une nouvelle direction des acquisitions, basée à Londres et à Los Angeles, avec à sa tête Sarah Wright a donc débouché sur des résultats rapides avec le renouvellement des accords Disney, l’extension des accords HBO et Showtime et maintenant l’accord paneuropéen avec Sony. La nouvelle direction symbolise la réorganisation en marche et prouve que Sky n’est pas seulement l’addition de trois entités. Sky a commencé sa transformation en véritable groupe paneuropéen. Il est devenu un guichet unique pour Hollywood sur le continent. L’acquisition des contenus joue donc un rôle moteur avec des synergies et des transversalités qui devancent celles qui devraient suivre sur les divisions supports, les accords de retransmission ou le développement de box communes pour les offres Sky Q.
Si le constat est connu de longue date, la nouvelle puissance de Sky implique que ses principaux concurrents sur le marché de la télévision payante accélèrent les opérations de croissance externes ou de rapprochement pour atteindre une taille critique à l’échelle européenne. C’est l’objectif clairement affiché du groupe Vivendi, propriétaire de Canal Plus et depuis le début du mois du bouquet Mediaset Premium qui opère en Italie (2 millions d’abonnés). La situation est identique pour le britannique Vodafone et l’américain Liberty Global Europe qui viennent de fusionner leurs activités aux Pays-Bas et étudient régulièrement les modalités d’un rapprochement plus important. L’enjeu principal n’est pas celui de la création d’un quelconque Netflix latin, germanique ou autre. C’est celui de l’européanisation pour l’acquisition de droits multi-territoriaux et sur l’ensemble des fenêtres de diffusion. Sky et Sony rappellent que, si les batailles historiques sur les droits sportifs qui restent encore très locaux sont toujours conduites au niveau national, celles pour les films et séries sont désormais européennes.
(1) Commission Européenne, communiqué de presse du 11 septembre 2014, « Concentrations: la Commission autorise l’acquisition de Sky Deutschland et de Sky Italia par BSkyB »
(2) “Bearing in mind the Commission’s desire not to change territoriality or existing business models, and its recognition that exclusivity is central to financing new productions, Sky considers it crucial that content producers / rights owners retain the freedom to choose the basis upon which they licence their content – whether that be on an exclusive basis or not. Sky is deeply concerned that the Commission’s plans for possible reform could lead to a situation where content producers / rights owners would only be able to license their rights on a pan-European basis”.
In “Sky’s response to the European Commission’s consultation on the review of the EU Satellite and Cable Directive”