Alice Holzman, Directrice du Digital et de la Communication chez La Banque Postale
Créée il y a tout juste 10 ans, La Banque Postale compte aujourd’hui 11 millions de clients actifs en France, répartis de manière équitable sur l’ensemble du territoire à travers son réseau d’agences. Comme tous ses concurrents traditionnels, La Banque Postale a dû mener une réflexion sur l’évolution de son métier à l’heure d’Internet et la nécessité de se réinventer pour s’adapter aux nouveaux usages des consommateurs. Les clients sont aujourd’hui plus connectés, mobiles et surtout autonomes que par le passé. Les plus grandes occasions de contact ont dorénavant lieu sur Internet : « 70% des échanges entre un client et sa banque se font à travers le digital ». La fréquentation des agences physiques enregistre pour sa part un recul de l’ordre de 7 à 8% par an. « Il y a 5 ans, 60% des Français se rendaient plus d’une fois par mois dans leur agence. Ils sont moins de 20% aujourd’hui », ajoute Alice Holzman.
Un profond changement des habitudes qui ne signifie pas pour autant que le rôle des banques de proximité ne fait désormais plus sens. Alice Holzman insiste sur le fait qu’une distinction doit s’opérer en fonction de la nature des actes : lorsqu’il s’agit d’un acte élémentaire, relavant du domaine du transactionnel ou de l’information (virement, suivi de comptes, etc.), le client doit être poussé vers un niveau d’autonomie élevé, et doit, a contrario, être accompagné par son conseiller bancaire, en face-à-face ou par téléphone, sur des problématiques à forte valeur ajoutée (projet d’investissement, acquisition immobilière, etc.). La directrice du Digital et de la Communication de La Banque Postale estime q u’il y a aujourd’hui « un vrai sujet sur l’omnicanal auquel l’ensemble des banques traditionnelles sont confrontées ». Une logique d’adaptation nécessaire à l’heure où le digital occupe une place de plus en plus prépondérante mais ne peut remplacer à lui seul les réseaux physiques. Un propos illustré par l’exemple de mBank, banque mobile solidement installée en Pologne avec plus de 5 millions de clients, qui décida de développer son propre réseau d’agences plusieurs années après son lancement. Un choix dicté par le besoin d’assurer une présence sur le terrain et de générer davantage d’occasions de contact avec le grand public. Selon Alice Holzman, le réseau de distribution physique est indispensable dans la conquête de clients et, au-delà, dans la génération de valeur sur des actes de crédit ou d’investissement. Un réseau physique qui doit dorénavant se concentrer sur une activité de conseil, qu’une offre 100% digitale ne saurait pleinement satisfaire.
Sur l’essor du paiement mobile, Alice Holzman reconnaît que les freins majeurs étaient jusqu’à maintenant d’ordre sécuritaire. Des freins qui tendent à être levés peu à peu, eu égard aux nombreuses actions mises en place en termes d’authentification et de protection des données. Elle a tenu à souligner à ce titre la solution développée par Paylib qui, à travers la génération d’un cryptogramme à usage unique, permet d’éviter la circulation des données bancaires sur le net. Avec l’appui des grandes banques françaises, Paylib vient également de se lancer sur le segment du paiement sans contact grâce au NFC. Une solution qui sera toutefois limitée aux seuls appareils Android. Interrogée sur une possible intégration sur iOS, Alice Holzman a rappelé qu’Apple disposait de sa propre solution en la matière avec Apple Pay. Elle a d’ailleurs réaffirmé la nécessité pour l’ensemble des acteurs du secteur de communiquer davantage et de manière plus claire sur les bénéfices réels de chacune de ces solutions pour l’usager.
Charlotte Desbons, Directrice Marketing et Communication de Visa Europe France
Charlotte Desbons a débuté son intervention en affirmant la capacité d’adaptation de Visa face à l’apparition de la BlockChain et des nouveaux acteurs de la FinTech. Pour elle, le groupe accueille même très favorablement ce mouvement qui constitue une opportunité d’innovation que Visa a préempté depuis plusieurs années. En effet, pour elle, si le métier historique de Visa est de définir les règles de fonctionnement, les produits et les services autour des cartes de paiement, le groupe est aujourd’hui en pleine mutation avec un objectif principal : devenir aussi indispensable dans le monde digital que dans le monde physique avec ses cartes bancaires.
Charlotte Desbons a ensuite défini les deux pans principaux de la transformation de Visa.
• Le premier pan consiste à accompagner le digital et faire évoluer les nouvelles technologies dans le domaine du paiement. Charlotte Desbons a illustré cette stratégie de Visa avec l’exemple du passage du groupe de la simple carte à la carte sans contact mais également par son leadership dans la définition des standards du paiement mobile ou son implication dans les domaines des wearables et de la biométrie.
• Le deuxième pan de la transformation de Visa a pour objectif de changer radicalement les manières de fonctionner. Si le groupe Visa a longtemps fonctionné en système fermé et propriétaire, centré sur le secteur bancaire et financier, pour Charlotte Desbons, le groupe se transforme progressivement et devient une entreprise technologique. Visa ouvre ses réseaux et ses infrastructure vers l’extérieur notamment par la standardisation des APIs ce qui ouvre de nombreuses opportunités de partenariats.
Charlotte Desbons a ensuite présenté l’importance de ces opportunités de collaboration dans le domaine du paiement. Selon elle, 70% des paiements sont encore effectués en espèces ce qui laisse beaucoup d’espace pour innover. Dans ce contexte, un tiers des acteurs de la FinTech s’intéresse au secteur du paiement, et Visa a une posture de collaboration avec eux. Elle a d’ailleurs souligné en guise d’exemple que les lancements de tous les nouveaux systèmes de paiement (Apple, Android, Samsung…) n’auraient pas pu voir le jour sans Visa qui opère les systèmes mais garantit également la sécurité et l’acceptation universelle des transactions. Elle a cependant ajouté que si Visa travaille en effet avec les grands acteurs (GAFA, Orange, Swatch…), le groupe est à l’affût de partenariats avec de plus petits acteurs qui représentent un territoire de co-innovation pour le groupe. Visa a ainsi lancé depuis 2 ans des espaces de co-innovation à Londres, Berlin, Tel-Aviv, Singapour et Dubaï qui visent à créer en collaboration les nouveaux services et usages que Visa ne peut pas identifier seul.
Parmi les nombreux domaines d’innovation de Visa, Charlotte Desbons a insisté sur le M-paiement. Le M-paiement in-app ou sur Internet est déjà dans les mœurs avec des taux de croissance à deux chiffres. Mais le M-paiement dans les commerces avec un téléphone a été un peu plus lent à se développer selon elle. Cette lenteur s’explique pour elle par un taux d’équipement en smartphones qui n’était pas encore suffisant il y a quelques années mais également par la nécessité d’équiper les commerçants en terminaux sans contact. La question de la sécurité a également ralenti le processus puisque de nombreuses technologies ont dû être expérimentées avant de pouvoir déployer les solutions. Cependant, les conditions sont désormais réunies pour un décollage selon Charlotte Desbons. Il y a aujourd’hui à peu près 563 000 terminaux sans contact en France soit 1/3 des commerçants et 2/3 de la grande distribution. D’ici 2020, presque tous les commerçant seront équipés en terminaux sans contact et la grande majorité des mobiles seront compatibles. Il restera cependant à favoriser un changement des usages ce qui passe par la disponibilité de plusieurs offres et par la communication.
Charlotte Desbons a tenu à terminer son intervention sur une note d’optimisme. Pour elle, il y a de grandes opportunités d’innovation dans le secteur pour faire changer les usages. Dans ce contexte, la FinTech pousse la banque à se réinventer grâce à ses formidables opportunités de co-création.
Yann Kandelman, Directeur des Investissements et du Développement Numérique chez Orange
Yann Kandelman a confirmé le calendrier annoncé pour le lancement de l’offre de services bancaires d’Orange, à savoir début 2017, sans toutefois donner plus de précisions. Sur le marché français, Orange a vocation à devenir un acteur « complet » du secteur bancaire, couvrant l’ensemble du spectre d’activités comme le compte courant, l’épargne, le crédit ou le paiement mobile. Une volonté renforcée par le rachat récent de Groupama Banque, la filiale bancaire de l’assureur mutualiste. Dans un secteur en pleine mutation, Orange souhaite « maîtriser l’ensemble de l’offre et de l’expérience et non se contenter d’être un simple partenaire ». Une position qui, combinée à sa connaissance des réseaux et des usages mobiles, doit lui permettre de répondre aux nouvelles attentes des clients dans le domaine bancaire : « pouvoir effectuer la majorité voire l’intégralité de leurs transactions depuis leur smartphone ».
Le Directeur des Investissements et du Développement Numérique d’Orange a par ailleurs réaffirmé les ambitions internationales du groupe sur le secteur bancaire. Avec un objectif de 400 millions d’euros sur les services financiers à l’horizon 2018, Orange ne cache pas ses envies d’expansion internationale dans un avenir proche. Un développement qui, selon les territoires, pourra prendre la forme d’un partenariat à l’image d’Orange Finanse (lancée avec mBank en Pologne) ou d’une offre en propre.
Enfin, Yann Kandelman s’est exprimé sur le développement du paiement mobile en France. S’il reconnaît que le modèle a mis du temps à éclore, il estime aujourd’hui le marché suffisamment mature pour adopter ce nouvel usage, tant côté commerçants que consommateurs. Il ajoute que si à ce stade aucune solution n’est réellement parvenue à s’imposer, un tournant devrait avoir lieu prochainement avec l’arrivée des banques 100% mobiles. Elles devraient selon lui faire évoluer le statut du paiement mobile, d’un de mode de paiement « complémentaire » (en plus des règlements en espèce, par chèque, virement, carte bleue…) à un mode de paiement totalement « intégré », dans une logique d’expérience tout-mobile (paiement mais aussi comptes, opérations, crédits…).
Romain Lavaut, General Partners de Partech Ventures
Romain Lavaut a commencé son intervention en reprécisant ce qu’était la BlockChain. Il l’a défini par analogie avec le cadastre. Le cadastre conserve la traçabilité de transactions effectuées autour d’un bien et sert de livre de compte en cas de nouvelles transactions. Pour lui, la BlockCha in n’a ni plus ni moins que les mêmes fonctions c’est-à-dire qu’elle inscrit dans un livre de compte en ligne et décentralisé les transferts de propriétés d’une personne à une autre. Toutes les formes digitales d’un bien peuvent être transmises de cette manière et comme pour le cadastre ces informations sont publiques. Tout le monde peut consulter la BlockChain pour vérifier la propriété d’un bien, qu’ils s’agissent d’œuvres d’arts, d’actions, de diamants ou encore de prêts. Cependant à la différence du cadastre, la BlockChain est répartie sur un très grand nombre d’ordinateurs organisés en chaîne. Ce système permet selon Romain Lavaut une sécurité renforcée puisqu’il faudrait hacker plus de 50% des ordinateurs de la chaîne pour modifier le titre de propriété d’un bien.
Romain Lavaut a défini également les smarts contracts qui constituent une innovation importante dans le domaine de la BlockChain. La BlockChain a d’abord été utilisée pour soutenir le système de création et d’échange du Bitcoin mais elle trouve désormais un second souffle dans le domaine plus large des smarts contracts. Ces « contrats intelligents » permettent des transactions plus complexes d’une propriété ou d’un droit. Une location AirBnB peut par exemple donner lieu à la création d’un smart contract qui permettra d’effectuer plusieurs actions sur la BlockChain (versement d’une caution, paiement, retour de la caution mais également partage d’information avec d’autres sites sur lequel l’appartement est disponible à la location). Les smarts contracts sont également utilisés dans le domaine des obligations où les termes des transactions peuvent être très variables. Avec les smarts contracts, la BlockChain permet donc d’administrer automatiquement de nombreuses transactions complexes.
A partir de ce cadrage initial, Romain Lavaut a ensuite présenté plusieurs exemples d’innovations intéressantes. Pour lui, Partech Ventures constitue un poste d’observation privilégié grâce à des investissements qui couvrent une majeure partie de la chaîne de valeur à la fois dans les pays développés mais également dans les pays émergents. Parmi les sociétés dans lesquelles Partech Ventures a investi, Compte Nickel est selon lui un exemple intéressant de convergence entre modèle digital et modèle physique puisque c’est une banque mobile, donc un pure-player, mais qui effectue sa distribution dans le monde physique via les bar-tabacs. Au mois de mai, Compte Nickel a ouvert un compte toutes les deux heures pour un coût d’acquisition client pourtant très faible. Romain Lavaut a également cité en exemple la société Atlas qui fait du paiement mobile en Afrique par sms mais via la BlockChain sans opérateur et sans intermédiaire bancaire. Enfin Romain Lavaut a présenté le cas de la compagnie Lendix qui est intéressante car ses fondateurs sont issus de la finance. Pour Romain Lavaut, à l’image de Lendix, 75% des start-ups de la FinTech rencontrées par Partech Ventures ont été créées par d’anciens banquiers qui connaissent bien le système et qui ont vu une opportunité de nouveaux services. Romain Lavaut a ajouté que lors de ses démarches d’investissement, Partech Ventures était très sensible à la transparence des acteurs de la FinTech car le manque de transparence présente les mêmes risques pour ces acteurs que pour les acteurs traditionnels de la finance et de la banque.
Romain Lavaut a conclu son intervention en présentant ce qu’était sa vision du futur de la banque. Pour lui, le futur de la banque c’est l’équivalent de ce qu’Amazon a réussi dans le domaine du e-commerce en créant des market place. Il y a pour lui une convergence possible entre les acteurs d’aujourd’hui et les acteurs émergents. La banque de demain pourrait donc être les banques d’aujourd’hui mais structurées en market place avec des acteurs de la FinTech qui proposent des services très spécialisés mais qui ont besoin de l’accès aux clients des banques.
Arnaud Burgot, Directeur Général d’Ulule
Ulule, le site de
financement participatif aux quelques 13 000 projets financés (taux de succès de 66%) et plus de 55 millions d’euros collectés, s’est imposé en quelques années seulement comme le numéro 1 du secteur en France et en Europe. Le site compte aujourd’hui près de 1,150 million de membres à travers le monde grâce à sa plate-forme disponible en 7 langues. Un succès qui ne se dément pas avec le temps puisque ce sont 1 200 personnes supplémentaires qui s’inscrivent chaque jour en moyenne sur le site.
Sur un marché encore jeune mais déjà très concurrentiel, Arnaud Burgot explique la réussite d’Ulule par la qualité de son expérience utilisateur, primordiale pour se différencier selon lui, et par sa capacité à développer des contenus autour de sa marketplace. Face à la multiplication des acteurs, facilitée par l’absence de barrières technologiques significatives, la différence se fait selon lui par l’usage. Le cœur de métier d’Ulule est de numériser la collecte de fonds d’un projet. Une collecte facilitée par le numérique et la mise en ligne du projet qui permet de le faire connaître au-delà du cercle proche de son initiateur mais aussi de vérifier sa viabilité et de créer de la confiance avec les donateurs potentiels. En faisant connaître Ulule à leurs réseaux, les utilisateurs du site boostent sa notoriété et lui permettent de recruter de nouveaux utilisateurs et ainsi de suite jusqu’à créer un cercle vertueux. Une situation qui a conduit à la concentration des projets de crowdfunding et du trafic sur quelques sites seulement. Ulule et son principal rival en France, KissKissBankBank, « représentent aujourd’hui 90% des flux ».
Interrogé sur la possibilité d’un développement à l’international, Arnaud Burgot confirme avoir des velléités d’expansion en Europe. Sûr de la viabilité de son modèle mais aussi conscient de la faible notoriété d’Ulule sur les territoires voisins, le Directeur Général du site estime que ce développement devra nécessairement passer par une collaboration avec des équipes locales, l’effet de prescription et le contact avec l’écosystème des créateurs étant des facteurs clés de réussite sur le marché du crowdfunding. Des propos qui renvoient sans équivoque à la stratégie de Kickstarter, leader mondial du secteur qui, à l’inverse, s’est implanté en France il y a maintenant un an sans équipe locale et, selon Arnaud Burgot, sans y rencontrer le succès.