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Suite à l’échec des négociations entre Molotov TV et le groupe NRJ pour la diffusion des chaînes NRJ 12, Chérie 25 et NRJ Hits sur la plateforme, le pure-player avait saisi le CSA, considérant que la rupture définitive des négociations par NRJ ne présentait aucun motif d’ordre objectif ou équitable et constituait un traitement discriminatoire.
Le CSA a rejeté les demandes de Molotov, considérant qu’il ne disposait pas du pouvoir de prononcer une injonction de faire une offre de contrat à l’encontre du groupe NRJ en l’absence de relation contractuelle, et que Molotov n’établissait ni l’existence d’une disposition législative susceptible d’astreindre le groupe NRJ à mettre à disposition le signal des services de télévision NRJ 12, Chérie 25 et NRJ Hits, ni celle d’un risque d’atteinte caractérisée à l’un des principes énumérés à l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986 (pluralisme, protection du jeune public, dignité humaine, diversité…).
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La question de l’enregistrement dans le « cloud » en toile de fond
En janvier 2015, la société Molotov TV SAS s’est rapprochée de la société NRJ Group afin d’organiser la distribution des chaînes NRJ 12, Chérie 25 et NRJ Hits sur sa plateforme « over-the-top ». Les échanges se seraient interrompus en septembre 2015 avant de reprendre au cours du premier trimestre 2016. Le 19 septembre 2016, NRJ Group a fait part de son refus de voir ses chaînes et programmes distribués sur la plateforme de Molotov. Suite à ce refus, les chaînes du groupe NRJ étaient les seules de l’univers de la TNT gratuite à être indisponibles dans l’offre Molotov (sans compter la chaîne Canal+).
Le distributeur a alors saisi le CSA d’une demande de règlement de différend tendant à ce qu’il constate « qu’aux termes de longues négociations un accord était intervenu entre le groupe NRJ et Molotov TV sur la distribution des chaînes NRJ 12, Chérie 25 et NRJ Hits ainsi que leurs services de télévision de rattrapage associés » et, en conséquence, que le Conseil fasse « injonction au groupe NRJ de conclure cet accord à bref délai, ou de communiquer à Molotov ses conditions générales de distribution ».
En second lieu, la demande de Molotov tendait à faire dire au CSA que l’accord prévu par l’article 331-9 du Code de la propriété intellectuelle[1] ne peut porter que sur « les fonctionnalités du service de stockage sans que ledit accord ne puisse servir de prétexte à un refus de contracter, à l’imposition de conditions particulières, y compris une rémunération, et sans que cet accord ne puisse conditionner l’exercice de l’exception de copie privée ».
Pour sa part, le groupe NRJ a soutenu que rien n’interdisait à un éditeur de conditionner la mise à disposition de ses chaînes à un accord préalable sur les modalités techniques précises du service d’enregistrement et de stockage de programmes que le distributeur entend mettre à disposition de ses abonnés, et que son refus de contracter se justifie par des raisons objectives. NRJ considère que la plateforme Molotov représente « une menace pour l’audience des services linéaires du groupe sur les plateformes traditionnelles, l’audience des services de télévision de rattrapage en raison des facilités d’enregistrement des programmes, et l’audience des sites internet du groupe ».
Si de nombreuses chaînes ont refusé d’être disponibles en rattrapage sur la plateforme Molotov, sa fonctionnalité phare « bookmark » permet aujourd’hui à ses utilisateurs d’enregistrer jusqu’à 20 heures de programmes dans sa version gratuite, et 100 heures pour un abonné payant (indisponible sur les chaînes du groupe Canal+ et Numéro 23 seulement). Dans un entretien[2], Maryam Salehi, directrice déléguée à la direction générale du groupe NRJ, rappelait que la plateforme NRJ Play lancée en septembre 2016 regroupe l’ensemble des contenus audio et vidéo des principaux médias du groupe « en live et en replay ». « Nous tenons à ce que nos programmes soient regardés en rattrapage dans l’univers de nos marques », a-t-elle ajouté.
Pas d’obligation de faire une offre en absence de relation contractuelle
La demande de Molotov tendant à faire dire au CSA que l’accord entre les parties sur les fonctionnalités du service de stockage ne pouvait servir de prétexte au groupe NRJ pour refuser la distribution de ses chaînes est brièvement balayée par le Conseil. Si les parties peuvent saisir le CSA en règlement de différend en vertu de l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, elles ne peuvent lui demander d’interpréter la loi.
Sur la demande tendant à faire constater qu’un accord était intervenu entre les parties, le Conseil rappelle qu’une proposition de contracter ne constitue une offre de contrat que si elle indique « la volonté de son auteur d’être lié en cas d’acceptation, et qu’elle comporte tous les éléments essentiels du futur contrat, sans être assortie d’aucune condition ou réserve ». Il refuse de reconnaître, ici, que le groupe NRJ aurait entendu formuler des propositions équivalentes à une offre de contrat exprimant sa volonté d’être lié.
Le Conseil précise également que si la société Molotov soutient que les négociations entre les parties avaient abouties à « un accord sur la chose et le prix, éléments essentiels faisant naître un contrat de distribution » entre les parties, un contrat de distribution n’est pas assimilable à un contrat de vente car il n’emporte pas transfert de propriété au sens de l’article 1582 du Code civil[3]. De plus, les éléments essentiels d’un contrat de distribution sont ceux qui sont considérés comme tels par les parties elles-mêmes, et NRJ Group aurait notamment considéré que les éléments relatifs aux « fonctionnalités, conditions techniques et à l’enregistrement des chaînes au regard de la copie privée » comme essentiels – ce qu’aucune disposition légale ne leur interdisait de faire.
Par conséquent, le CSA conclut que le différend entre les parties n’est pas né dans le cadre d’une relation contractuelle ou d’une offre de contrat. En l’absence de relation contractuelle, le CSA ne dispose du pouvoir de prononcer une injonction de faire une offre qu’envers un opérateur à qui la loi fait expressément obligation de mettre à disposition un service ou de le reprendre (« must-carry », « must-offer », service antenne…), ou lorsque l’injonction est nécessaire pour prévenir une atteinte caractérisée au pluralisme, à l’ordre public, aux exigences de service public… Le Conseil écarte donc la demande de Molotov, estimant que la société n’établit pas l’existence d’une telle obligation légale ou d’une atteinte à ces principes.
Une application de la jurisprudence AB Sat – M6
La conciliation du principe de liberté contractuelle avec celui de non-discrimination joue ici en faveur de l’éditeur. Le CSA se contente finalement d’appliquer la jurisprudence « AB Sat »[4] du Conseil d’Etat. Dans ce litige opposant la société AB Sat à M6, cette dernière refusait d’autoriser le distributeur à reprendre sa chaîne au sein du bouquet satellite « Bis Télévision », lancé en novembre 2007. Saisi d’une demande en règlement de différend, le CSA avait estimé qu’il pouvait imposer des limites à la liberté de communication audiovisuelle lorsqu’il s’agissait d’assurer le respect du principe de non-discrimination et de favoriser ainsi le libre exercice de la concurrence. Le CSA avait considéré qu’en refusant d’entamer des négociations commerciales avec AB Sat sur la reprise de la chaîne M6 alors même que tous les concurrents du distributeur la distribuaient, M6 avait porté atteinte à ce principe.
Le Conseil d’Etat a annulé cette décision en soulignant qu’en l’absence d’une disposition légale imposant la mise à disposition du signal de l’éditeur au distributeur, ou d’une atteinte aux principes mentionnés à l’article 17-1 de la loi du 30 septembre 1986, le CSA ne pouvait, en relevant simplement l’existence d’un comportement qualifié de discriminatoire de l’éditeur et en l’absence de relation contractuelle préexistente, « prononcer l’injonction sans méconnaitre l’étendue de ses pouvoirs ».
[1] « Lorsqu’un distributeur d’un service de radio ou de télévision met à disposition un service de stockage [par voie d’accès à distance], une convention conclue avec l’éditeur de ce service de radio ou de télévision définit préalablement les fonctionnalités de ce service de stockage ».
[2] Satellifax, vendredi 21 avril 2017, propos recueillis par Isabelle Repiton
[3] Article 1582 Code civil : la vente est une convention par laquelle l’un s’oblige à livrer une chose, et l’autre à la payer.
[4] Conseil d’Etat, Req. Société Métropole Télévision contre CSA, 7 décembre 2011