Face à la désaffection croissante d’une partie du jeune public pour la consommation de films sur grand écran, le marché nord-américain assiste à l’émergence de nouveaux modèles économiques qui misent sur l’explosion des usages mobiles et numériques pour inverser la dynamique. NPA propose un tour d’horizon des solutions les plus innovantes.
Fréquentation cinématographique : des résultats record en trompe-l’œil
Malgré une année 2015 record au box-office avec plus de 11 milliards de dollars de recettes, l’industrie du cinéma américain peine à dynamiser la fréquentation des salles obscures. La hausse continue du box-office ces dernières années résulte davantage d’une augmentation du prix moyen du ticket de cinéma, eu égard aux nouvelles technologies proposées au public (3D, IMAX), que d’une réelle explosion du nombre d’entrées en salles. En l’espace de vingt ans, le prix moyen du ticket de cinéma est ainsi passé de 4,35 $ (1995) à 8,43 $ (2015), permettant de multiplier par plus de deux les recettes du box-office américain (+6 Mrds $). Dans le même temps, le niveau de fréquentation des salles enregistrait une progression de seulement 10% (+119 M de tickets vendus).
Évolution du nombre d’entrées salles et du niveau de recettes au box-office américain entre 1995 et 2015 / en millions d’entrées (à gauche) et en millions de dollars (à droite)
Source : MPAA – Theatrical market statistics
Plus préoccupant encore, cette légère hausse de la fréquentation n’est pas due à un élargissement de la base de spectateurs mais à une augmentation de la consommation de films par individu. Ainsi, si le nombre de tickets vendus aux États-Unis a augmenté de 6% entre 2014 et 2015, le nombre de spectateurs réguliers (se rendant au cinéma 1 fois par mois ou plus) a lui diminué de 9%, passant 37,5 à 34,3 millions en un an. Une situation particulièrement inquiétante dès lors que l’on détaille la fréquentation des salles américaines par tranche d’âge. D’après la MPAA[1], ce sont les 18-24 ans qui désertent le plus rapidement les salles de cinéma : 1,3 million de spectateurs en moins en un an (2015 vs 2014), 3 millions en trois ans (vs 2012). Alors qu’ils comptaient pour 21% des spectateurs réguliers en 2012, les 18-24 ans ont vu leur contribution baisser de 4 points en trois ans pour s’établir à 17% en 2015. Une désaffection d’une partie du jeune public d’autant plus préjudiciable pour Hollywood qu’il s’agit de la catégorie de la population qui affiche la plus forte appétence pour la consommation de séances premium (3D, IMAX) et donc le ticket moyen le plus élevé toutes tranches d’âge confondues.
Évolution du nombre de spectateurs réguliers par tranche d’âge entre 2012 et 2015 / en millions de spectateurs
Poids des différentes catégories d’âge dans la fréquentation des salles américaines (2012 vs 2015) / en %
2-11 | 12-17 | 18-24 | 25-39 | 40-49 | 50-59 | 60+ | |
2012 | 7% | 15% | 21% | 24% | 14% | 8% | 11% |
2015 | 8% | 15% | 17% | 22% | 13% | 10% | 15% |
Source : MPAA – Theatrical market statistics
Réconcilier le jeune public avec la salle
Conscients de la fracture croissante avec une partie du public américain, plusieurs acteurs de l’industrie ont développé de nouvelles solutions pour inciter les jeunes générations à renouer avec l’expérience de visionnage sur grand écran. Des solutions qui ont pour dénominateur commun de reposer sur des modèles visant à améliorer et simplifier le processus d’accès à la salle, en capitalisant notamment sur l’explosion des usages sociaux et mobiles.
Apple et Fandango s’allient pour la réservation de séances directement depuis iMessage et le paiement via Apple Pay
Le leader américain de la vente de e-tickets et le géant de l’électronique ont annoncé un partenariat permettant aux utilisateurs de la marque à la pomme d’accéder à quelques-unes des fonctionnalités de l’application de Fandango directement depuis la messagerie instantanée d’Apple (iMessage). Une fois sur le chat d’Apple, l’utilisateur n’aura qu’à cliquer sur une icône aux couleurs de Fandango pour retrouver l’ensemble des films à l’affiche, les salles d’exploitation à proximité et les horaires de diffusion. Il pourra alors partager ces informations avec la ou les personnes de son choix, convenir des meilleures options et finaliser sa commande en réglant sa réservation depuis son appareil via la solution de paiement sur mobiles Apple Pay (service disponible sur iPhone SE, 6, 6 Plus, iPad Pro, iPad Air 2, iPad mini 3 et Apple Watch couplée à un iPhone), le tout en quelques clics et sans avoir à quitter le fil de conversation. Un partenariat a priori profitable aux deux parties, NBCUniversal (propriétaire de Fandango à hauteur de 70%, les 30% restants étant détenus par Time Warner) rappelant dans un communiqué officiel que plus de 60% des ventes de e-tickets de Fandango se font par l’intermédiaire d’un appareil nomade, via le site web du service ou son application mobile.
Atom Tickets veut révolutionner la billetterie en ligne en modifiant les principes de tarification établis
Soutenu par trois studios hollywoodiens (Lionsgate, Twentieth Century Fox et Walt Disney Studios pour un investissement total de 50 M$), Atom Tickets est une solution pour appareils mobiles qui permet d’acheter des billets de cinéma en ligne et des produits annexes (boissons, confiserie…). L’application s’adresse elle aussi à un public jeune, féru de nouvelles technologies et de moins en moins enclin à se déplacer dans les salles obscures pour sa consommation de films. La solution facilite l’organisation d’une sortie à plusieurs avec le partage d’informations en direct avec un groupe de contacts et la possibilité par exemple d’envoyer une invitation à ses proches pour la réservation de places attenantes à la sienne. La spécificité du service réside dans sa capacité à proposer à ses utilisateurs une tarification différenciée en fonction de l’attractivité des films et de l’encombrement des salles (les films moins populaires bénéficieront de tarifs avantageux, tout comme les films à succès diffusés en heures creuses). Aux États-Unis, 5,5 milliards de sièges restent inoccupés chaque année, soit quatre fois plus que le volume de tickets vendus. L’instauration d’une politique tarifaire plus souple prônée par Atom Tickets demeure toutefois soumise à l’adhésion de l’ensemble des parties (distributeurs et exploitants), si bien qu’elle ne peut être proposée pour toutes les œuvres et dans toutes les salles du pays. A ce jour, AMC et Regal, deux des principaux réseaux des États-Unis (près de la moitié des 35 000 écrans américains à eux deux), ont annoncé leur accord pour la commercialisation de billets via Atom Tickets. Les premiers tests effectués dans l’Ohio et le Tennessee montrent que la fréquentation des salles concernées a augmenté de plus de 10% comparativement aux cinémas non partenaires de l’application.
MoviePass ou la promesse d’un accès « illimité » aux salles
MoviePass repose sur une formule d’abonnement mensuel donnant droit au visionnage en salles d’un film par jour. L’utilisateur du service se voit remettre une carte de paiement spécifique à présenter lors de chaque passage en caisse. L’abonnement débute à 30 $ par mois et peut aller jusqu’à 45 $ en fonction de la ville de résidence du client. La carte MoviePass est acceptée dans plus de 90% du parc de cinémas américain. En revanche, seules les séances en 2D sont couvertes par le service, les projections 3D et IMAX ne sont pas incluses dans l’abonnement (de nouvelles formules premium ouvertes à ces formats sont toutefois à l’étude). Autre contrainte, la carte MoviePass, nominative et limitée au visionnage d’un film par jour, ne permet pas de faire bénéficier les accompagnants de conditions tarifaires identiques à celles de son titulaire. Il n’en reste pas moins que sur un marché nord-américain où le prix moyen du ticket de cinéma a été multiplié par deux en 20 ans (8,43 $ en moyenne en 2015), MoviePass et sa formule à bas prix pour un accès en illimité se présente comme une véritable opportunité de redynamisation du secteur, en particulier auprès des jeunes, catégorie de la population la plus consommatrice de films sur grand écran il y a encore quelques années (7,8 films par spectateur âgé de 18 à 24 ans en 2012 contre 5,9 en 2015).
[1] Motion Picture Association of America : association interprofessionnelle américaine qui regroupe les six principaux studios hollywoodiens (Paramount Pictures, Sony Pictures, Twentieth Century Fox, Universal Pictures, Walt Disney Studios, Warner Bros.)