Repenser le temps. Tel est le thème que l’UDECAM avait choisi pour ses 8es Rencontres, organisées avec la collaboration de NPA Conseil. Dans une salle Wagram qui affichait complet, Digital Prophets échevelés (David Shing, AOL), patrons de médias (Gilles Pélisson, Pierre Lescure, Fabien Namias, Catherine Nayl, Nicolas Beytout, Jérôme Fenoglio…) ou de telcos convergents (Michel Combes), annonceurs (Accorhotel, G7, Carrefour, Meetic, PSA, Ferrero…) et patrons de groupes de communication (Maurice Lévy, Jean-Luc Chetrit, Pierre Conte…) en ont décliné l’espace d’une journée le sous texte : passage au temps réel et « dictature de l’urgence » (titre d’un essai de Gilles Finchelstein), hyper abondance, nécessité d’un double regard (réactivité totale, et construction dans le long terme de la marque, en cohérence constante avec son Why, selon l’expression de Franck Cadoret)… ou, pour simplifier la problématique : comment être assuré de conserver l’attention du public final ?
L’invention de nouveaux vecteurs de communication a constitué historiquement un premier élément de réponse. Courrier, fax, SMS, mails (avant la massification des spams)… Au gain objectif de rapidité dans la transmission s’ajoutait, dans un premier temps au moins, un effet psychologique chez le destinataire : un fax était prioritairement consulté, un SMS considéré comme porteur d’une certaine urgence, un mail prioritairement traité… Et sans doute l’Internet des Objets fera-t-il naître lui aussi de nouveaux supports.
Dans la période récente, passage au temps réel et multiplication des émetteurs nous ont fait basculer dans le bombardement perpétuel, l’hyperabondance et l’infobésité. Compte tenu de la position déterminante qu’avaient parallèlement acquise les gateway de l’audience Google et Google News, la vitesse a été (et demeure encore largement) la première réponse pour développer l’audience : être le premier à écrire sur un fait d’actualité, quitte à le faire de façon approximative, c’est être le premier à être indexé par les moteurs de recherche, donc l’assurance d’être vus.
A leurs manières presqu’opposées, Snapchat et le vénérable Times proposent deux nouvelles pistes pour capter l’attention.
Le premier met l’éphémère au centre de sa proposition de valeur : ne pas voir aujourd’hui les snap qui sont envoyés dans ma timeline, c’est le risque de ne plus pouvoir y accéder demain.
Le second a choisi au printemps dernier une logique de rendez-vous en supprimant son flux d’infos pour recoller à l’ADN de la presse et à sa logique d’éditions : quatre par jour, à minuit, 9 heures, midi et 17 heures. A défaut d’être les premiers, nous garantissons à nos lecteurs capacité d’investigation (c’est le Times, par exemple, qui a « sorti » le dossier du dopage systématique des athlètes russes ayant conduit à leur éviction des Jeux de Rio) et information vérifiée, certifiée et enrichie, expliquait lors des Rencontres son CDO Alan Hunter. Augmentation du nombre des abonnés et réduction du churn constatés par le quotidien confortent cette nouvelle approche. Et qu’il s’agisse de la ligne éditoriale défendue pour la nouvelle LCI par Catherine Nayl, du « refus de l’hystérisation de l’info » proclamé par les dirigeants de France Info, de la multiplication des sites de fact checking (le Lap d’Europe 1, le Plus de L’Obs…) ou encore de quelques initiatives de pur players (Brief.me par exemple), plusieurs signaux semblent témoigner d’un mouvement plus vaste.
Mais quelques conditions de succès viennent spontanément à l’esprit : faire du journalisme de qualité nécessite d’abord des journalistes expérimentés et en nombre suffisants. Evident mais pas forcément compatible avec l’écriture à la chaîne, prioritairement pilotée au travers d’algorithmes prédictifs de ce qui va créer le buzz telle que la pratique certains acteurs.
Savoir résister à la tentation du passage en édition spéciale et retour au direct trop systématique, ensuite (en 6 mois, le Times n’a dérogé qu’à quatre reprises à sa logique de parutions programmées (à l’occasion du décès de David Bowie, des attentats de Bruxelles, du Brexit et des Jeux Olympiques).
Maîtriser sa distribution, également, pour devenir un site de destination et sortir de la Google Actu dépendance. Lors de son intervention, Alan Hunter a insisté sur la réussite de l’application du Times (40 minutes de temps de lecture moyen en semaine, et plus d’une heure le week end) ; le journal se situe là dans un environnement (graphique, technique…) qu’il maîtrise totalement et en contact avec des lecteurs qu’il « possède ». Le développement des points de contact et des communautés sur les réseaux sociaux procèdent de la même logique.
Disposer d’une marque suffisamment forte et crédible, enfin, pour pouvoir représenter une « assurance qualité » vers laquelle on se tourne, à laquelle on se réfère. Et ce d’autant plus que le « modèle Times » n’est pas sans conséquence sur le modèle économique : frais de rédaction plus élevés d’un côté, audience forcément moindre de l’autre (avec la disparition des flux générés par la multiplication des alertes). Différenciation des tarifs publicitaires (justifiée par la qualité garantie du contexte éditorial) et/ou paiement par le lecteur final en sont alors de nécessaires éléments.
Par rapport aux purs players, et à quelques exceptions près, cette dernière remarque semble plutôt favoriser les marques médias historiques, qui ont construit sur plusieurs décennies savoir faire des équipes éditoriales et capital confiance auprès du public.
Avec, à la clé, une réflexion plus essentielle : et si la maitrise du temps était le moyen, pour les « acteurs anciens », de disrupter demain ceux qui les ont disruptés hier ?