A partir de jeudi 13 octobre, certains cinémas Gaumont-Pathé vont débuter un cycle de retransmissions de la pièce Roméo et Juliette par la Comédie Française. Ce partenariat prestigieux pour Pathé illustre le développement rapide de la diffusion du « hors film » dans les salles obscures françaises. Du théâtre à l’Opéra en passant par le sport les principaux exploitants de salle de l’Hexagone misent de plus en plus sur cette diversification.
Pathé se positionne sur tous les segments du spectacle vivant
En mai 2016, Jérôme Sey
Il ne s’agit pas d’un coup d’essai pour Pathé qui a désormais une sérieuse expérience de la diffusion de spectacle vivant en salle. En effet, le groupe par le biais de sa filiale a diffusé dès 2008 certains opéras du Metropolitan de New York dans 37 salles en France et le succès semble au rendez-vous puisque ce sont désormais 130 salles françaises qui diffusent 10 opéras par an. En outre, depuis 2009 Pathé Live est également producteur et diffuseur de ballets en partenariat avec le Bolchoï de Saint-Pétersbourg. Pathé produit et retransmet la captation des célèbres ballets russes dans 1 600 salles dans le monde. Cette expérience sera d’ailleurs mobilisé par Pathé pour son partenariat avec la Comédie Français puisque l’intégralité du projet est produit et financé par Pathé Live qui assurer la captation, la rémunération des techniciens, la promotion mais également la diffusion de la pièce.
Le positionnement des autres réseaux de salles
Si Pathé Live fait figure de pionnier de la diffusion du hors film en France, l’ensemble des grands réseaux de salle l’ont désormais imité et proposent du spectacle vivant.
Le
Toujours dans le domaine de l’opéra, depuis 8 ans, le Royal Opera House de Londres propose des captations en direct de ses représentations aux exploitants de salle. Certains exploitants français, majoritairement indépendants, diffusent ces représentations. Pour la saison 2015-2016, 35 salles en France ont proposé des opéras du ROF et une cinquantaine devrait participer à la saison 2016-2017.
Enfin, CGR, troisième 
Au-delà du seul spectacle vivant
Dans la ligne droite du spectacle vivant, les salles s’ouvrent à d’autres pans de la production culturelle. Ainsi, en France CGR diffuse depuis 2014 dans ses cinémas des contenus autour de l’art (peinture et sculpture) et notamment des visites de musées ou d’expositions majeures (Visite du musée de L’Ermitage, exposition Matisse au MoMa, exposition Leonard de Vinci à Milan..). Cette incursion dans la culture des cinémas français pourrait cependant ne pas se cantonner aux seuls arts visuels. En effet, à l’étranger, des conférences ou divers évènements scientifiques (comme les conférences TED) sont diffusés dans les cinémas. Le distributeur américain Fathom Events spécialisé dans le hors film propose ainsi un nombre croissant de ces contenus. Il est donc probable que cette tendance atteigne prochainement la France, d’autant plus que la tendance est à la transformation des cinémas en « lieux de culture et de savoir ».
Mais 
Enfin, la culture numérique s’immisce aussi sur grand écran. C’est l’e-sport qui a bénéficié en premier d’une diffusion avec la projection en direct dans 35 cinéma en octobre 2015 d’une compétition de League of Legend. Plus récemment, en septembre 2016, certains cinémas Mk2 ont organisé un évènement nommé Pop Corner qui a permis à des YouTubeurs de diffuser en avant-premières certaines de leurs vidéos.
Le hors film un enjeu pour l’ensemble de la filière
Ce développement du marché du hors film s’explique par l’intérêt convergent des différents acteurs de la filière cinématographique à se diversifier.
Pour les exploitants de salle, l’ensemble hors film constitue un bon moyen d’augmenter le taux moyen d’occupation des salles qui demeure encore faible en France (15%). En effet, le hors film est souvent diffusé à des créneaux de faible affluence afin de les dynamiser grâce à la portée événementiel que peut apporter le spectacle vivant. Les rediffusions en différé permettent notamment des programmations en après-midi pour un public de retraités mais également le matin pour les enfants (scolaire et public familial). Le hors film vise également à faire venir dans les salles un public non habitué ou déshabitué comme par exemple les passionnés d’e-sport ou de YouTubeurs peu habitué à la salle de cinéma ou inversement les retraités passionnés de théâtre qui ne vont plus dans les salles. Pour Pathé, les diffusions en direct d’opéra ont attiré en 2015 en moyenne 22 000 spectateurs en France par représentation dans ses salles[5]. Pour CGR, les audiences sont très variables avec, par exemple, en décembre 2015, 8 000 spectateurs pour la pièce de théâtre Le Tombeur de Michel Leeb et 15 000 spectateurs pour un concert de Vincent Niclos. Plus globalement, l’entrée du hors film dans les salles s’inscrit également dans la transformation progressive des multiplexes en lieu de vie où les spectateurs vont désormais également pour faire d’autres activités : shopping et restauration aujourd’hui, expositions et conférences peut-être demain.
Le hors film peut constituer un relais de croissance du chiffre d’affaire important pour les exploitants et les distributeurs, d’autant plus qu’au-delà d’un regain d’audience, le hors film affiche des tarifs supérieurs à une séance de cinéma classique (entre 19 et 35 euros pour de l’opéra ou du théâtre en France). Ainsi, par exemple, aux Etats-Unis, Cinemark, chaîne de salles en pointe sur le hors film, a réalisé 1% de son chiffre d’affaires avec le hors film en 2015 et le groupe espère atteindre 5% d’ici cinq ans. En France, le hors film représente une part similaire de l’activité d’exploitant des principaux groupes. En 2015, Pathé Live a généré un chiffre d’affaire de 7,34 millions d’euros contre 710 millions pour l’activité cinémas du groupe Pathé[6] soit un peu moins de 1% de l’activité d’exploitant de salle de Pathé[7]. Pour le groupe CGR, la part du hors film est légèrement plus élevé avec un chiffre d’affaires de 2,05 millions d’euros pour CGR Events en 2015 contre 180 millions[8] pour l’ensemble du groupe soit 1,1%.
Mais l’intérêt de ces partenariats est mutuel, et les créateurs de contenus bénéficient largement de la diffusion en salle tant d’un point de vue financier que de notoriété. En effet, la diffusion dans les cinémas ouvre un nouveau guichet de revenus au-delà des relais classiques notamment pour le spectacle vivant (entrées, mécénat, financement public…) voir même une forme de co-financement. La diffusion de ses spectacles en salle rapporterait ainsi 10 millions de dollars par an au MET, chaque captation coûtant en moyenne 1 millions de dollars et générant 2 millions de dollars de recettes. Dans le cas du partenariat Pathé-Comédie Française, la célèbre compagnie parisienne n’investit pas dans les frais de retransmission et de captation mais touchera un intéressement aux recettes. En outre, la diffusion en salle permet aux créateurs de toucher un public au-delà de leur zone géographique habituelle et donc d’une part de gagner en notoriété mais aussi d’accomplir leur mission de diffusion de la culture au plus grand-nombre. Pour Eric Ruf, l’administrateur général de la Comédie-Française, le partenariat avec Pathé devrait permettre à son institution de « toucher un autre public, qu’on ne touche pas par ailleurs » car « Pathé a des salles dans des régions où nous n’allons pas en tournée ». Chaque institution veille cependant à ce que les diffusions au cinéma s’articulent bien avec leur stratégie de diffusion. Ainsi, dans le cadre de son partenariat avec Pathé, l’Opéra de Paris ne met pas à disposition l’intégralité de sa programmation mais conserve également certains opéras pour une diffusion télévisée (Arte) et d’autres en exclusivités pour son public parisien.
[1] Filiale spécialisé dans la diffusion de spectacle vivant du groupe Les Cinémas Gaumont-Pathé
[2] Des salles du réseau Pathé-Gaumont mais également des salles indépendantes.
[3] Quelques salles de pays européens non-francophones diffuseront également la pièce en français
[4] All’Opéra est un projet porté par les plus prestigieuses salles italiennes et produit par la RAI. La Rai assure la captation et la retransmission d’une dizaine de spectacles par an (opéras et ballets) issus de la programmation de la Scalla de Milan, du Théâtre de Turin, de l’Opéra de Florence et du Théâtre de l’Opéra de Rome.
[5] Avec son activité de distribution internationale de contenus hors films Pathé Live a attiré plus d’un million de spectateurs dans les salles dans le monde. Avec un record de 145 000 entrées pour la représentation du Lac des Cygnes au Bolchoï
[6] Ce chiffre représente les résultats de l’activité d’exploitation de salle de cinéma Pathé en France, en Belgique, aux Pays-Bas et en Suisse et non pas le chiffre d’affaires total du groupe qui s’élève à 855 millions en incluant les activités de production et distribution de films.
[7] Source : Pathé et Société.com
[8] Chiffre 2014
