« Les Français plus accros au Web qu’à la TV ». Ce titre aux allures de tremblement de terre, emprunté au Figaro de ce mercredi 23 novembre, commente une étude rendue du cabinet eMarketer selon laquelle le temps quotidien consacré aux « activités numériques » atteindra 3 heures 58 en 2017, supplantant ainsi celui alloué à la télévision (3 h 51).
Par « activités numériques », Le Figaro précise que « eMarketer entend toutes les activités liées à un ordinateur fixe ou portable, à un smartphone (appels exclus) ou à une tablette, (que) le temps passé à envoyer des SMS, à consulter des photos, jeux, vidéos ou ebooks est en revanche inclus, même s’il ne nécessite pas une connexion Internet » et « qu’une heure passée (en multitasking) à regarder la télévision tout en accomplissant une autre tâche sera décomptée comme une heure accordée à chacune de ces activités respectives ». L’information s’en trouve quelque peu nuancée et elle poussera surtout responsable des antennes et publicitaires à accélérer les stratégies d’activation coordonnée des différents écrans.
La dernière vague de la « 126 000 » de Médiamétrie, publiés le 18 novembre et qui rendent compte de l’audience de la radio en septembre-octobre, apportent un éclairage plus tangible concernant l’impact de la transformation des usages sur l’autre grand média audiovisuel : en moins de 15 ans (septembre 2002-juin 2003 à septembre-octobre 2016), la part des Français de plus de 13 ans qui écoutent la radio un jour donné a perdu près de 6 points (85,2% à 79,7%). Le recul est sensiblement plus fort chez les plus jeunes : -10,7 points pour les 25-34 ans (de 88,6% à 77,9%), et même -18,9 points chez les 13-24 ans (de 90,7% à 71,8%).
Et, sans surprise, il culmine sur les musicales, qui perdent près de 25 points sur cette population (de 78,1% à 54,1% ; -8,3% chez les 25-34 ans et -6,9% sur l’ensemble de la population). Les plus jeunes désertent même les programmes de « libre antenne » qui avaient autrefois valeur de rendez-vous culte : alors qu’un « 13-24 » sur trois en appréciait la tonalité souvent transgressive en 2002-2003 (34,4%), ils sont moins d’un sur sept aujourd’hui (13,4%) à rester fidèles à Cauet, au Doc ou à Difool.
Last but not least, les données relevées par Médiamétrie ne marquent aucune inflexion : la perte des musicales sur les 13-24 ans a par exemple été de 922 000 auditeurs en 4 ans… dont 595 000 depuis Janvier-mars 2016 sur l’ensemble de la journée.
Attribuer aux « activités numériques » la responsabilité de cette évolution apparaît évident, pour partie au moins. Trois dates apparaissent ainsi comme autant de pierres noires pour la radio, et particulièrement les réseaux musicaux :
- Le 31 mars 2005: alors que l’accès aux chaînes de télévision spécialisées était jusque-là réservé aux abonnés aux offres payantes du câble ou du satellite (un quart des Français environ), la TNT met deux antennes majoritairement dédiées à la musique (Europe 2 TV, devenue C Star, et W9) à portée de toute télécommande ;
- Le 7 octobre 2008: le lancement de Spotify annonce la vague des services de streaming avec, 8 ans plus tard, une concurrence suffisamment aigue (Deezer, Rhapsody, le nouveau Napster, Tidal…) pour que les offres se soient très sensiblement enrichies (éditorialisation des playlist, lancements en exclusivité…), jusqu’à se rapprocher de celui des FM thématiques. Si l’on ajoute la consommation croissante de vidéoclips sur les plateformes de vidéo numériques et l’arrivée de Vevo fin 2009, la radio a du faire face à l’hyper distribution de ce qui constituait l’un de ses contenus phares.
- Le 29 juin 2007: Steve Jobs présente le premier iPhone… et la radio perd l’avantage-clé que lui avaient conféré transistor et autoradio : celui d’être LE média de la mobilité.
Alourdissement des quotas de programmation de chansons francophones (jusqu’au dernier épisode, dans le cadre de la loi Création), alourdissement des dispositions applicables à la diffusion de publicité (avec, en particulier, l’accumulation de mentions obligatoires irritantes pour l’auditeur et nuisibles à l’efficacité du message), obstination à lancer une RNT qui duplique le format traditionnel plutôt qu’accompagnement du média dans sa réinvention… Dire que les pouvoirs publics n’ont pas aidé la radio à gérer cet environnement complexe est un euphémisme.
Et les éditeurs eux-mêmes ?
Trois pistes, au moins, peuvent être proposées pour partir à la reconquête, qui ramènent toutes au renforcement de leur ancrage numérique.
- Aller chercher le public jeune dans les espaces qu’ils fréquentent. Concerts ou festivals dont les antennes sont des partenaires de longue date, bien sûr, mais aussi environnement digitaux. Si NRJ cumule plus de 7 millions d’abonnés sur Facebook, Twitter, Instagram, YouTube et DailyMotion, Fun Radio, Skyrock ou Virgin Radio ne dépassent guère les 2,5 millions… et aucune ne figure sur Snapchat parmi les partenaires du Discover français.
- Retravailler les mécaniques d’interactivité, de façon à créer de réelles passerelles entre antennes et réseaux sociaux, dépassant la seule citation de message à l’antenne.
- Et bâtir au-delà une véritable offre globale de contenus et services, intégrant antenne, sites, applis et réseaux sociaux, permettant aux acteurs de la radio de retrouver un avantage concurrentiel sur le terrain de la proximité.