La question est légitime au vu de la proposition de loi déposée par l’élu des Hauts-de-Seine André Gattolin, qui pourrait aboutir à la disparition de la publicité au sein (et aux alentours) des programmes jeunesse de France Télévisions. Et précipiter dans la crise par un effet boule de neige la production française de dessins animés.
Longtemps considérée comme un havre de prospérité et de compétitivité, cette dernière avait déjà vu son ciel progressivement s’obscurcir : financement en recul de 30 M€ en 5 ans (217,3 M€ en 2011 ; 180,0 M€ en 2015) et diminution de 70 heures du nombre d’heures produites (de 355 à 285 heures) ; réduction de près de 450 heures par an du volume de diffusion sur les chaînes historiques (de 3 850 à 3 416), que les renégociations en cours des conventions de TF1 et M6 pourraient amplifier…
Ce contexte rend d’autant plus essentiel le partenariat de longue date qui lie l’animation à France Télévisions. En 2015, les 20 M€ investis par le groupe représentent plus de 60% des apports des chaînes de télévision gratuite. Et l’accord qu’il a signé au printemps 2014 avec le syndicat représentant les producteurs, le SPFA, garantit « 4000 heures de diffusion de productions françaises d’animation sur les chaînes du groupe, notamment sur France 4, contre 2100 heures dans l’accord précédent ».
Las. Les ardeurs publiphobes du sénateur Gattolin, si elles sont suivies par le Parlement, pourraient conduire France Télévisions à réviser drastiquement ces engagements : au terme de la proposition de loi n°656, « les programmes des (chaînes de France Télévisions) destinés prioritairement aux enfants de moins de douze ans ne (devraient pas comporter » de messages publicitaires autres que des messages génériques pour des biens ou services relatifs à la santé et au développement des enfants ou des campagnes d’intérêt général. Cette restriction (s’appliquerait) durant la diffusion de ces programmes ainsi que pendant un délai de quinze minutes avant et après cette diffusion (et également) à tous les messages diffusés sur les sites internet de (ces mêmes chaînes) qui proposent des programmes prioritairement destinés aux enfants de moins de douze ans ».
Le texte, s’il était adopté, pourrait priver France Télévisions d’une vingtaine de millions d’euro de chiffre d’affaires (sur un total de la publicité dans les programmes jeunesse estimé à 100 M€, toutes chaînes confondues). Les annonceurs pour lesquels cette cible est stratégique (les industriels du jouet notamment, sachant que trois quarts des dépenses sont réalisées à l’approche de Noël) n’auraient alors d’autre choix que de se reporter vers les chaînes privées – avec un encombrement des espaces qui ne manquerait sans doute pas de se répercuter sur les prix – ou vers les plateformes numériques.
Pas de quoi contribuer à rééquilibrer le partage de la valeur publicitaire entre ces dernières et les chaînes.
Un effondrement presqu’assuré de la production française d’animation faute, pour France Télévisions, de pouvoir maintenir son niveau d’investissement.
Et finalement l’obligation pour les chaînes publiques, comme pour les éditeurs privés qui acquièrent des droits de rediffusion des productions qu’elles ont financé, de remplir leurs obligations de diffusion en piochant dans les catalogues de dessins animés anciens, étrangers notamment.
Le texte reviendra en discussion au Sénat dès ce mercredi en Commission, puis le 7 décembre en séance publique.
Vous avez dit manga ?