Il n’y aura pas de réforme du parrainage sous le sapin de Noël des chaînes de télévision. La mesure est pourtant attendue depuis plus de trois ans. Elle a été successivement évoquée, voire promise, par trois ministres de la Culture (Aurélie Filippetti, Fleur Pellerin et Audrey Azoulay), a été « bordée » techniquement par deux consultations publiques, ne crée aucune polémique et pourrait générer une cinquantaine de millions d’euros de recettes pour les chaînes de télévision, donc également au bénéfice de la création. La modification du décret sur la publicité du 23 mars 1992 (deux membres de phrases à retoucher ayant pour seule conséquence de pouvoir faire apparaître à l’écran les produits du parrain) ne devrait pourtant pas intervenir avant la fin de l’année, et chaînes comme régies devront aborder 2017 sans pouvoir se prévaloir de cet assouplissement.
Ce – nouveau – retard ne donne que plus de poids au « Bilan financier de l’année 2015 des chaînes nationales gratuites » publié le 2 décembre par le CSA et par son président Olivier Schrameck. Le rapport ne compte que 20 pages, et il est rédigé dans une langue sobre. Mais les dynamiques qu’il met en lumière résonnent de façon alarmante, et constituent un document à – lourde – charge pour ceux qui ont administré le PAF (Paysage audiovisuel français) et en ont dessiné le cadre. Gouvernement, Parlement et régulateur.
- Le CSA relève d’abord que le « chiffre d’affaires (des chaînes de télévision gratuite a été) stable depuis trois ans »… En euros courants. Compte tenu de l’inflation – même faible – intervenue dans l’intervalle, le secteur s’inscrit donc dans le rouge en termes d’évolution de son pouvoir d’achat. Et les résultats sont plus inquiétants encore si on élargit la perspective, s’agissant notamment des recettes de publicité de la télévision : elles s’élevaient en 2015 à 3,242 Mds€ d’après l’IREP ; elles étaient 10 ans plus tôt de 3,495 Mds€, soit une baisse de plus de 7%.
- Le CSA note aussi que « le groupe France Télévisions enregistre en 2015 une légère baisse de son chiffre d’affaires (-1 % soit – 22 M€) due en partie à la baisse modérée des ressources publiques qui lui ont été allouées pour l’exercice 2015 (- 4,5 M€)». Logique, estimeront les tenants d’une gestion « à la dure » voire d’un redimensionnement drastique de l’audiovisuel public.
Mais recettes publiques comme chiffre d’affaires publicitaires, les évolutions de ces dernières années sont à lire au regard du bouleversement – à peu près sans équivalent – auquel a été confronté le secteur audiovisuel au cours des dix dernières années : par le jeu du lancement de la TNT en mars 2005, et de l’arrivée de 6 nouvelles chaînes de TNT en 2012, on y compte aujourd’hui cinq fois plus de compétiteurs, sans même évoquer la montée en puissance des nouvelles formes de vidéo numérique qui attirent une part croissante des usages comme du financement (selon les chiffres du SRI, le chiffre d’affaires de la vidéo en ligne est passé de 67 à 309 M€ entre 2011 et 2015, soit un facteur 4,6).
Et le phénomène de vase communicant ou, autrement dit, de captation des recettes par le dernier arrivant est sans doute l’élément le plus inquiétant dans le document du CSA : après que les chaînes historiques ont eu à subir l’impact de la montée en puissance des « TNT de 2005 », ces dernières ont pris de plein fouet l’arrivée de la « vague » 2012. Résultat ? Le CSA pointe « une baisse depuis 2006 de 25 % du chiffre d’affaires de TF1 et de 3 % de celui de M6 », et, sur la période récente, « la croissance encore très dynamique du chiffre d’affaires (+ 44 %) et des recettes publicitaires (+ 51 %) des chaînes de la TNT 2012, là où le chiffre d’affaires des chaînes de la TNT 2005 est quasiment stable (+ 14,1 M€ soit + 2 %).
A l’arrivée, « Le résultat d’exploitation de l’ensemble des chaînes gratuites de la TNT reste négatif en 2015 en raison du déficit opérationnel toujours important des chaînes du groupe France Télévisions (- 60,1 M€) (et) « alors qu’elles affichaient pour la première fois en 2011, un résultat d’exploitation légèrement positif (4,6 M€), les chaînes TNT 2005 prises globalement enregistrent depuis des pertes plus lourdes en 2015 qu’en 2014 ». Au global, les chaînes gratuites françaises ont affiché près de 100 M€ de pertes d’exploitation en 2014/2015.
Lors des prochains festivals ou autres occasions de prise de parole, ne doutons pas que ces chiffres n’empêcheront pas les responsables publics de dire leur attachement à la création française, à son développement, et à la bonne santé de ses acteurs.
Ceux-ci pourraient alors pointer :
- La nonchalance administrative qui aura par exemple fait prendre trois années de retard à l’aménagement du décret sur le parrainage évoquée plus haut ou, à l’inverse, le volontarisme avec lequel le précédent président du CSA a poussé au lancement des nouvelles chaînes de la TNT, quand celles lancées en 2005 étaient loin d’avoir trouvé leur équilibre économique.
- L’inconséquence avec laquelle, depuis 2012, le gouvernement répète année après année, au printemps, tout le bien qu’il pense d’une réforme permettant d’étendre le périmètre de redevance aux détenteurs d’ordinateurs, smartphones ou tablettes… pour finalement y renoncer une fois l’automne venu. Les Allemands, notamment, l’ont fait, et la baisse régulière du nombre de foyers qui possèdent un téléviseur (6,1% s’en passent désormais selon le CSA) donne la mesure du prix de cette non-décision.
- La démagogie, qui a conduit la rapporteure générale du budget Valérie Rabault et ses collègues députés à réduire d’un euro l’augmentation prévue de la redevance en 2017. Véritable mesure en faveur du pouvoir d’achat qui fera gagner à chaque Français 1/365e d’euro par jour.
- L’incapacité, surtout, à développer une pensée globale sur l’organisation du secteur audiovisuel français, la place et la mission que doit y remplir le service public, ou la façon de permettre effectivement le développement de champions nationaux capables de résister à la concurrence des leaders mondiaux.
Sans attente excessive au vu des précédentes échéances, on pourrait espérer que les experts des médias et du numérique qui entoureront les candidats à la prochaine élection présidentielle qu’ils fassent enfin aboutir cette réflexion.
On peut espérer aussi que les sénateurs n’allongeront pas ce mercredi la liste des griefs que les professionnels sont en droit d’instruire à l’encontre des responsables publics : on évoquait il y a une semaine la façon dont le sénateur écologiste Gattolin avait entrepris de supprimer toute publicité dans les programmes de France Télévisions destinés aux moins de 12 ans ? Ses collègues communistes Patrick Abate, Brigitte Gonthier-Maurin, Pierre Laurent et Christine Prunaud proposent de quintupler la mise à l’occasion du débat en séance publique programmée ce mercredi 7 décembre dans la soirée : leur amendement vise à étendre cette prohibition aux chaînes privées… et de porter ainsi la perte de recettes pour les chaînes de 20 à 100 M€.