Alors que YouTube Kids a été lancé il y a quelques semaines seulement, Google poursuit le développement de son offre avec une application YouTube Gaming pour la France, une nouvelle déclinaison de son service de vidéo, spécialisée cette fois dans le jeu vidéo. Ce nouveau service centralise désormais les contenus liés au jeu vidéo et mise sur le live pour reconquérir la communauté des joueurs. Car si la plate-forme YouTube compte des millions de vues par jour autour du gaming, elle est distancée pour le direct par Twitch qui a su mieux profiter de l’explosion du secteur.
YouTube Gaming France, un service dédié aux joueurs
YouTube Gaming, sur le modèle de YouTube Kids[1], est une version spécialisée de YouTube qui propose une interface spécifique et seulement des contenus liés au jeu-vidéo. Le service a été lancé par Google en août 2015 dans le monde entier pour sa version accessible sur un navigateur web mais en anglais seulement et également sous forme d’application aux Etats-Unis et au Royaume-Uni. Après un peu plus d’un an Google a lancé l’application iOS et Android en France ce qui permet aux utilisateurs regarder des contenus en mobilité en bonne condition mais également de diffuser en direct leurs parties de jeux mobiles. Le lancement de l’application est stratégique pour le groupe car les terminaux mobiles représenteraient selon Google plus de la moitié de la consommation dans les pays où l’application est disponible. Le service web est désormais également disponible en français.
La promesse de YouTube Gaming est de proposer aux joueurs une plate-forme entièrement adaptée et pensée pour leur passion. Ainsi, le service dispose d’un catalogue entièrement tourné vers le jeu puisque l’algorithme du service utilise les tags appliqués par les créateurs de vidéo pour identifier les contenus et chaînes liés au jeu vidéo. Par conséquent, l’utilisateur se voit proposer en page d’accueil des recommandations de vidéo de gaming et le moteur de recherche est limité aux contenus et créateurs spécialisés dans le gaming. En outre, à la différence de la version classique de YouTube, le service permet une entrée par jeux. Ainsi, lors du lancement de l’application, l’utilisateur se voit proposer une présélection de jeux qui pourraient l’intéresser (en fonction de son historique) et il a la possibilité d’en ajouter d’autres afin que sa page d’accueil soit personnalisée. Le service propose un catalogue de 25 000 références de jeux.
Le principal apport de YouTube Gaming est de placer le live au centre de son dispositif. Ainsi contrairement à la version classique le service propose dès la page d’accueil une entrée par le direct qui propose des recommandations de diffusion en direct réalisées par des YouTubeurs. En outre, l’entrée par jeux permet d’afficher les diffusions en direct en priorité par rapport aux vidéos classiques. L’offre est d’ailleurs déjà importante puisque des vidéos en direct sont disponibles pour une grande partie des jeux et les plus populaires d’entre eux proposent en journée plusieurs dizaine de live-stream. Il est cependant important de noter qu’on trouve différents types de contenus avec d’une part des parties multi-joueurs pratiqués par des joueurs de bon niveau s’apparentant à de l’e-sport mais aussi des « live play » plus simples de joueurs qui diffusent leur partie en direct sans aspect particulièrement compétitif. En fonction du calendrier, certaines compétitions officielles d’e-sport peuvent être diffusées sur le service. YouTube veille particulièrement à la centralisation des directs sur sa plate-forme spécialisée puisque tous les créateurs souhaitant diffuser en direct des contenus liés aux jeux sont automatiquement redirigés vers YouTube Gaming.
Dans l’ombre de Twitch
Avec YouTube Gaming, YouTube espère reconquérir la communauté des joueurs qui s’est progressivement tournée vers Twitch en particulier pour le direct. Le jeu vidéo est une thématique stratégique pour YouTube puisque ses passionnés regardent selon Google un plus grand nombre de vidéo que les autres. Au 5 décembre, les chaînes française spécialisées dans le jeu vidéo représentaient 24% des abonnés à une chaîne YouTube française et avaient généré 18% de l’audience totale des chaînes françaises au cours des 30 derniers jours[2]. Le gaming est donc un pan majeur de la consommation de contenus sur YouTube. Pourtant, si YouTube continue de représenter une part importante de la consommation des gamers pour les vidéos « en différé » le service n’a pas réussi à prendre le tournant du direct alors que la pratique explose.
Alors que YouTube était il y a encore 5 ans la plateforme incontournable des gamers, le service vidéo a largement été dépassé par Twitch qui a su proposer un environnement capable de séduire diffuseurs et spectateurs au point de devenir incontournable. Lancé en juin 2011, comme un dérivé de Justin.TV, Twitch proposait au départ un service de streaming en direct généraliste. La qualité du service a attiré rapidement un grand nombre de gamers souhaitant diffuser en direct leurs parties au point que le service a rapidement abandonné sa dimension généraliste. Cette spécialisation a permis à la plateforme d’innover en ajoutant fonctionnalités et services dédiés aux joueurs : système de donation, programme de partenariats avec les diffuseurs ou encore compatibilité avec les principales plateformes de jeux pour le live-stream (Xbox, Playsation et Steam). Le succès a été phénoménal chez les joueurs et Twitch attirait 43 millions de visiteurs uniques mensuels moins de deux ans après son lancement. Racheté par Amazon en 2014 pour un milliard de dollar au grand dam de Google[3], le service a poursuivi sa progression et a profité du lancement de YouTube Gaming à l’été 2015 pour afficher sa puissance : 38 millions d’applications mobiles actives, 1,5 millions de diffuseurs, 100 millions de spectateurs mensuels qui regardaient en moyenne 106 minute de vidéo par jour[4]. En France, Twitch compterait 500 000 utilisateurs mensuels pour une durée moyenne de consommation de 1h15 par jour. Selon l’institut spécialisé SuperData Research, en juillet 2015, Twitch captait 45% des revenus générés par les contenus autour des jeux vidéo (environ 4 milliards de dollars) contre seulement 35% pour YouTube.
Malgré ce succès, Twitch a pris l’arrivée de YouTube Gaming avec sérieux et a poursuivi ses efforts d’amélioration du service. Depuis septembre 2015, la plateforme organise notamment une conférence annuelle, la TwitchCon, où elle présente innovations, contenus et partenariats. C’est dans ce domaine que le service multiplie les efforts et il affiche un nombre impressionnant de nouveaux accords avec constructeurs (Alien Ware…), éditeurs (Activision…) ou organisateurs de compétitions d’e-sport (ESL…). Dans le domaine de l’e-sport le service affiche de très bons résultats avec des pics de consommation en direct lors des plus importants évènements comme la finale du jeu DOTA de l’ESL de Cologne qui avait attiré 2 millions de spectateur. Twitch a également des partenariats avec certaines équipes professionnelles et avec certaines marques médias spécialisées (Millenium ou Gaming Live en France) qui deviennent de véritables chaînes éditorialisées avec des contenus en direct en quasi-permanence. Enfin, le service vient de dévoiler Twitch Prime, un service premium offrant de nombreux avantages (jeux gratuits, chaînes premiums offertes et absence de publicité) et visant à fidéliser les joueurs les plus passionnés. Ce nouvel abonnement est par ailleurs inclus désormais aux Etats-Unis dans l’abonnement Amazon Prime.
Si YouTube n’a pas encore publié de chiffres officiels pour son service Gaming, Twitch semble toujours en avance en enregistrant une audience en direct bien supérieure pour la majorité des jeux, même à des heures de faible audience aux Etats-Unis. Ainsi, il a été constaté lors de la rédaction de cet article que pour les jeux les plus populaires, YouTube Gaming attirait parfois une audience 20 fois inférieure à celle de Twitch. Néanmoins, YouTube Gaming peut espérer se développer à l’extérieur des Etats-Unis puisque Twitch réaliserait 75% de son audience sur ce territoire laissant ainsi sans doute plus d’espace à YouTube à l’international.
Haro sur l’e-sport
YouTube Gaming ne sera pas seulement concurrencé par le leader Twitch mais également par un grand nombre de nouveaux entrants désireux de se faire une place sur le marché en pleine expansion de l’e-sport. Ainsi, Microsoft s’est lancé cet été dans la compétition en rachetant Beam un spécialiste du Live-stream de jeu réputé pour un frame-rate de diffusion en direct supérieur à celui de ses concurrents. Pour l’instant le service ne compte que 100 000 utilisateurs actifs mais grâce à son intégration dans les plates-formes Microsoft il pourra s’appuyer sur l’important parc de consoles et PC du groupe. Facebook essaye également de prendre pied sur l’e-sport et a annoncé en mai un partenariat avec l’éditeur Activision-Blizzard en vue de diffuser certaines compétitions en direct sur Facebook Live.
Les géants du Web ne sont en outre pas les seuls à s’intéresser à la diffusion de jeu vidéo et un nombre croissant d’acteurs traditionnels des médias ont franchi le pas. En France, l’Equipe 21 a fait figure de pionnière en diffusant dès janvier 2016 une compétition du jeu FIFA[5]. En octobre c’est le groupe Vivendi qui a annoncé un partenariat avec l’ESL, leader mondial de l’organisation de compétitions d’e-sport, qui devrait se concrétiser par le lancement du « Canal eSport Club » une émission hebdomadaire sur les compétitions de jeux vidéo. beIN a répliqué en lançant début décembre « beIN eSports» une nouvelle émission là-aussi consacré à l’e-sport et qui fera la part belle à l’équipe du « Paris Saint-Germain eSports » mais aussi à la E-Ligue 1 (FIFA) nouvelle compétition créée par la LFP et retransmis en partenariat avec Webedia.
[1] YouTube Kids est une version de YouTube spécialement dédiés aux enfants avec des contenus et une interface adaptés. Pour plus de renseignements, se ré
[2] NPA Conseil sur données WizTracker. Ne sont prises en compte ici que les chaînes déclarés par leurs administrateurs comme françaises et liées à la thématique jeux vidéo de YouTube.
[3] Google s’était positionné pour racheter le service mais contre toute attente Twitch a préféré l’offre d’Amazon. Ce revers a obligé Google à développer sa technologie et sa plateforme en interne pour créer YouTube Gaming.
[4] Twitch est relativement avare de ses données et n’a pas publié de chiffres aussi détaillé depuis lors. En France
[5] Pour plus d’informations se reporter au Flash n°781 : L’e-sport s’étend au-delà de la communauté des joueurs