Alors que la convergence entre réseaux fixes et mobiles bien sûr mais également entre réseaux et contenus est devenu un leitmotiv chez les grands opérateurs européens, le géant des télécommunications Vodafone crée la surprise en renonçant au Royaume-Uni à proposer à ses abonnés une offre de télévision payante. Vodafone propose pourtant des offres 3P et 4P sur les autres principaux marchés européens, à commencer par l’Allemagne, l’Espagne ou l’Italie. La décision est directement liée à une situation déjà extrêmement concurrentielle sur son marché domestique britannique qui le conduit à recentrer son message sur la qualité et la performance de ses réseaux.
• Un géant des télécommunications qui fait face à des situations contrastées
L’annonce de la mise en sommeil des projets de TV payante au Royaume-Uni a été faite par le PDG de Vodafone, Vittorio Colao lors de la présentation des derniers résultats du groupe pour le troisième trimestre 2016. Globalement, Vodafone a déçu les marchés avec une croissance de ses revenus révisée à la baisse par rapport aux prévisions (+3.3% contre les +6% initialement prévu).
Des résultats décevants en raison de deux marchés problématiques, l’Inde et le Royaume-Uni. Vodafone distingue deux zones géographiques dans ses comptes : l’Europe et la zone AMAP (Africa, Middle East & Asia Pacific). Pour la zone AMAP, la croissance des résultats en Afrique du Sud et en Turquie n’a pas suffi à compenser les difficultés en Inde, où le marché des télécommunications est bouleversé par le lancement de nouvelles offres de téléphonie mobile très bon marché (Reliance Jio). Vodafone a d’ailleurs entamé des discussions avec le groupe Aditya Birla pour fusionner les activités de Vodafone Inde et de l’opérateur Idea.
En Europe la situation est également contrastée. Les revenus sont en baisse de 4,6%. Si les opérations complexes aux Pays-Bas avec la cession de plusieurs activités pour respecter les règles de la concurrence imposées suite au rapprochement avec Liberty Media (création d’une joint-venture Vodafone – Ziggo) peuvent en partie expliquer cette contre-performance, c’est la situation britannique qui est la plus inquiétante. De fait, le chiffre d’affaires global est en baisse de 19% . Le groupe pointe comme explication la perte de certains contrats avec les MVNO ainsi qu’une situation plus concurrentielle sur le segment professionnel. Il n’en reste pas moins que la situation est compliquée du côté des particuliers avec des recrutements atones dans la téléphonie mobile et l’internet fixe. Pour la téléphonie mobile, Vodafone a même perdu 125 000 clients, les 99 000 recrutements du trimestre ne suffisant pas à compenser les opérations de nettoyage des vieux contrats inactifs. Sur l’internet fixe, Vodafone n’a recruté que 32 000 nouveaux clients, portant ainsi son parc total d’abonnés (particuliers) à 129 000 seulement, loin, très loin, de ses concurrents, BT et ses 9,3 millions de clients sur le fixe et Sky avec 6,1 millions d’abonnés Broadband. Le retard pris semble insurmontable en l’état.
Le marché domestique de Vodafone contraste avec les autres marchés européens, stable en Allemagne mais en croissance en Espagne et en Italie où le groupe est porté par ses offres convergentes 3P et 4P.
• Le pari risqué de la non convergence au Royaume-Uni
Un des paradoxes de Vodafone réside donc dans le retard pris sur son marché historique sur les offres convergentes. Alors que des offres 3P, 4P et même 5P sont désormais placées au cœur de son développement marketing et commercial en Europe, le groupe reste dépendant de la téléphonie mobile au Royaume-Uni. Une situation d’autant plus étonnante que la convergence entre réseaux fixes et mobiles est au centre de la stratégie de fusion acquisition développée par Vittorio Colao depuis le début de la décennie. Le PDG a en effet multiplié les acquisitions de réseaux fixes : Cable & Wireless au Royaume-Uni, Kabel Deutschland en Allemagne, Ono en Espagne et plus récemment Ziggo (Liberty Media) aux Pays-Bas via une joint-venture Vodafone- Ziggo.
Mais, si l’offensive s’est avérée payante en Europe, elle est intervenue trop tardivement au Royaume-Uni. Alors que les opérateurs de réseaux fixes BT et Sky Broadband se sont développés dans le mobile, respectivement en rachetant l’opérateur leader EE ou en se transformant en MVNO via les réseaux de O2 (Telefonica), Vodafone a lui commis l’erreur historique de ne pas capitaliser immédiatement sur le rachat de Cable & Wireless en 2012. De fait, il a fallu attendre plus de trois années pour le lancement des premières offres commerciales « Vodafone Connect » à la fin 2015. Un temps qui a certes été passé à investir massivement pour moderniser les infrastructures fibre, mais qui se traduit aujourd’hui par un nombre d’abonnés fixe dérisoire (183 000 foyers !). Pendant cette période, le Triple Play s’est pourtant démocratisé au Royaume-Uni, sans que Vodafone puisse en profiter. La convergence a été portée par le 3P comprenant voix sur IP, haut débit fixe et télévision payante, essentiellement dynamisée par la stratégie de BT d’investir massivement dans les contenus sportifs premium, pour commercialiser de manière couplée la TV avec la ligne fixe à haut et très haut débit. Ainsi, au cours de la dernière décennie, la proportion de ménages britanniques qui souscrivent à une offre 3P est passée de 3% à 28% (2005 – 2016, chiffre de l’Ofcom).
L’acquisition de l’opérateur mobile EE par BT ainsi que la stratégie MVNO de Sky laisse prévoir que c’est désormais la croissance du 4P qui tirera dans les années à venir le marché britannique (2% seulement des foyers britanniques en 2016 selon l’Ofcom). Dans ces conditions, la décision de Vodafone de ne pas développer d’offre de TV payante peut s’avérer surprenante. Certes, selon les mots de Vittorio Colao lui-même, il ne s’agit que d’une mise entre parenthèse du projet puisque le service « pourrait être lancée dans un délai de quelques semaines seulement si la TV devenait subitement essentielle ». Il est vrai que le projet est ancien puisque Vodafone en parle depuis 2014 et avait même fixé un calendrier pour un lancement courant 2015, repoussé ensuite à fin 2016. Une box internet basée sur du middleware de Kaltura (qui développe également les plates-formes TV du groupe en Allemagne et Italie) était même en cours de développement. Car en 2014, une offre TV était encore considérée comme un relais de croissance pour compenser des revenus en baisse dans la téléphonie mobile. Colao avait même suggéré que Vodafone pourrait un jour – dans le « très long terme » – se positionner sur l’acquisition de droits premiums à commencer par ceux de la Premier League de football. Las, le projet n’a jamais vu le jour faute de modèle économique satisfaisant. Car le coût de la distribution des chaînes payantes, à commencer par les chaînes sportives de BT avec qui les négociations étaient pourtant avancées, ne peut être amorti avec une base de clients aussi restreinte que celle de Vodafone sur le fixe. Une base de 129 000 clients n’est pas suffisamment solide pour construire une plate-forme de télévision payante.
Avec l’abandon du projet TV, le groupe indique clairement que la priorité actuelle sur son marché historique demeure l’accélération du recrutement sur ses offres fixes à très haut débit. La cible privilégiée reste bien sûr les plus de 17 millions d’abonnés à une offre mobile du groupe. Mais il va donc falloir réussir à les convaincre dans un environnement 4P d’ores et déjà concurrentiel et sans l’argument des contenus, encore moins des contenus exclusifs, faute de plate-forme de télévision. Deux leviers principaux sont donc actionnés. D’abord et en priorité l’argument de la qualité des réseaux et du rapport qualité prix des différentes offres. Vodafone revendique ainsi, avec de nombreux comparateurs à l’appui, la fibre la plus rapide et la moins chère du marché britannique. Ensuite et en corolaire, des offres basées sur une consommation de données illimitées, gages d’utilisation des nouveaux services de streaming OTT sans aucune restriction. L’OTT – Netflix (un an offert pour les nouveaux abonnés fibre) mais surtout Now TV, l’offre OTT de Sky, déjà offert sous forme d’avantage sur certains contrats 4G – est donc appelé à jouer un rôle important. Les contenus se résument donc pour l’essentiel au streaming vidéo considéré comme un outil central pour rentabiliser les investissements dans les réseaux en augmentant l’ARPU et en générant de l’Upsell vers le très haut débit. Reste néanmoins une alternative qui consisterait à remettre au goût du jour le serpent de mer d’un rapprochement avec Liberty Global sur le marché britannique via la filiale Virgin Media du géant américain.