Eddy Cue, Senior Vice-President d’Apple a détaillé la semaine dernière lors de la conférence Code Media en Californie la stratégie de Cupertino dans les contenus. Une stratégie des petits pas, tout sauf impressionnante pour l’instant mais qui n’en constitue pas moins un évènement puisqu’Apple, l’entreprise la plus riche du monde s’essaye pour la première fois à développer ses propres contenus.
Des productions originales sans envergure diffusées sur Apple Music
Tim Cook, PDG d’Apple avait annoncé publiquement au mois d’octobre dernier que sa société était résolue à accélérer dans le développement de contenus originaux, déclarant qu’il s’agissait désormais « d’une grande opportunité pour [Apple], tant du point de vue de la création que du point de vue de la propriété. ». Il est vrai qu’Apple accuse un réel retard dans la course aux contenus exclusifs lancée par les autres géants de la Tech. Le mouvement initié par Netflix a eu un effet d’entrainement conduisant Amazon et dans une moindre mesure Google (YouTube Red Originals) et plus récemment Facebook à investir plus ou moins massivement dans les contenus sous la forme d’achats exclusifs, de co-productions ou de productions. Mais, alors que ses rivaux ont réussi à construire de solides services vidéo, Apple apparaît à la traîne, continuant de se concentrer sur son service iTunes de vente et de location de films et de séries TV, un modèle largement inchangé depuis l’apparition du Video Store sur iTunes en 2005, il y a plus de dix ans. L’absence de diversification n’a pas permis à Apple de bénéficier du transfert massif des revenus de la vidéo à la demande transactionnelle vers la vidéo à la demande par abonnement. Pourtant les rumeurs de négociations poussées entre Apple et les Studios U.S pour le développement de son propre service sont récurrentes. Mais elles ne se sont jamais concrétisées.
Dans ces conditions la moindre avancée d’Apple sur le terrain des contenus est attendue avec fébrilité par l’ensemble de l’industrie. Et quand Eddy Cue, responsable de la stratégie d’Apple dans la musique, les médias, le cinéma et la TV prend la parole pour présenter les premières productions originales de la firme à la pomme, les attentes sont forcément importantes. Mais la montagne a pour l’instant accouché d’une souris. Les premiers pas sont extrêmement modestes. Aucune avancée concernant un partenariat avec un studio d’envergure, aucune annonce de rachat d’une société de production existante, même modeste, alors que les moyens d’Apple semblent illimités avec pas moins de 246 milliards de dollars disponibles en trésorerie, aucun rapprochement avec un service de streaming reconnu ou présentant un potentiel de développement important… Eddy Cue a clairement balayé l’ensemble de ces éventualités. Car si Apple continue de revendiquer de grandes ambitions dans les contenus, l’heure est à la modestie : « This is new for us. We’ve never done anything like it before (…) We know what we don’t know ».
De fait, les contenus originaux qui ont été annoncés sont pour l’instant limités à trois séries sans grande envergure, toutes destinées à une diffusion exclusive sur le service Apple Music. On connaissait déjà « Vital Signs », série de six épisodes de trente minutes inspirée par la vie du rappeur Dr. Dre par ailleurs au board d’Apple Music, ainsi que « Carpool Karakoe » une déclinaison d’une des séquences de l’émission de CBS « Late Late Show », dans laquelle l’humoriste à succès James Corden parcourt les rues de Los Angeles en voiture avec des célébrités qui passent leur temps à chanter… (Apple a commandé 16 épisodes produits par CBS Television Studios et Fulwell 73, la société de production derrière le « Late Late Show »). Il faut désormais y ajouter « Planet of the Apps », sorte de télé réalité inspirée des télés crochets, mettant en compétition des développeurs d’applications, évalués et conseillés par des influenceurs comme Gwyneth Paltrow, Jessica Alba, ou encore will.i.am. Les finalistes empocheront 10 millions de dollars d’investissements pour leurs projets et seront mis en avant sur l’App Store. « Planet of the Apps » sera diffusé en exclusivité sur Apple Music dès le printemps 2017, au rythme d’un épisode par semaine.
Des contenus considérés comme un produit d’appel. Un classique des GAFA
Au final, on est donc très loin des contenus originaux ambitieux d’un Netflix ou d’un Amazon Prime video. Les quelques programmes exclusifs tiennent plus du contenu de marque destiné à la promotion de l’écosystème Apple qu’au divertissement premium. D’ailleurs, Apple n’est pas loin de revendiquer cet aspect en insistant de manière indirecte sur la dimension interactive des programmes (Interactive Entertainment) permettant aux clients de la Pomme de rebondir à partir des contenus sur l’ensemble des services (liens direct avec l’App Store à partir de « Planet of the Apps », passerelles entre « Vital Signs » ou « Carpool Karaoke » et Apple Music…).
Le second enseignement, complémentaire, réside dans le choix du service Apple Music comme plateforme exclusive de diffusion. L’enjeu est ici clairement de différencier le service de streaming musical de ses principaux concurrents, à commencer par Spotify, en incluant non seulement de la vidéo (une piste également suivie par le suédois) mais des contenus originaux, afin d’en faire progressivement une plateforme de divertissement plus globale. Apple semble donc organiser un passage de relais en douceur de son modèle transactionnel basé sur iTunes vers son service de streaming par abonnement. L’enjeu ici n’est pas celui d’une augmentation massive et immédiate du nombre de recrutements. En effet, les programmes originaux sont trop faibles pour convertir à eux seuls un nouveau public, et Apple Music a déjà réussi à convaincre 20 millions d’utilisateurs payants en seulement quinze mois, devenant ainsi le deuxième service de streaming musical derrière Spotify et ses 43 millions d’abonnés atteints en 8 ans (la première version publique a été lancée en 2008). Apple s’inscrit dans le long terme avec une stratégie de fidélisation des utilisateurs de son écosystème et d’augmentation de l’ARPU devant permettre d’atteindre les objectifs de doublement des revenus issus du segment des services en quatre ans (7,2 milliards $ au T1 2017 à + 18%, rapportés à des revenus globaux de 78 milliards $ mais en croissance de 3% seulement), identifié comme le principal relais de croissance face au ralentissement des ventes observées sur le hardware.
Alors qu’Apple est clairement en capacité financière de concurrencer ses rivaux sur le terrain des contenus premiums (l’utilisation d’à peine 3% de sa trésorerie disponible lui permettrait de rattraper d’un coup les 6 milliards $ d’investissements annuels de Netflix dans les contenus…), la modestie de la stratégie actuelle montre que Cupertino ne souhaite pas pour l’instant construire de toute pièce un service de vidéo en ligne autonome dont le modèle économique reposerait sur un recrutement massif d’abonnés. Au contraire, les contenus originaux restent un outil au service de la stratégie historique de constitution d’un écosystème propriétaire qui doit occuper une place croissante dans la vie connectée de ses utilisateurs. A ce titre, malgré des choix stratégiques différents, Apple ne considère pas pour l’instant les contenus différemment que les autres entreprises rivales de la Tech : un simple produit d’appel, une commodité.