L’accord tient en deux chiffres et une intention. Réunis ce mardi à Bruxelles pour débattre de la révision de la Directive SMA, les ministres européens de la Culture ont d’abord convenu de fixer à 30% le quota d’œuvres européennes que les plateformes de SVoD seront tenues d’intégrer à leurs catalogues, au lieu de 20% dans la rédaction initiale de la Commission ; c’est ensuite sur l’ensemble de la journée (ou plus précisément les tranches 6 / 18 heures et 18 heures / minuit) plutôt qu’heure par heure que sera désormais calculée la durée maximale de publicité diffusée par les chaînes de télévision ; enfin, la mise en place d’outils de signalisation et de procédures de retrait rapide doit permettre de mieux lutter contre la diffusion de discours de haine sur les plateformes de vidéo en ligne dont les contenus audiovisuels représentent une « fonctionnalité essentielle ». Il restera à préciser la portée de cette dernière expression pour déterminer le périmètre des acteurs visés.
De son côté, l’allongement de la durée de publicité autorisée à la télévision pourrait s’avérer une fausse bonne idée : si l’objectif en est de revaloriser le chiffre d’affaires des diffuseurs, l’effet prix (la baisse des tarifs consécutive à l’augmentation de l’espace proposé) pourrait bien contrebalancer l’effet volume (plus de spots proposés). Sans compter avec le risque de basculement accéléré du public vers les services délinéarisés, dans l’hypothèse où les chaînes dériveraient vers un surencombrement publicitaire « à l’américaine ». Intervenant le 16 mai lors du 25e Colloque NPA / Le Figaro, les patrons de TF1 Gilles Pélisson, de M6 Nicolas de Tavernost, de France Télévisions Delphine Ernotte et de Canal+ Jean-Christophe Thiery ont évoqué plusieurs pistes d’amélioration de la monétisation de leurs antennes (autorisation d’une 3e coupure dans les films longs, ouverture des secteurs interdits, possibilité de développer la publicité adressée…). Aucun, en revanche, n’a mentionné l’allongement de la durée de publicité diffusée.
La difficulté à aboutir sur le « quota SVoD » a enfin montré que culture et audiovisuel n’échappent pas à la difficulté de l’Europe à se tracer un chemin commun. Malgré plusieurs semaines de tractations, entre les Etats-Membres et au Parlement, c’est seulement à la majorité qualifiée que cet accord a été adopté. Danemark, Suède, Finlande, Royaume-Uni, Pays-Bas, Irlande, République Tchèque et Luxembourg y ont maintenu leur opposition et les Etats les plus volontaires ont dû renoncer à instaurer dans le texte final des obligations de financement de la création à l’encontre des acteurs de la SVoD. Ces dernières resteront du ressort éventuel des législations nationales. De la même manière, l’absence persistante d’une définition commune de l’oeuvre – donc de la base sur laquelle asseoir quotas et obligations – réduit d’autant la portée du cadre commun.
Des principales plateformes européennes basées dans d’autres Etats-membres – Netflix aux Pays-Bas, SFR Play et Amazon au Luxembourg, par exemple – la dernière est en fait la seule à avoir réellement à craindre de l’application de la nouvelle Directive : d’après les relevés du Baromètre SVoD de NPA Conseil, la proportion de films européens était déjà en avril de 24,3% pour Netflix France (20,2% en avril 2016) et celle de séries de 27,3% (contre 30,4%) ; les films européens pèsent pour 39,6% dans le catalogue de SFR Play (6,5% un an plus tôt) et les séries européennes 44,5% (42,5%). On ne compte en revanche que 2,2% de films et 8,3% de séries européens dans l’offre d’Amazon Prime Vidéo France.
Surtout, les dispositions de la Directive, même finalement revues à la hausse, seront loin de gommer l’écart entre le cadre applicable aux opérateurs européens et celui auquel sont soumis les acteurs français, tel que déterminé par le Décret SMAD de 2010 : obligation de proposer au moins 60% d’œuvres européennes et 40% d’œuvres d’expression originale française, obligation de réserver à ces dernières une « part substantielle » des home pages, obligation de contribuer au financement de la création pour les services réalisant plus de 10 M€ de chiffre d’affaires… Décalque fidèle du régime appliqué aux chaînes de télévision, ce dispositif a été jugé excessif, par le CSA notamment. La volonté exprimée dans le projet présidentiel d’Emmanuel Macron de « simplifier la réglementation audiovisuelle en matière de publicité, de financement et de diffusion, pour lever les freins à la croissance de la production et de la diffusion audiovisuelles et préparer le basculement numérique » pourrait trouver là un premier terrain d’application.